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MYSTIQUE, QUESTIONS THÉOLOGIQUES


plus immédiate et plus puissante de Dieu l’attirant à lui. La force de ce mouvement est sans proportion avec les lumières et les actes plus personnels qui ont précédé : et c’est en se sentant ainsi entraînée, « ravie », par l’Ami divin d’une façon toute nouvelle que l’âme a l’expérience, le sentiment de sa présence en elle : la connaissance mystique n’est pas le point de départ de cet état nouveau, elle n’est que la conséquence de l’amour infus qui le caractérise. »

3. On pourra encore chercher dans une autre direction et mettre en première ligne, comme caractère spécifique, « la passivité plus grande de l’âme dans la contemplation mystique, qu’on envisage cette passivité de préférence sous son aspect expérimental, comme exprimant le témoignage commun des mystiques qui se sentent mus par Dieu ; ou au contraire qu’on la prenne comme résumant la doctrine des théologiens qui rattachent la contemplation mystique aux dons de sagesse et d’intelligence dont le rôle’est’précisément de mettre plus complètement l’âme sous l’action de l’Esprit-Saint. » J. de Guibert, Revue d’ascétique et de mystique, 1920, p. 333-335.

On ne pouvait mieux résumer les opinions des théologiens catholiques concernant l’élément caractéristique de l’état mystique. Rien ne serait plus facile que de mettre des noms propres en Yegardjde chacune de ces opinions. Que peut-on penser^de cette question ? N’y aurait-il pas là un faux problème et ne faudrait-il pas, comme nous l’avons indiqué dans la conclusion de notre première partie, se contenter de constater la diversité des phénomènes mystiques ? |

2° La division ou la classification des phénomènes mystiques, des étals mystiques. — Quelque nom qu’ils leur donnent, tous les théologiens catholiques s’accordent à distinguer deux groupes de phénomènes mystiques : les premiers, que nous pouvons appeler des phénomènes d’union, voire même 4 de fusion ^avec la Divinité ; les seconds, des phénomènes/le communication plus extérieure avec Dieu, sentiment de présence, visions, paroles, révélations, etc.

1. La division classique des phénomènes d’union mystique est empruntée au Château de sainte Thérèse, et correspond aux quatre dernières « Demeures » ; ce sont, pour emprunter la terminologie du]P. Poulain : « l’union mystique incomplète, ou oraison de quiétude ; l’union pleine ou semi-extatique, appelée aussi par sainte Thérèse oraison d’union : l’union extatique ou extase ; l’union transformante ou déifiante, ou mariage spirituel de l’âme avec Dieu ». Des grâces d’oraison, c. iii, n. 5 ; pour l’étude détaillée, voir c. xvi-xix.

Le P. Picard, Revue d’ascétique et de mystique, 1923, p. 164-166, a esquissé une « vue synthétique sur l’ensemble de la vie mystique », en distinguant deux éléments principaux, le recueillement, « lorsque la saisie de l’âme par Dieu se fait sentir à l’âme plutôt selon ses facultés de connaissance », et la quiétude, « lorsque l’âme se sent prise par ses puissances volontaires et affectives », dont les variations donneraient naissance aux différents phénomènes d’union. « Toujours nous remarquerons que, sous l’empire d’une même communication divine, ce sont ces deux types élémentaires du recueillement et de la quiétude qui, soit ensemble, soit séparément, varient d’intensité et se modifient de mille manières… » p. 166. En ce qui concerne « le progrès de la pensée de sainte Thérèse » dans la distinction des différents phénomènes d’union, on lira avec intérêt l’article de R. Hoornært, Revue des sciences philosophiques et théologiques, 1924, p. 34-42.

Il y a bien quelque part de vérité dans la critique faite par Leuba de l’assimilation du « mariage spirituel » aux phénomènes d’union mystique qui le précèdent : « la description qu’elle (sainte Thérèse) nous

DICT. DE THÉOL. CA.TH0L.

donne suffit à montrer jusqu’à l’évidence que ce mariage spirituel n’est pas du nombre des états momentanés, spécifiques, mystiques qui ont été décrits (dans la Vie) sous les rubriques Méditation, Oraison de quiétude, Sommeil des puissances et Extase ». Psychologie du mysticisme religieux, p. 258. Le mariage spirituel, ou mieux l’état permanent d’union qui le suit ( car sainte Thérèse les distingue), se rapprocherait plutôt en effet de cette a véritable union », de cette « grâce de l’union », qui consiste dans la parfaite conformité de notre volonté à la volonté divine, que de 1’ « oraison d’union », cf. supra, col. 2630. L’union transformante, que saint Jean de la Croix appelle l’union tout court, est le but même auquel tous les hommes doivent tendre ; les grâces mystiques ne sont que des moyens, peut-être indispensables, pour y parvenir.

2. Il est une distinction qui commence à prendre consistance dans la théologie mystique et à laquelle il nous faut prêter une particulière attention ; car elle est peut-être appelée à réconcilier des adversaires qui paraissent encore irréductibles.

Sous des noms différents, on reconnaît comme deux sortes d’états ou de phénomènes mystiques : des états ou un état supérieur et des états inférieurs (j. Maréchal), des états forts et des états faiblesj( J. de Guibert), des états extraordinaires et une vie mystique ordinaireJ(Saudreau, Waffelært, etc.), le mystique au sens strict et le mystique au sens large (J. Mahieu), la contemplation « suréminente » et les grâces « éminentes » (Théodore de Saint-Joseph) etc. Voici quelques références où l’on trouvera des indications sur cette distinction : Revue d’ascétique et de mystique, 1920, p. 337 (J. de Guibert), p. 378 (J. Mahieu) ; 1923. p. 31-37 (G. J. Waffelært), reproduit par Hoornært, en épilogue à son édition des Œuvres de saint Jean de la Croix, t. iv, p. 250-256 ; 1924, p. 19 (J. de Guibert) ; 1926, p. 3-16 (J. de Guibert) ; 1923, p. 6375 (A. Saudreau, Grâces d’ordre proprement mystique et grâces d’ordre angélique).

Notons cependant que l’on est loin encore de s’accorder sur ce que l’on fera rentrer dans chacune de ces catégories : « Entièrement d’accord avec M. Saudreau et le P. Lamballe pour affirmer l’appel de toutes les âmes à la vie mystique (ordinaire), le P. Arintero se sépare d’eux quand il s’agit /de : définir cette vie mystique ordinaire, voie nécessaire de la sainteté : il y fait rentrer les formes de connaissance « angélique » i expérimentale », « immédiate » de Dieu, la « perception surnaturelle par les sens spirituels » que M. Saudreau en exclut comme constituant les « faits extraordinaires » de la vie spirituelle, sans liaison nécessaire avec la sainteté. Et, à l’autre extrémité de l’échelle, le P. Arintero appelle déjà mystiques nombre d’actes de la vie illuminative, ou même purgative que M. Saudreau, si je ne me trompe, hésiterait à faire rentrer dans cette catégorie. » Revue d’ascétique et de mystique, 1921, p. 184.

L’accord ne pourrait-il se faire dans l’identification de l’extraordinaire avec le préternaturel ou le miraculeux ? C’est bien ainsi que l’entend le sens commun des fidèles, pour qui le mystique au sens strict signifie communication extraordinaire de Dieu, intervention immédiate, empiriquement reconnaissable, de Dieu dans la trame des phénomènes psychologiques, en un mot « miracle psychologique », comme s’exprimait le P. de Guibert dans un texte que nous avons cité. Et cette définition nominale ne préjuge en rien la solution de la question concernant la nécessité des grâces mystiques pour la sainteté. Cf. les excellentes remarques du P. de Guibert sur la méthode à employer dans l’étude théologique de la mystique, et notamment sur la nécessité de préciser le vocabulaire, si l’on veut

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