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MYSTIQUE, QUESTIONS THÉOLOGIQUES
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simplicité et le repos de la contemplation, non plus seulement par un simple renforcement des éléments psychologiques qu’il trouve en elle, mais par l’introduction d’éléments entièrement nouveaux… ; l’homme se trouve placé, du fait de cette intervention divine dans son âme, en dehors des lois ordinaires et normales de son activité psychologique. On pourra donc très légitimement appeler une telle contemplation infuse extraordinaire et même miraculeuse. Si on ne réserve pas le nom de miracle aux prodiges d’ordre sensible, on peut très bien parler en ce cas d’un vrai miracle psychologique, dans le sens de dérogation aux lois naturelles qui régissent cet ordre d’activité. » Revue d’ascétique et de mystique, 1924, p. 8-11 ; cf. p. 18.

A notre avis, c’est dans ce sens-là qu’il faut chercher les critères du phénomène mystique surnaturel. C’est de ce côté-là aussi que s’orientaient les mystiques pour opérer ce discernement, quand la certitude du début avait fait place au doute et à l’inquiétude : « Saint Jean de la Croix nous fournit les deux grandes raisons « psychologiques » qui peuvent porter les mystiques à attribuer à leur état une origine divine immédiate, savoir la réalité d’une présence essentielle, nullo interposito medio : c’est d’abord leur apparente passivité et insuffisance personnelle dans l’établissement de ces états ; c’est ensuite le mode même de la connaissance qui leur est alors communiquée, mode non seulement extraordinaire, mais en contradiction, semble-t-il, avec une loi psychologique fondamentale, c’est-à-dire avec la nécessité de l’intslleclio in phantasmale.. La question de la causalité, immédiate des états mystiques est donc déjà, en partie, pour les mystiques eux-mêmes, affaire d’interprétation et de raisonnement. » Maréchal, op. cit., p. 163. Cf. sainte Thérèse, Le château intérieur, VIe D., c. ni, p. 226-235, à propos des paroles surnaturelles ; c. ix, p. 290-293, à propos des visions imaginaires ; Leuba, Psychologie du mysticisme religieux, p. 266-267, » les traits caractéristiques du mysticisme surnaturel. »

Qu’il y ait des cas douteux, où, tout bien examiné, on n’osera pas se prononcer, les mystiques le reconnaissent ; et nous ne saurions nous montrer trop sévères aujourd’hui dans l’examen de ces « miracles psychologiques », comme nous le sommes dans l’étude des miracles physiques. Mais n’y aura-t-il pas des cas où un sujet sain, averti, clairvoyant, reconnaîtra à coup sûr une influence divine immédiate ? Qu’on relise par exemple les « expériences » de Madeleine Semer, et l’on aura de quoi répondre à cette observation de Leuba : « Que dit la psychologie au sujet de ces phénomènes qui, sans dépasser en eux-mêmes ce que nous savons être possible à l’homme, peuvent sembler, en raison des conditions anormales de leur apparition, exiger une explication transcendante ? C’est ici qu’il faut ranger la grande majorité des visions et des soidisant révélations ; certains sentiments impératifs et ce sens de passivité qui, dans maintes occasions, accompagne la pensée ou l’action et donne l’impression que quelqu’un d’autre que nous-même pense ou agit pour nous. Récemment encore la science était sérieusement embarrassée par ces automatismes, sensoriels et moteurs. Aujourd’hui les faits de ce genre sont rentrés dans le domaine du naturel. » Psychologie des phénomènes religieux, p. 321. Quelques-uns, beaucoup même de ces faits, oui assurément ; mais tous ? il faudrait voir. Nous pouvons tout de môme, en certains cas, savoir si nous donnons ou si nous sommes éveillés, si nous sommes malades ou en bonne santé, et par conséquent si certaines modifications psychologiques ne sont que des hallucinations ou sont le résultat de l’action d’une cause étrangère ; qu’il nous faille la foi pour la nommer Dieu, nous n’en disconvenons pas, de même qu’il faut déjà croire en Dieu

pour reconnaître son action dans le miracle physique, cf. J. de Tonquédec, op. cit., p. 218-236. — On lira avec intérêt sur cette question du discernement du fait mystique surnaturel, l’étude de Jacques Paliard, L’orientation religieuse de Maine de Biran et le problème de la passivité mystique, dans Qu’est-ce que la mystique ? Cahiers de la nouvelle journée, 3.

111. Théologie de la mystique. — Nous entrons ici dans le domaine des controverses. Il semble bien que la théologie de la mystique ne soit pas encore débrouillée. Nous nous contenterons donc d’indiquer sommairement les principaux problèmes qui s’y posent, d’énoncer les solutions qu’on en donne, sans prendre partie entre les opinions émises ; tout au plus, nous permettrons-nous de suggérer quelques vues conciliatrices.

1° La définition ou l’essence du phénomène mystique, de l’état mystique. — « Si l’on schématise beaucoup les innombrables réponses faites à cette première question, réponses trop souvent désespérantes par le vague de leurs termes et de leurs contours, et que par suite cette schématisation risque de déformer inévitablement, on peut, je crois, réduire ces réponses aux hypothèses suivantes :

1. Pour les uns, la caractéristique essentielle de la contemplation mystique est dans ce qu’elle comporte une connaissance spéciale, infuse, de Dieu et des choses divines ; l’amour n’est qu’une conséquence : c’est l’infusion de cette connaissance passive qui fait passer l’âme dans cet état nouveau. — Mais quel est l’objet immédiat de cette connaissance ? quelle est sa nature et en quoi se distingue-t-elle des actes de foi ordinaires qui sont le point de départ de la prière commune ? On peut la concevoir comme restant purement et simplement dans le même ordre que notre connaissance de foi ordinaire… : la seule différence est dans le degré de certitude, de « réalisation » de cette connaissance et surtout dans le mode ici tout passif suivant lequel est produit cet accroissement de certitude. .. On peut aller plus loin et dire : la connaissance mystique reste une connaissance de pure foi, mais, tandis que, dans la foi ordinaire, nous n’atteignons pas le caractère intrinsèquement surnaturel de l’acte que nous faisons…, ici l’âme expérimente directement… ce caractère surnaturel de son acte et constate ainsi immédiatement l’action de Dieu en elle : là est proprement cette expérience de Dieu ineffable et inexprimable. .. dont nous parlent les mystiques… D’autres préféreront dire : le caractère propre de la connaissance mystique est d’être une connaissance angélique, c’est-à-dire un acte dans lequel notre intelligence, recevant de Dieu des espèces purement intellectuelles, connaît sans aucune image qui vienne accompagner cet acte… On peut faire un dernier pas et ajouter : ce n’est pas seulement le terme de l’action divine en elle qu’atteint l’âme élevée à la contemplation mystique, c’est Dieu lui-même : dans cette contemplation (du moins dans les états élevés où elle se réalise pleinement ) il y a une connaissance expérimentale, intuitive, de l’être divin… On peut enfin conceveir la contemplation mystique comme un ensemble d’étals ayant des caractères communs de simplification affectueuse et de passivité, mais formant une échelle de degrés fort différents entre eux : plus l’âme s’élève, plus ces caractères fondamentaux s’accusent, à mesure qu’elle passe d’un degré à l’autre et qu’apparaissent successivement en elle les actes de connaissance et d’amour tout nouveaux dans lesquels d’autres opinions veulent voir la caractéristique de tout état mystique, tandis que, pour celle-ci, ils ne caractérisent que certains états mystiques plus élevés. »

2. Autre conception : l’élément caractéristique est un acte d’amour in/us produit par l’âme sous une action