Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/677

Cette page n’a pas encore été corrigée

J 2U47

    1. MYSTIQUE##


MYSTIQUE, EXPLICATION DES PHÉNOMÈNES

2648

II. Philosophie ou apologétique de la mystique. — Scire est scire per causas. C’est à la philosophie qu’il appartient de se prononcer sur les causes. Cf. Maréchal, Études sur la psychologie des mystiques, t. i, p. 53-G5 ; Pinard, L’étude comparée des religions, t. ii, p. 323-361. Le problème philosophique de la mystique porte sur l’objectivité ou la subjectivité des états mystiques : est-ce bien Dieu que nous atteignons ou qui nous étreint, et comment pouvons-nous le savoir ? Une critique de l’expérience mystique s’impose.

Pour la mener à bonne fin, il nous faut limiter le problème à ce que nous appellerons la mystique surnaturelle. Il existe, et peut-être même en avons-nous rencontré des traces dans notre enquête psychologique, notamment chez saint Augustin, disciple des néo-platoniciens et chez saint Jean de la Croix, cf. Baruzi, op. cit., p. 396, note, une mystique naturelle, c’est-à-dire la recherche d’une connaissance expérimentale, d’une intuition, de la Réalité divine cachée derrière les phénomènes extérieurs ou intérieurs. Il existe même une philosophie, ou mieux des philosophies mystiques, intuitionnistes, qui reconnaissent en nous, à côté de notre chétive raison discursive, de mystérieuses facultés d’intuition du Réel ; cf. Baudin, Revue des sciences religieuses, 1923, p. 520-537 ; V. Cousin, Du vrai, du beau et du bien, V 8 leçon.

Les phénomènes mystiques dont nous voulons nous occuper sont ceux qui revendiquent une origine divine, « surnaturelle », au sens où sainte Thérèse, qui n’était pas théologienne, entendait ce mot, c’est-à-dire miraculeuse. Cf. Clâteau, VIe D., c. vii, p. 271. Le phénomène mystique se présente comme une véritable c révélation », comme une réponse de Dieu au désir naturel de l’homme de « voir » Dieu, de ne plus traiter avec Lui seulement à travers le voile de la foi, mais « face à face », autant du moins que cela est possible en la vie présente. — Notons, à titre de simple curiosité, que saint Thomas a reconnu ce caractère « surnaturel » des phénomènes mystiques en les rangeant parmi les grâces dites gratis datas. Summa theol., IIa-IIæ, en tête de la q. clxxi.

I. QUESTIONS PRÉALABLES, OU QUESTIONS DE PRINCIPES ET DE MÉTHODE CONCERNANT LE CARAC-TÈRE « SURNATUREL » DES PHÉNOMÈNES.MYSTIQUES.

— 1° Spécificité des (ails mystiques surnaturels. — Sur cette question : existe-t-il, doit-il nécessairement exister, dans la phénoménologie même des faits mystiques surnaturels, des éléments qui les différencieraient des faits mystiques naturels ? il semble qu’on remarque quelque flottement dans la pensée des théoriciens catholiques de la mystique.

La question a été soulevée déjà et résolue, par l’affirmative à l’article Expérience religieuse, t. v, col. 1859-60, par le P. Pinard ; cf. du même auteur, L’étude comparée des religions, t. i, p. 421-425. Le P. Maréchal est nettement du même avis, au moins en ce qui concerne « l’intuition de Dieu dans la mystique chrétienne » ; cf. Rechercl es de science religieuse, 1 911, p. 161 : « I.a su niai ural i té, et donc aussi le caractère spécifiquement chrétien, de l’intuition directe de Dieu, résulte de la phénoménologie même de cet état, où l’expérience devient transcendante et atteint le sommet de l’Être, tandis que les états mystiques inférieurs, lois même qu’ils sont ontologiquement surnaturels, et de la sorte spécifiquement chrétiens, ne diffèrent pas radicalement, par leurs seuls caractères empiriques, d’états similaires qui se rencontrent en dehors du christianisme. » Cf. du même auteur, Eludes sur lu psychologie tira mystiques, passtm, cl notamment p. 52-53, 163, 253. Mais, tout en estimant que la haute contemplation implique un élément nouveau, qualitativement distinct des activités psy- |

chologiques normales et de la grâce ordinaire », il reconnaît qu’il « n’est pas interdit, même à des catholiques, de ramener les états mystiques supérieurs à un simple accroissement quantitatif de la puissance psychologique normale et de la grâce surnaturelle ordinaire ». Ibid., p. 253. « Pourtant, si la théologie ne se montre point ici très exigeante, il faut avouer que l’opinion commune de ses maîtres les plus écoutés est plutôt défavorable à l’hypothèse d’un état mvstique purement psychologique quoad se, ou, si l’on veut, dans la nature de son contenu. » P. 176.

Qualitativement ou quantitativement il n’importe ; dans l’un et l’autre cas, on reconnaîtrait encore aux phénomènes mystiques un caractère surnaturel, empiriquement constatable. Le P. de Munnynck, cité par Maréchal, p. 175, note, en convient : mullis in casibus hsec conlemplatio sanctorum, etsi, saltem parlim, naturalis quoad suum esse, supernaturalis tamen videtur pronuntianda quoad modum, quo ad illam perveniunt. Ne va-t-on pas plus loin ? Ne laisse-t-on pas entendre qu’en bien des cas, que dans la plupart des cas, aucun élément psychologique ou empirique ne permettrait de déceler l’origine divine des phénomènes mystiques « surnaturels » ? Surnaturels, ils le seraient encore, mais au sens théologique du mot, en tant qu’il s’oppose à préternaturel, non plus au sens vulgaire du mot, où il est synonyme de miraculeux.

Telle paraît être la tendance de la nouvelle école catholique en matière de théologie mystique, cf. Garrigou-Lagrange, Perfection chrétienne et contemplation, passim : « la question discutée dans le présent ouvrage peut se réduire à ceci : La vie mystique appartient-elle à la catégorie de la grâce sanctifiante des vertus et des dons ou à celle relativement inférieure du miracle et de la prophétie ? » P. 60.

Cette position demeurerait le dernier refuge inexpugnable où- pourrait s’enfermer le théologien, si le psychologue parvenait à démontrer qu’il n’est rien dans les phénomènes mystiques considérés jusque-là comme « surnaturels » qui ne puisse s’expliquer naturellement : « La psychologie expérimentale a-t-elle réussi à montrer l’exacte conformité des lois psychologiques dans l’ordre religieux et dans l’ordre profane ? Bien des critiques estiment le contraire. Admettons cependant qu’elle l’ait fait. Une double hypothèse resterait possible : l’activité humaine s’exerce seule, ou la force (supérieure ou surnaturelle) qui lui est unie (habituellement ou par à-coups) respecte son jeu normal. En ce dernier cas, l’action de cet agent supérieur serait empiriquement indiscernable. Puisque cette seconde hypothèse s’accorde aussi bien avec les faits, la porte demeure ouverte à une explication transcendante. » Pinard, op. cit., p. 430. En sommes-nous réduits là ? il ne le paraît pas encore.

2° Liberté relative laissée au psychologue catholique dans l’examen critique des phénomènes mystiques surnaturels. — Les auteurs catholiques reconnaissent au psychologue la plus grande liberté dans l’examen des faits mystiques, pourvu qu’il admette théoriquement la possibilité, de communications extraordinaires entre Dieu et l’âme humaine. « La théologie admet comme certaine, en ce sens qu’il y aurait témérité à professer une autre opinion, non seulement la possibilité, mais l’existence de communications extraordinaires entre Dieu et l’Ame humaine… Par contre, en dehors du bénéfice indirect de cette affirmation générale, aucune garantie absolue n’est offerte du caractère surnaturel des états et révélations de tel ou tel mystique en particulier. L’approbation donnée par l’Église à quelques écrits de contemplatifs n’entraîne, connue l’a déclaré formellement Benoit XIV, aucune assurance de ce genre… » Maréchal, op. cit., p. til. « On comprend le point de vue de