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MYSTIQUE, DESCRIPTION, S. JEAN DE LA CROIX


Foi vers Lui, ce qui suppose l’entendement aveugle dans l’obscurité de la seule Foi, car sous ses ténèbres l’entendement s’unit à Dieu et sous elles Dieu se trouve caché. » M., 1. IL c. viii, t. i, p. 87 ; cf. c. iii, p. 65. Qu’on veuille bien se reporter au Cantique spirituel, str. xii : O fontaine cristalline, et déjà str. i, p. 26-27, pour comprendre comment, pour saint Jean de la Croix, c’est Dieu même qui est « la substance et l’objet de la Foi ». Cf. Baruzi, op. cit., p. 457-459.

c) La contemplation active. — Nous n’hésitons pas à donner ce nom à une troisième disposition ou condition qui amènera la contemplation mystique : l’abandon de la méditation discursive. « Qu’ils apprennent (ceux qui désirent parvenir à l’état mystique) à se tenir attentivement et consciemment en Dieu par amour dans cette quiétude.. Si elles agissent (les puissances), que ce ne ^oit pas avec force et discursivement, mais en suavité d’amour. » M., t. II, c. xi. t. i, p. 102 ; cf. p. 104.

2. La manière dont se produit la contemplation mystique. — a) avec ou sans conscience ? — La doctrinede saint Jean de la Croix sur ce sujet paraît peu nette. Essayons de la préciser.

Au premier abord, il semblerait que toute contemplation mystique devrait être inconsciente par définition : « l’on nomme la contemplation par laquelle l’entendement est éclairé de lumière divine, Théologie mystique, c’est-à-dire sagesse secrète de Dieu, puisqu’elle est cachée à l’entendement même qui la reçoit. » M., t. II, c. vii, 1. 1, p. 85 ; cf. N., t. II, c. xvii, p. 112. Et de fait, saint Jean affirme qu’en trois circonstances au moins il en est ainsi. D’abord à ses débuts ; cf. M., t. II, c. xi, t. i, p. 105, et N., t. II, c. v, p. 63. Puis « quand cette connaissance est en soi particulièrement claire, pure, simple et parfaite ; quand cette connaissance pénètre dans une âme toute pure, étrangère aux connaissances et notions particulières, … l’âme se trouvant vide de tout ce qui jadis donnait prise aux facultés…, elle n’éprouve pas son action, sa sensibilité d’autrefois ayant disparu. » M., t. II, c. xii, t. i p. 109. Enfin, au moins selon l’interprétation que saint Jean donne du phénomène, « quand la connaissance (c’est-à-dire la contemplation mystique) s’applique et se communique à l’entendement seul. » Ibid., p. 113. Ce qui n’arrive que rarement, dit-il. Il faut retenir précieusement la description de ce « grand oubli », où l’âme peut tomber et rester « pendant des heures », et que notre théologien considère comme un état mystique, « Elle ignore d’où cela lui est venu, ce qui s’est passé en elle, et pendant combien de temps ; … en revenant à soi, l’âme se figure que cela n’a duré qu’un moment, un rien de temps… parce qu’elle a été unie en intelligence pure qui est libre du temps. C’est de cette oraison brève qu’il a été dit qu’elle pénètre les cieux, parce qu’elle ne se fait pas dans le temps. Elle pénètre les cieux parce que cette âme se trouve unie à l’intelligence céleste. » Ibid., p. 111-112.

Mais comment peut-on affirmer que 1’ « intelligence pure » est alors « unie à 1’irrt.elligence céleste », puisque l’on n’a conscience de rien ? C’est par les effets produits dans l’âme « à son insu » pendant cette contemplation, effets dont elle se rend compte quand cette connaissance l’abandonne, de même que « cette connaissance l’abandonne quand elle se rend compte de ses effets ». Mais semblable « oubli » est assez rare. « Si la communication atteint aussi la volonté — ce qui a lieu très régulièrement — l’âme s’en rend toujours plus ou moins compte, si elle le veut, parce qu’elle est occupée et active au sujet de cette connaissance (toujours synonyme de contemplation). Cela se manifeste en elle par une saveur d’amour sans qu’elle distingue en particulier ce qu’elle aime. C’est pourquoi on qualifie cette connaissance de générale et amoureuse ;

elle existe dans l’entendement à l’état confus, et aussi dans la volonté sous forme d’amour savoureux qui est, lui aussi, confus, sans objet précis. » Ibid., p. 113. Qu’on remarque, en passant, cet état singulier que saint Jean de la Croix, comme Hadewijch(cf. col. 2612), considère comme un état mystique !

b) impressions ressenties par l’âme qu’envahit la contemplation mystique. — Si la contemplation elle-même échappe par définition aux prises de la conscience, elle se révèle à tout le moins parce que l’âme éprouve lorsqu’elle se produit.

Et tout d’abord la soudaineté de son apparition attire l’attention : c’est subitement, « au moment où une âme y pense le moins », que la lumière ou que le feu nous touchent. Cf. M., t. II, c. xxiv, t. i, p. 184185 ; C, str. xv, p. 102 ; str. xxv, p. 156. — Puis « cet état se manifeste expérimentalement par une sensation de repos pacifique et de recueillement ou absorption intérieure. » F., 3e str., vers 3, p. 212. — La contemplation s’accompagne d’impressions pénibles. C’est une impression de mort : « le divin l’envahit. .., il la triture, dissout la substance spirituelle et l’absorbe en une profonde et absolue obscurité, au point que l’âme se sent fondre, se voit anéantie dans une cruelle mort de l’esprit, à la vue directe de ses misères. Elle a l’impression d’être engloutie vivante par une bête… » N., t. II, c. vi, p. 66 ; cf. C, str., vn, p. 54-55. C’est une impression de solitude : « d’après son impression, elle se voit alors transportée dans une profonde et vaste solitude à laquelle aucune créature ne peut avoir accès, et qui paraît un immense désert sans limites possibles. » N., t. II, c. xvii, p. 114. « L’âme y souffre, par l’absence de tout appui, de toute perception, l’impression de vide angoissant d’un pendu ou de quelqu’un qu’on détient dans un air irrespirable. » N., t. IL, c. vi, p. 68. — Mais aux impressions pénibles, d’autres succèdent : c’est une impression de nouveauté : l’âme « est dans la cas de quelqu’un qui découvre une chose toute nouvelle, sans équivalent connu de lui. » N., t. II, c. xvii, p. 113. Enfin l’âme éprouve une impression de plénitude et même une sensation de gloire. « Cette voix, représentée par les fleuves retentissants » dont parle l’âme, n’est autre chose en elle que la plénitude des biens reçus qui la saturent… Ce qui en émane, c’est la grandeur, la force, les délices, la gloire. Immense et intérieure à l’âme, elle lui donne force et puissance. » C, str. xiv, p. 94. Sur la « sensation de gloire suave et forte », cf. F., 1° str., vers 1, p. 148 ; 3e str., vers 2, p. 199-200.

c) Avec ou sans extase ? — Il semble qu’on peut distinguer deux sortes d’extases dans l’œuvre de saint Jean de la Croix : l’une qui est décrite au ch. i du livre III de la Montée, t. ii, p. 5-6, et qui s’appellerait plutôt « oubli de la mémoire et suspension de l’imagination », p. 6 ; l’autre, dont il est question dans la strophe xiii du Cantique, serait l’extase proprement dite, consécutive à la contemplation, plutôt que condition nécessaire de la contemplation comme la première.

Certains effets de l’une et de l’autre sont cependant identiques, en particulier l’insensibilité, l’anesthésie, pour parler le langage médical ; cf. AL, t. ii, p. 6 ; C, p. 85. Pour prouver « qu’en se trouvant unie à Dieu, l’âme demeure comme sans forme ni figure, l’imagination perdue et la mémoire souverainement imbibée du souverain bien en un profond oubli, sans se souvenir de rien », saint Jean en appelle à « l’expérience quotidienne ». Et il nous décrit alors ce qu’il appelle lui-même « un singulier phénomène », qui ne paraît autre que la « perte de connaissance » des médecins. Il a soin de < noter que ces suspensions ne se produisent plus de celle manière chez les parfaits ; l’union parfaite leur étant donnée, ils n’ont plus à passer par