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    1. MYSTIQUE##


MYSTIQUE, DESCRIPTION, RICHARD DE SAINT-VICTOR 2614

naître, puisqu’on y découvrirait « les bases de la mystique néerlandaise, de la mystique germanique même ». Loc. cit.. p. 277.

Il nous faut signaler pourtant sous la plume d’Hadewijch la description d’un état mystique qui peut paraître singulier : c’est une sorte de possession de l’âme par l’Amour, par l’amour universel, par l’amour absolu. « La dixième heure sans nom : est que l’Amour n’est justiciable de personne, mais tout est justiciable de lui… Il a dompté la divinité dans sa nature. Il crie dans le cœur de ceux qui aiment d’une voix haute sans trêve ni relâche : Aimez l’Amour !.. Cette parole est la chaîne dans laquelle il garrotte ses prisonniers, c’est l’épée dont il blesse ceux qu’il touche, c’est la verge avec laquelle il châtie ses enfants ; cette parole c’est la maîtrise par laquelle il enseigne ses disciples. » Loc. cit., p. 389 ; voir p. 278-279, les différents sens que donne Hadewijch à ce mot Amour, et « qu’il est parfois difficile de distinguer ». « La onzième heure sans nom : l’Amour possède puissamment celui qu’il aime… L’Amour rend sa mémoire si simple qu’elle ne peut plus songer ni aux saints ni aux hommes, ni au ciel ni à la terre, ni aux anges ni à elle-même, ni à Dieu, mais seulement à l’Amour, qui l’a possédée dans une présence toujours nouvelle. » Enfin, si le nom auquel Hadewijch attribue tant de pouvoir dans la douzième heure est le mot même d’Amour, elle y traduirait encore un autre aspect du même état : « Dût personne n’aimer l’Amour, son nom lui donnerait suffisamment d’amabilité dans lasplendide nature de lui-même. Son nom, c’est son être en lui ; son nom, ce sont ses œuvres en dehors de lui ; son nom, c’est sa couronne au-dessus de lui ; son nom, c’est son fond au-dessous de lui. » Loc. cit., p. 390.

Ce poème n’évoque-t-il pas la parole de Dante : « Quand je voyais paraître Béatrice, et qu’elle me saluait, je n’avais plus d’ennemi ; je sentais au contraire une ardeur charitable qui me portait à pardonner à tous ceux dont j’avais reçu des offenses, et si, par occasion, on m’eût demandé quoi que ce soit, ma seule réponse eût été : Amour. » E. Baumann, L’anneau d’or des grands mystiques, p. 58. Et voilà peut-être de quoi illustrer la théorie de Récéjac ; cf. Maréchal, op. cit., p. 168.

Richard de Saint-Victor.

Bossuet, préparant

son second traité sur les états d’oraison, écrivait à son neveu, le 7 décembre 1698 : « Saint Augustin ira partout à la tête, et saint Thomas sera le premier à sa suite. Je n’oublierai pas les autres saints, sans mépriser les mystiques que je mettrai à leur rang, qui sera bien bas, non par mes paroles, mais par lui-même, comme il convient à des auteurs sans exactitude. » Cité par M. Levesque, p. xxxiv de V Introduction de son édition de ce traité.

Richard serait-il donc un de ces « auteurs sans exactitude » ? Hélas ! oui. Sa terminologie est flottante, cf. Kulesza, La doctrine mystique de Richard de Saint-Victor, p. 15 ; son style « alambiqué », Pourrat, p. 192 ; et nous aurons l’occasion de constater qu’il n’est pas toujours d’accord avec lui-même. Mais on peut trouver chez lui, bien que noyées dans la surabondance de son verbe diffus, des notations précieuses d’expériences mystiques proprement dites.

Lisons son petit traité De quatuor gradibus violentas charilalis, P. L., t. cxcvi, col. 1207-1224, où l’on a voulu découvrir une première ébauche et la source même des quatre dernières « demeures » du Château intérieur de sainte Thérèse ; cf. Kulesza, p. 104-106.

Le premier degré des états mystiques se caractériserait par ce que l’on est convenu d’appeler maintenant < le sentiment de présence » de Dieu : sub hoc statu animam esurientem et sitientem sœpe Dominus

visitai, ssepe interna suavitate saliat, spiritusque sui dulcedine inebriat… Sic lamen prsesentiam suam exhibet ut faciem suam minime oslendal. Dulcorem suum infundil, sed dccorem suum non ostendit. lnjundit suavitatem, sed nos ostendit clarilatem. Suavitas ejus sentitur, sed species non cernitur… Nondum apparet in lumine. El quamvis appareal in igné, magis tamen in igné accendenle quam illuminante. Accendil namque afjectione, sed nondum illuminât intelleclum… In hoc ilaque statu anima dilectum suum sentire potest, sed, sicut diclum est, videre non potest. El si videt, quidem videl quasi in nocte, videt velul sub nube, videt denique per spéculum in a-nigmate, nondum autem facie ad faciem. Col. 1218. Les « visites » de Dieu ont ce caractère particulier d’être subites, d’arriver à l’improviste ; sans doute l’âme s’y est préparée, elle les désire, les appelle, les attend, mais elle ne saurait dire ni si, ni quand elles se produiront : in hac exspeclalione incipit anima hue illucque fréquenter circumspicere, ’et cum summa diligentia attendere qua parte occurrat qui exspectatur ut veniat… cum ecce subito ab austro veniens. Adnolationes myslicse in psalmos, P. L., t. exevi, col. 274. Cf. Benjamin major, t. IV, c. i, col. 147.

Mais si déjà le premier degré des états mystiques comporte le sentiment de la présence et de l’action^de Dieu, combien plus les degrés supérieurs : sponsi igitur inventio præsentias ipsius est experienlia et revelalio. Explicatio in Cantica Confie., c. v, col. 420. Sur ce sentiment de la présence de Dieu, voir encore ibidem, c. i, col. 411 ; De gradibus charitatis, c. ii, col. 1198-1199 ; et Benjamin minor, c. xi, col. 8.

La second degré des états mystiques est la contemplation : quando ergo mens cum magno studio ardentique desiderio ad divinæ coniemplationis graliam proficit, jam quasi ad secundum amoris gradum proficit, quando meretur per revelationem inspicere quoi oculus non vidit, nec auris aulivit, nec… De quatuor gradibus, col. 1219. Richard a longuement disserté sur la contemplation ; il lui a consacré deux traités : De prœparatione animi ad contemplationem liber diclus Benjamin minor, P. L., t. cxcvi, col. 1-62, et De gralia contemplationis libri quinque, appelé Benjamin major, col. 63-202. N’en voulant point faire ici une étude exhaustive, nous n’en relèverons que les traits les plus saillants.

Qu’est-ce d’abord que la contemplation mystique ? Possumus illam qux in hac vila haberi potest, Dei cognitionem, tribus gradibus dislinguere, et secundum triplicem graduum difjcreniiam per 1res celos dividere. Aliter siquidem Deus videtur per fidem, aliler cognoscitur per ralionem, alque aliler cernitur per contemplationem. .. Ad primum ilaque et secundum contemplationis cselum, homines sane ascendere possunt, sedî r ad illud quod est supra ralionem, nisi per mentis excessum supra seipsos rapli nunquam perlingunt. Benj. min., c. lxxiv, col. 53. Ces trois degrés de la connaissance de Dieu paraissent correspondre aux six degrés de la contemplation du Benj. maj., c. iii, col. 66-67, et c. vi, col. 70-72, qui marchent deux par deux, et qui s’appellent successivement cogitatio, meditatio et conlemplalio ; lesquelles procèdent de trois facultés différentes, l’imagination, la raison, l’intelligence : simplicem inlclligenliam dico qiuv ext sine officio rationis, puram vero quæ est sine oecursione imaginalionis, col. 74 ; lesquelles enfin nous permettent d’atteindre trois objets de connaissance différents, les corps, les esprits, Dieu, ce qui au moins de Dieu ne peut être connu par la raison.

En quoi consiste donc cette contemplation qui nous permet d’atteindre les choses divines inaccessibles à la raison ? Pour le dire d’un mot, c’est une intuition intellectuelle, qui no-us assimile aux purs esprits :