Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/657

Cette page n’a pas encore été corrigée
2607
2608
MYSTIQUE, DESCRIPTION, PSEUDO-DENYS


qu’il s’agit d’une intuition intellectuelle, il va’de soi pour saint Augustin qu’elle ne peut s’accomplir, si l’âme n’est pas totalement dégagée et en’quelque sorte séparée du corps : in Ma specie qua Deus est, Longe inefjabiliter secretius et prsesentius loquitur loculione inefjabili, ubi eum nemo videns vivet (variante : vivens videt) vita ista, qua mortaliter vivitur in istis sensibus corporis : sed nisi ab hac vita quisque quodammodo moriatur, sive omnino exiens de corpore, sive ita aversus et alienatus a carnalibus sensibus, ut merito nescial, sicut Aposlolus ail, utrum in corpore an extra corpus sit, cum in illam rapitur et subvehitur visionem. G. xxvii, n. 55, col. 477-478. On ne voit pas quelle différence pourrait distinguer cette « vision intuitive » du ravissement de celle de l’autre vie, sinon une différence dans la durée, quand on lit cette conclu sion de saint Augustin : lertium vero (il s’agit du troisième ciel de II Cor., xii, 2-4), quod mente conspicitur ita sécréta et remola, et omnino abreplae sensibus carnis atque mundata, ut ea quæ in Mo cselo sunt, et ipsam Dei substantiam, Verbumque Deum per quod facla sunt omnia, in charitate Spiritus sancti inefjabiliter valet videre et audire. C. xxxiv, n. 67, col. 483.

Dans l’intuition mystique, saint Augustin admettrait-il des degrés, des variétés ? On pourrait le penser d’après ce qu’il rapporte lui-même à Nébridius de ses propres intuitions : cum Deo in auxilium deprecalo, et in ipsum, et in ea qux verissime vera sunt attolli ccepero, lanla nonnunquam rerum manentium prsesumptione complcor, ut mirer interdum Ma mihi opus esse raliocinalione, ut hsec esse credam, quæ lanla insunt prsesentia, quanta sibi quisque sit pressens. Epist. iv, P. L., t. xxxiii, col. 66. Que sont ces res manentes ? des vérités ou des substances ? Saint Augustin n’ose pas trancher la question très difficile de savoir utrum sit aliquid quod lantum intelligatur nec intelligat, s’il y a des intelligibles qui ne soient pas des intelligences. De Gen. ad litt., t. XII, c. x, n. 21, P. L., t. xxxiv, col. 461.

Concluons : saint Augustin fait bien appel à l’expérience, à son expérience personnelle et à celle de quelques âmes d’élite, du nombre desquelles il n’exclut pas des païens, comme Platon et Plotin ; quand l’homme se dégage complètement de la vie des sens, son intelligence, en de courts instants, reçoit un rayon de pure lumière, et voit les réalités supra-sensibles : summus Deus intelligibili et inefjabili quadam prxsentia, etsi interdum, etsi rapidissimo coruscamine lumen candidum inlermicans, adest lamen sapicnlium menlibus, cum se, quantum licuit, a corpore removerint. Il nous est évidemment impossible de faire le départ exact de l’expérience pure et de l’interprétation métaphysique dans de semblables « relations. » Sur l’interprétation de l’intuitionnisme augustinien au Moyen Age, voir R. Carton, L’expérience mystique de l’illumination intérieure chez Roger Bacon, p. 177-187.

Denijs le Mystique.

Le premier traité qui

porte dans l’histoire le nom de « théologie mystique » est un tout petit écrit d’une dizaine de pages, qui contiennent même beaucoup de blanc dans la traduction de Mgr Darboy, Œuvres de saint Denys l’Aréopagile traduites du grec, Paris, 1845, p. 466-477. C’est de lui pourtant que procède presque toute la mystique chrétienne, orthodoxe ^ou hétérodoxe. Il convient donc de l’examiner de près. Quelle idée Denys se fait-il de la théologie mystique ?

L’invocation à la Trinité, par où débute le traité, lui demande de nous conduire

ènï r/jv twv jzuoTiKwv ad mysticorum oraculo-Xoyîwv Û7repâyvo)aTOV, xal rum plusquam indemonsû : rep<paï ;, xal àxpoTânrjv trabile, et plusquam lu-Kopuqi ^v, ëvOa xà à7rXà, cens, et summum fasli xal àTroXuToe, xal àrpe^Ta -rîjç OsoXoyîaç [i.uaTy)pia, xaTa tÔv ÔTtépepcoTov èyxsxâXuTcrai TÎJÇ xp’jepioji.ûatou CT’.y^ç yvôcpov, èv râ axoTsivo-â-rû) tô ÔTrepçavéaraTOv UTCSpXâjjjrovTa, xal èv tu 7tâ[17rav àvaçcî xal àopdcTW Ttôv Û7repxâXa>v àyXaïôiv Ô71£p71 : Xr)poijVTa toùç àvo[i.[xdcTouç vôaç. P. G., t. iii, col. 997.

gium, ubi simplicia, et absoluta, et immutabilia theologiæ mysteria aperiuntur in caligine plusquam lucente silentii arcana docentis, quæ in obscuritate tenebricosissima plusquam clarissime superlucet, et in omnimoda intangibilitate atque invisibilitate præpulchris splendoribus mentes oculis captas superadimplet.

La théologie "mystique apparaît donc comme une connaissance mystérieuse des choses divines : nos facultés de connaissance sont plongées dans la nuit la plus complète, et pourtant nous sommes remplis des plus vives lumières. Et tout de suite, Denys indique à son cher Timothée le moyen de parvenir à ces contemplations mystiques, rcepl Ta (xuarixà 0eâjj.aTa :

xàç aîaOrjCTeiç àTr6Xe171E, xal Ttxç voepàç èvspydaç, xal îràvTa alaôirjTà xal voYjxà, xal nràvTa oùx ôvTa xal ôvxa, xal i : pàç ttjv evcoaiv, wç èçixtov, àyWiaxwç àvaràÔ^Ti toù ûrcèp 7rào"av oùaîav xal yvwaiv T7] yàp sauxou xal ttocvtcov àa/ÉTW xal à7roXÔTW xa-Gapwç èxcrrâaei 7tpà< ; tov ÛTrepoôai.ov toù Osîou axotouç àxTÎva, 7Tâvra àçsXôv xal ex 7tovtov ànroXuGelç, àva)(6Y)cr/). Ibid., col. 997. 1000.

sensus relinque, et intellectuales operationes, et sensibilia et intelligibilia omnia, et ea quæ sunt et quæ non sunt universa, ut ad unionem ejus qui supra essentiam et scientiam est, quantum fas est, indemonstrabiliter assurgas ; siquidem per liberam et absolutam et puram tui ipsius a rébus omnibus avocationem ad supernaturalem illum caliginis divinre radium, detractis omnibus et a cunctis expeditus, eveheris.

Le moyen de parvenir à ce « rayon suressentiel de la divine ténèbre » est donc le dénuement total de toutes choses et de soi-même, 1’ « extase », et l’union à Dieu dans l’inconnaissance. En définitive, la théologie mystique sera une connaissance de Dieu par négation et par union, c’est-à-dire par amour.

Le traité Des noms divins va nous servir à préciser ce que Denys entend par la connaissance par union. Elle s’oppose autant à la connaissance intellectuelle que celle-ci à la connaissance sensible :

WÇ OTaV Y)fJ.WV Y)’^U’/j) TtXlÇ

voepaïç èvepyelaiç êrcl xà vo7]Ta xwettai., TCp lirai [XETà xcôv alaOriTÛv al aïaOyjæiç’toarcep xal al voepal 80vâfjisi.ç, ôrav Y) t^uX ?) OsoetSrjç yivojjiévr), Si’évcôaecûç àyvo’iaTou zoùq

TOÛ à7TpO(ïlTOU 9COTOÇ àxTt aiv è7u6àXX7), xatç à.vou.[iot.toiç È7n.60Xaïi ;. De div. nom., c. iv, 11, col. 708.

adeo ut, cum anima nostra intelligendi facultatibus fertur in ea qime intellectu percipiuntur, tum frustra sensus una cum sensibilibus adhibeantur ; sicut etiam vires intelligendi, quando anima jam deiformis effecta, per ignotam unionem, lucis inaccessaî radiis, exoculatis quasi jactibus, se ingerit.

L’intelligence n’intervient donc pas dans cette connaissance :

Séov eïSsvai t6v xaO’^(xâç voûv ëx etv T’) v ^^ 8ûvau, iv elç tô voetv, 8C 7Jç xà vo7)Ta pXÉ71£t, t - J)v Se ëvcoaiv ÔTTEpaEpouaav tt ; v toû vou ç’jtiv, Si’rf, auva7rTCTai Ttpôç Ta è7réxeiva éauTOÙ. M., vu. 1, col. 865.

cum scire debeamus mentem quidem nostram pol 1ère vi intelligendi, qua res intellectiles contueatur ; tamen istam unionem, qua rébus se superioribus conjungitur, naturain ipsius longe superarc.