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MYSTÈRE — MYSTIQUE

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tion qu’on en pourra faire ne ressemblera en rien à la démonstration scientifique procédant soit par induction soit par déduction : ce sera une démonstration invoquant l’argument d’autorité qu’implique toujours la foi. L’intelligence des mystères sera donc, si l’on peut s’exprimer ainsi, « une intelligence de superficie. Elle expliquera leur liaison entre eux et avec les données de la raison, mais sans aller jusqu’à établir leur vérité en vertu des principes fournis par notre expérience ou par notre intelligence, et par conséquent sans les démontrer par des principes naturels. Les spéculations de la théologie relativement aux mystères forment donc comme un édifice, qui est construit, non sur le sol de la raison, mais sur le vaisseau de la foi, de telle sorte qu’il n’a d’autre fondement ou plutôt d’autre appui que l’océan de la vérité divine. Pour employer une autre comparaison que notre constitution nous suggère, les. mystères restent toujours ici-bas couverts comme d’un nuage et comme d’un voile, que la raison ne peut percer et qui l’empêchent de démontrer les affirmations de la foi. « Vacant, op. cit., t. ii, n. 791.

Cette impossibilité de comprendre et de démontrer par des principes naturels la vérité intrinsèque des mystères, même après leur révélation, repose, d’après le concile, sur la nature même des mystères, voir ci-dessus, col. 2587, et sur le témoignage de saint Paul dans la II Cor., v, 7 : Per fidem enim ambulamus et non per speciem. Ici-bas, c’est une connaissance qui ne peut s’appuyer que sur la foi ; au ciel, ce sera la vision, non par les lumières propres de notre intelligence, mais par une lumière toute surnaturelle qui, détruisant la foi, y substituera enfin la claire intuition de l’essence divine.

Ouvrages à consulter. — Tous les traités de théologie fondamentale, traité de la révélation. Voir spécialement Garrigou-Lagrange, De revelalione per Ecclesiam catholicam proposita, Paris, 1918, t. i, c. v ; Ottiger, Theologia fundamenlalis, t. i, Fribourg-en-B., 1897, p. 69-80 ; A. Vacant, Études ihéologiques sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. ii, art. 120-127.

A. Michel.

    1. MYSTIQUE (THÉOLOGIE)##


MYSTIQUE (THÉOLOGIE). — I. Psychologie ou phénoménologie de la mystique. II. Philosophie de la mystique (col. 2647). III. Théologie de la mvstique (col. 2660).

I. Psychologie ou phénoménologie de la mystique. — I. QV’ENTENDQNS-NOUS ICI PAR MYSTIQUE ? — Sans nous attarder sur l’étymologie et sur les sens multiples, anciens ou modernes, du mot mystique, cf. Sophrone, Le mol « mystique », Revue pratique d’apologétique, t. xxviii, p. 547-556, L. de Grandmaison, Études, 5 mai 1913, p. 309-310, et J. de Guiberl, Revue d’ascétique et de mystique, janvier 1926, p. 3-16, essayons de délimiter exactement le domaine que nous entreprenons d’explorer. Nous ne nous dissimulons pas qu’un travail de ce genre suppose une notion préconçue du mystique ; mais nous ne pouvons pas procéder autrement. Nous pouvons redire de la mystique ce que l’on a dit de l’hystérie, ce que l’on pourrait dire de la religion : « Si l’on pose en principe que l’on doit définir l’hystérie d’après les symptômes habituellement groupés chez les hystériques, il faut alors savoir qui est hystérique… Mais comment, d’autre part, savoir qui est hystérique, sans avoir orienté sa recherche… d’après un type acquis ci abstrait d’hystérie auquel on compare l’échantillon concret qu’on observe ? Comme on le voit, ce cercle vicieux ne pourra être brisé que par la définition conventionnelle d’un point de départ. » Diel. apologétique, t. ii, col. 531. Qu’entendons-nous donc par fait mystique, phénomène mystique, « théologie » mystique ?

Qui dit théologie dit connaissance de Dieu. Théologie mystique signifie donc connaissance de Dieu obtenue par un procédé mystique. Mais en quoi consiste ce procédé ? II se définit plutôt négativement que positivement. La connaissance mystique s’oppose à la connaissance rationnelle, discursive, par raisonnement, quel que soit d’ailleurs le moyen, différent du raisonnement, par lequel on estime atteindre Dieu. « On appelle souvent mystique un ordre de pensées inaccessible à l’intelligence commune, un aperçu qui échappe à la raison claire, qui ne relève point des procédés discursifs de l’esprit, ni d’aucune démonstration, mais de la foi (dans l’acception laïque du mot), de l’intuition, de l’instinct, d’une sorte de divination. » Sophrone, loc. cit., p. 555.

Nombreux sont les procédés non rationnels qui permettraient de connaître Dieu : la foi, le sentiment, l’intuition, l’expérience ; mais ils peuvent, semble-t-il, se ranger en deux classes : ceux qui supposent et ceux qui ne supposent pas quelque < expérience > de Dieu. C’est aux premiers que nous réserverons le qualificatif de mystiques. Ne rentrent donc pas dans’e domaine du mvstique proprement dit : la foi « dans l’acception laïque du mot », c’est-à-dire la croyance volontaire et sans preuve à l’existence de Dieu, ni la vie religieuse dans la « nudité de la foi », si haute qu’elle soit, si intimes que puissent devenir les relations du croyant avec l’Invisible dont il admet l’omniprésence ; ni l’intuition, entendue au sens où la prend Bertrand Russell, Le mysticisme et la logique, de l’intuition d’une vérité et non d’une réalité, de la Réalité. En définitive, nous considérerons comme mystique tout fait psychologique dans lequel l’homme pense atteindre directement et immédiatement Dieu, en un mot « expérimenter » Dieu, que ce soit par un effort personnel d’intelligence ou d’amour, qui nous élèverait jusau’à lui, nous permettrait de le « trouver « , de l’étreindre de quelque manière, ou, au contraire, que ce soit par une condescendance de Dieu, qui s’abaisse vers nous, nous « touche », nous fait sentir sa présence ou son action, nous inonde de consolations ou de lumières.

Nous aboutissons ainsi à distinguer deux sortes de mysticismes, qu’on pourrait appeler le mysticisme actif et le mysticisme passif. Il n’y aurait aucun inconvénient à réserver le nom de mystiques proprement dits ou propriissirno modo, aux faits mystiques de la seconde catégorie.

Nous laissons donc en dehors de la mystique dont nous allons nous occuper ce que l’on peut appeler « la vie mystique » ordinaire, si bien décrite par le P. Léonce de Grandmaison, loc. cit., p. 311-319, qui consiste dans une assimilation, une « réalisation » des véiités de la foi par des a exercices mystiques » ; ce n’est pas à son propos que se pose < le problème de l’expérience mystique ».

Nous négligerons aussi délibérément « l’élément mystique » qui constituerait, selon les vues du baron de IliUel, la source même de la religion. Cf. Léonce de Grandmaison, Raherches de science religieuse, t. i, p. 180-208. Qu’il y ait ou non continuité entre cet élément mystique, présent en tout homme « à l’état latent et virtuel », cette « aptitude innée de récollection, d’intuition, d’émotion, due à la présence de l’Esprit de Dieu, et réduite en acte par son activité, p. 190, et les états mystiques supérieurs, toujours est-il qu’il existe au moins, entre cet « élément » et ces » états », « la différence qui exisle entre un acte complet, un étal fort, un plein midi, et un acte inchoatif, un état faible, une aurore. » P. 189.

Enfin il importe de distinguer, bien que ce ne soit pas toujours commode, l’expérience proprement mystique de l’expérience religieuse en général. La