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MYSTÈRE, EXISTENCE


Seigneur qui nous fait partager cette gloire, et par le témoignage d’Isaïe, transcrit au c. ii, de notre constitution : L’œil de l’homme n’a point vu ce que Dieu a prépare ù ceux qui l’aiment. Les princes de ce siècle dont il est parlé ici sont ceux qui ont contribué au crucifiement du Sauveur… Cette sagesse ignorée des princes du siècle, Dieu lui-même l’a révélée aux apôtres par son Esprit, à qui les œuvres de sanctification sont attribuées, et qui est descendu visiblement sur les fondateurs de l’Église, le jour de la Pentecote, nobis autem revelavit Deus per Spirilum suum. Il fallait, en effet, pour cette révélation, quelqu’un qui pénètre tout et jusqu’aux plus profonds secrets de Dieu, non pas à la manière de l’ignorant qui cherche, mais à la manière du savant qui jouit de sa science ; or, tel est l’Esprit de Dieu : Spirilus enim omnia scrutatur, TrâvToc êpeuvôc, etiam pro/unda Dei, xal Ta (3à6y) toC -’sou, v. 10. L’apôtre poursuit, en faisant remarquer que cet Esprit divin est seul à connaître ainsi ce qui est de Dieu, et que c’est cet Esprit, non l’esprit naturel du monde, qui a été donné aux Apôtres, afin qu’ils sachent les grâces que Dieu a faites à ses créatures. De tout ce passage, et tout particulièrement des paroles citées par notre constitution, il ressort que Dieu a confié aux apôtres et que les apôtres ont enseigné à l’Église, des mystères que Dieu seul connaît naturellement et qui ne pouvaient nous être manifestés que par une révélation divine. » A. Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. ii, n. 747.

D’autres textes sont également apportés. Le concile fait allusion à Matth., xi, 25-27. « Je vous rends grâce, mon Père, dit le Sauveur, de ce que vous avez caché ces choses-là aux sages et aux prudents et de ce que vous les avez révélées aux petits » ; et le divin Maître montre qu’il s’agit de mystères connus seulement des personnes divines et de ceux à qui elles veulent bien les manifester, en ajoutant : « Il en est ainsi, mon Père, parce que tel a été votre bon plaisir. Mon Père m’a tout livré et personne ne connaît le Fils, sinon le Père, comme personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. « 

Dans sa lettre Gravissimas inler contre les erreurs de Frohschammer, Pie IX avait invoqué l’autorité de I Cor., ii, 7-10, mais passé sous silence celle de Matth., xi, 25-27. Par contre, il fait appel à d’autres paroles de l’Écriture : « Les Lettres divines, écrit le pontife, prouvent que ces dogmes les plus secrets ont été manifestés par Dieu seul, lorsqu’il a voulu faire connaître le mystère qui était caché depuis les siècles et les générations (Col., i, 26), et de telle manière qu’après avoir autrefois parlé en plusieurs façons à nos pères dans les prophètes, il nous a parlé ù la fin en son l-’ils par qui il a fait aussi les siècles (Ileb., i, 1-2)… Personne n’a jamais vu Dieu. Le Fils unique qui est dans le sein du Père l’a lui-même raconté (Joa., i, 18).

2. Tradition.

La tradition catholique a toujours considéré les vérités de la foi comme dépassant l’intelligence humaine. I. expression ^mystère » (fvuaTT)piov, sacramentum) se trouve sous la plume « les anciens Pères pour désigner les vérités obscures par elles mêmes qui sont l’objet de noire croyance : [renée parle du « mystère » de la Trinité, Coid. hær., II, xxviii, 0, P. G., t. vii, col. 808. Pour Eusèbe de Césarée cette vérité est inexprimable, Inconcevable pour nous, ryppr, Twç 8è xal àv£7TiXoyôaT<o( ;, Demonst. evang., IV, xii, P. G., t. xxii, col. 257 ; devant elle, seul le silence nous sied, dit S. Hphrem, Advenus serutatorea (al. SOr.), serin, ii, éd. Assémani, t. iii, p. 101. Saint Ililaire dit expressément qne ce dogme est extra signiftcantiam sermonis, extra sensus intenlionem, extra intelligenties concepiionem. De Trinitate, II, 5, P. L., t. x, col. 54. Saint Grégoire de Nazianze l’appelle explicitement

un mystère, Oral., xxxi, 8, P. G., t. xxxvi, col. lit. Dans le Discours catéchétique, n. 3, saint Grégoire de Nysse insiste à plusieurs reprises sur « la profondeur du mystère », P. G., t. xliii, col. 17. « Nous ne pouvons le comprendre », déclare Didyme d’Alexandrie, De Trinitate, II, iv, P. G., t. xxxix, col. 481. Divinum admirandumque mysterium, dit saint Ambroise, De fide ad Gralianum, IV, viii, 91 ; cf. I, x, P. L., t. xvi, col. 034, 541-543. On trouve aussi l’équivalent latin de mysterium, « sacramentum », avec la même signification de vérité inaccessible à la raison. Voir, dans J. de Ghellinck, Pour l’histoire du mot « Sacramentum », Louvain, 1924 ; pour Tertullien, p. 130-134 ; pour S. Cyprien, p. 170-174 ; pour Arnobe, p. 234 ; pour v Lactance, p. 245-251. L’étude sur Commodien de Gaza fournira de nombreux exemples de la signification du mot mysterium ou sacramentum, désignant des vérités cachées à notre raison, de même la traduction latine des livres d’Irénée contre les hérésies, p. 277 sq. Les hérétiques des premiers siècles qui ont tenté « d’humaniser » les données de la révélation, n’ont jamais cependant poussé leur « rationalisme » jusqu’à nier les secrets impénétrables renfermés dans les vérités révélées. Aussi les Pères de l’Église se sont-ils contentés de commenter brièvement les textes de l’Écriture relatifs au caractère mystérieux de la révélation, soit dans leurs homélies, soit dans leurs œuvres de controverse. Voir, en particulier, S. Jean Chrysostome, In I Cor., homil. vii, P. G., t. lxi, col. 53 ; De incomprehensibili, homil. i, n. 3, 6, P. G., t. xlvhi, col. 704712 ; S. Augustin, De fide rerum quæ non videntur, i, 1, P. L., t. xl, col. 171 ; S. Léon le Grand, De nativitate Domini, serm. ix (xxix), P. L., t. liv, col. 220 ; S. Cyrille d’Alexandrie, In Joa., i, 9, P. G., t. lxxiii, col. 124 ; Contra Nestorium, 1. III (mit.), P. G., t. lxxvi, col. 111 ; S. Jean Damascène, De fide orthod., i, 2, P. G., t. xciv, col. 794 ; In I Cor., c. ii, t. xcv, col. 582-590 ; S. Jérôme, In Gal., iii, 2, P. L., t. xxvi, col. 348. C’est à la plupart de ces auteurs, cités en note avec les références susindiquées, que se réfère Pie IX lorsqu’il écrit, dans la lettre Gravissimas inler : Hisce aliisque fere innumeris divinis eloquiis inhærentes SS. Patres in Ecclesiæ doctrina tradenda continenter distinguere curarunt rerum divinarum nolionem, quæ naturalis intelligentiæ vi omnibus est communis, ab illarum rerum notitia, quæ per Spirilum Sanclum fide suscipitur, et constanter docuerunl, per hanc ea nobis in Christo revelari mysteria, quæ non solam humanam philosophiam, verum atiam angelicam naturalem intelliyentiam transcendant, quæque etiamsi divina revelalione innotuerinl et ipsa fide fuerint suscepta, tamen sacro adhuc ipsius fidei vélo lecla et obseura caliginc obvoluta permanent, quamdiu in hac morlali vila peregrinamur a Domino. Denz.-Bannw., n. 1073.

Mais la tradition s’affirme encore, dès le Moyen Age, dans certains actes du magistère de l’Église relativement aux premières tentatives de « rationalisation » des mystères.

En 1228, Grégoire IX avait dû rappeler aux théologiens de l’université de Paris, qu’il ne faut point rabaisser la foi au niveau de la raison ; qu’elle renferme des vérités qui doivent être crues par l’intelligence, et que celle-ci sérail coupable d’audace et d’improbité si elle tentait de pénétrer là où l’intelligence naturelle ne peut atteindre. Denzinger-Bannw., n. 442. Au siècle suivant, Raymond Lulle a été accusé d’avoir eu de la foi une conception rationaliste, accusation à coup sûr au moins exagérée. Voir Lulle, t. ix, col. 1122-1120. On a même prétendu que le pape Grégoire XI, en 1376, aurait réprouvé entre autres propositions condamnables les suivantes qui se rapportent à notre sujet.