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MESSIANISME, L’EPOQUE DE MOÏSE


plus noble de la haute antiquité, à un cep de vigne sans avoir souci du dégât. Le vin sera aussi abondant que l’eau. Les yeux du roi en auront un éclat brillant, tandis que ses dents seront blanches du lait qui ruissellera dans le pays.

On comprend aisément que, depuis l’antiquité, l’oracle sur Juda ait été pris pour messianique, et que la majorité des exégètes modernes le traitent aussi comme tel. Il est en effet la première prophétie explicitement et strictement messianique. Cependant, de même qu’il y a de grandes différences dans la manière d’interpréter la phrase sur laquelle repose le sens messianique, il n’y en a pas moins dans la façon d’apprécier la valeur de la prédiction messianique. Pour presque tous les critiques, les suprêmes paroles attribuées à Jacob, non seulement dans leur forme poétique, mais aussi dans leur fond, dateraient d’une époque de beaucoup postérieure au patriarche. Elles auraient des origines successives et seraient des vaticinia post eventum, où aurait été décrite la situation de chaque tribu à un certain moment. D’ordinaire on fait remonter les parties les plus anciennes, notamment les oracles sur Issachar, Dan, Benjamin, Zabulon, à l’époque des Juges. Par contre, celui qui concerne Juda serait, dans les ꝟ. 8-9 et 11-12, la description de l’état des choses au commencement du règne de David, lorsque les premières victoires du fils d’Isaï eurent montré la supériorité de la tribu de Juda ; seul le ꝟ. 10 serait une prophétie de l’avenir messianique. D’autres, Stade, Dillmann, Wellhausen, Cornill, Holzinger, Kautzch, Marti, Béer, prétendent au contraire que précisément le ꝟ. 10 est le moins ancien, et fut intercalé seulement après l’exil pour faire entrer l’idée d’un Messie dans ce texte antique.

Les exégètes catholiques, ainsi que ceux des protestants qui admettent encore une révélation pour le temps prémosaïque, Delitzsch, Orelli, Strack, Kônig, maintiennent l’authenticité des bénédictions de Jacob, qu’ils appuient sur des arguments d’ordre psychologique et historique ; voir surtout Kônig, Die Genesis, 1919, p. 746 sq. La reconnaissance de l’authenticité substantielle du texte n’empêche d’ailleurs pas d’y supposer des remaniements poétiques et des amplifications pour les passages qui sont des allusions trop précises, à la situation politique et géographique de plusieurs tribus. Mais c’est à tort qu’on regarde la prédiction sur Juda comme une glose de ce genre, sous prétexte qu’elle aurait été absolument inconcevable avant David, comme le prétend Cornill, dans Zeitschriflfûrdie A.T.Wissenschaft, 1914, p. 108, ou que l’attente d’un Messie a ses racines dans la foi en la dynastie davidique, comme l’affirme Procksch, p. 262 ; car longtemps auparavant, du temps des Juges, Jud., i, 19 ; xx, 18, et déjà lors du séjour dans le désert, Num., ii, 3 ; x, 14, la tribu de Juda se distingua de toutes les autres, de sorte que les critiques devraient mettre cet oracle au moins sur le même pied que les plus anciens textes du poème. C’est ce que fait en effet Gressmann, Die Anfânge Israëls, 1914, p. 187 sq. M. Causse, Les plus vieux chants de l’Ancien Testament, 1926, p. 39, le suit pour les f. Il et 12, tandis qu’il attribue 8 et 10 au temps de David. Encore moins fondée est la supposition que le t. 10 est postexilien. Procksch, p. 270, dit avec raison que présenter ce verset comme une interpolation n’est plus faire de l’exégèse raisonnable.

Les commentaires de la Genèse ; de plus L. Reinke, Der Segen Jacobs, 1849 ; L. Diestel, Der Segen Jakobs, 1853 ; Land, Disputaiio de carminé Jacobi, 1858 ; K. Kohler, Der Segen Jakobs, 1867 ; Lagrange, La prophétie de Jaco b, dans Bévue biblique, 1898, p. 525-540 ; V. Zapletal, Alttestamentliches, 1903, p. 26-54 : Der Segen Jakobs ; E. Seydl, Der Jakobsegen (Gen., 49, 2-27) eine einheitliche Komposition et

Donecveniatquimittendusest, dansDer Katholik, 1900, t. np. 29sq. ; et 1. 1, p. 159 sq. Posnanski, Schiloh, 1904 ; P. Ries sler, Zum Jakobsegen, dans Tùbinger theologisehe Quartalschri /t, 1908, p. 489 sq. ; E. Sellin, Die Schilohweissagung, 1908 ; W. Schrôder, Gen., XL1X, 10, Versuch einer Erktàrung, dans Zeiischrift fur die A. T. XVissenschaft, 1909, p. 186-197 ; H. Kornfeld, Gen., 49, 10, dans Biblische Zeiischrift, 1910, p. 130 sq. ; C. H. Cornill, Zum Segen Jakobs, etc., dans Wellhausenfeslschrift, 1914 ; K. Albrecht, Der Judasspruch, Gen., xux, dans Zeiischrift fur die A. T. Wissenschaft, 1914, p. 312 sq. ; G. Béer, Zur Geschichte… des Schôpfungsberichtes. .. nebst einem Excurs ùber Gen. XLl X, S-12 und22-26, dans Buddefestschrift, 1920 ; X. Caspari, Die Anfànge der alttestamentlichen Weissagung, dans Neue kirchliche Zeiischrift, 1920, p. 456 sq.


II. Le messianisme a l’époque de Moïse. —

Moïse et l’avenir d’Israël.


De l’époque de Jacob la Bible nous transporte immédiatement à celle de Moïse. Ce grand chef, qui a donné aux Israélites leur constitution religieuse et civile comme base de leur alliance avec Jahvé, s’est, il va sans dire, vivement occupé de l’avenir de son peuple. Lui qui a guidé Israël au seuil de la Terre promise, comment l’a-t-il dirigé vers son but final ?

En lisant les préceptes et les exhortations, que la saine critique lui reconnaît au moins pour le fond, voir E. Kônig, Das Deuleronomium, 1917, E. Sellin, Einleitung in das Alte Testament, 1925, p. 50, M. Lôhr. Das Deuteronomium, 1925, on constate qu’il a regardé la situation qui résultera pour les Israélites de leur entrée en Canaan comme définitive. Bien ne manquera à leur bonheur. Us jouiront d’une union intime avec Jahvé. Par suite des sages lois d’après lesquelles ils seront gouvernés, la paix intérieure régnera, Deut., iv. 6-8. La sécurité extérieure ne sera pas moins grande, parce que Jahvé anéantira tous leurs ennemis, Ex., xxiii, 22-27 ; Deut., xxviii, 7. Ils seront préservés de toute maladie, de sorte qu’ils atteindront un âge avancé, Ex., xxiii, 25-26. A la santé et à la longévité des hommes, correspondra une fertilité prodigieuse du sol, Ex., xxiii, 25. Les produits en seront si abondants qu’il n’y aura jamais de pauvres en Israël, Deut., xv, 4, et que les autres peuples viendront emprunter chez lui, Deut., xxviii, 12. Israël progressera toujours et ne reculera jamais, Deut., xxviii, 13.

Moïse en effet voyait tous les vœux qu’on pouvait formuler pour l’avenir du peuple élu se réaliser dans la Terre promise, où coulaient le lait et le miel. Chez les prophètes écrivains nous rencontrons la plupart de ces faits comme traits caractéristiques de l’ère messianique. Dans un certain sens on pourrait dire que l’entrée en Palestine a été pour Moïse l’ouverture des temps messianiques, étant donné surtout qu’il a pris l’époque inaugurée par la conquête de Canaan pour l’état définitif de son peuple.

Aucun indice ne montre qu’il ait prévu que cette situation serait remplacée par une autre plus parfaite. Bien des fois on a affirmé le contraire en se fondant sur Deut., xviii, 15 : « Jahvé ton Dieu te suscitera de ton milieu un prophète comme moi ; c’est lui que vous devez écouter », et en expliquant ces paroles dans ce sens que Dieu ferait surgir un jour un chef aussi éminent que Moïse qui jouerait un rôle aussi important que le fondateur de la religion israélite, et serait l’initiateur d’une ère nouvelle. Déjà les Juifs contemporains du Christ, Joa., vi, 14 ; vii, 40, saint Pierre, Act., iii, 22, saint Etienne, Act., vii, 37, ont ainsi compris ce texte et l’ont appliqué au Messie. Mais, d’après le contexte qui précède et qui suit, il faut prendre < prophète » dans le sens collectif. Moïse, après avoir mis les Israélites en garde contre les sorciers et devins païens, leur promet qu’ils auront une suite ininterrompue de prophètes, par l’intermédiaire desquels Jahvé entrera en com-