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MESSIANISME, PROMESSES FAITES AUX PATRIARCHES


fils sont nommés ensemble, Gen., v, 31 ; ix, 18 ; x, 1, on lit Sem, Cham et Japhet.

Pour toutes ces raisons la critique commence à, chercher le fond historique de la soi-disant prédiction de Noé dans une situation ethnographique beaucoup plus ancienne et plus compliquée. C’est ainsi que Gunkel et Procksch la rapporteraient au milieu du deuxième millénaire, au moment où des peuples sémites et aryens envahirent Canaan et les pays limitrophes. Il y serait annoncé que ta rice aryenne supplantera la race sémitique. Mais cette explication, bien qu’elle corresponde mieux à la teneur des paroles bibliques, ne peut pas non plus être juste ; car les Sémites et les Japhétites n’y sont pas conçus comme ennemis — - « qu’il habite » invite à une cohabitation paisible des deux races conformément à : a noble entente de leurs pères — et nos connaissances des relarions de i ifférents peuples dans l’Asie antérieure au deuxième millénaire sont beaucoup trop vagues

— Gunkel le reconnaît lui-même quand il appelle son interprétation un essai — pour fournir la base d’une interprétation historique des paroles de Noé.

Cet oracle n’a donc pas encore trouvé d’ « explication scientifique ». Sans doute, en face des résultats de la science préhistorique l’exégèse reçue présente de très grandes difficultés. Cependant on ne saurait nier que nous n’y ayons affaire avec une tradition très ancienne qui remonte au delà de l’origine de la nationalité israélite. Celui qui admet que, grâce à la Providence, l’épisode de la chute de l’homme et les paroles du protévangile ont été transmises à l’humanité postérieure, ne ressent aucune difficulté à supposer également pour l’histoire de Noé un fond historique. Dans tous les cas l’oracle est un texte messianique très ancien.

Voir les commentaires de la Genèse et la littérature générale.

La promesse faite à Abraham.

 Le privilège religieux

accordé à la race sémite par la bénédiction de Noé s’est réalisé en Israël. Déjà, lors de la vocation d’Abraham, Dieu lui fait des promesses on ne peut plus brillantes. Jahvé dit alors à l’ancêtre des Israélites : < Je ferai de toi une grande nation ; je te bénirai et" je rendrai grand ton nom ; tu seras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai celui qui te maudira et en toi seront bénis tous les peuples de la terre. » Gen., xii, 2-3. A deux autres moments solennels de la vie d’Abraham, le Très-Haut lui répète ces magnifiques paroles, en les étendant expressément à sa postérité. Gen., xviii, 18 ; xxii, 16-18 Plus tard il les adresse également à Isaac et à Jacob. Gen., xxvi, 4 ; xxviii, 14.

En compensation de ce qu’Abraham sur l’ordre divin quitte sa famille et sa patrie, il devient avec sa descendance non seulement l’objet, mais aussi l’instrument de riches bénédictions. Lui et sa postérité, qui deviendra une grande nation, ont une telle importance aux yeux de Jahvé que le salut des autres peuples dépendra de leur relation avec eux. Ceux qui s’approcheront d’Israël en amis seront bénis ; par contre ceux qui se comporteront en ennemis seront maudits par Dieu. Mais les nations auront part à la bénédiction divine, non seulement à cause d’Abraham et de sa postérité, mais aussi par leur intermédiaire. Dans ce sens Jahvé dit d’abord à Abraham : « Tu seras une bénédiction. » Comme par suite de sa révolte Adam avait été la cause de la malédiction de la terre, ainsi Abraham est par son obéissance une source de bénédiction. Le salut qui émanera de lui ne sera pas restreint à son proche entourage, mais parviendra à l’humanité tout entière : « En toi seront bénies toutes les nations du monde », xti, 3 ; « en ta postérité seront

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

bénies toutes les nations du monde. » xviii, 18. Comme dans ces phrases le verbe se trouve au niphal et au hitpaël, et que le sens primitif de ces conjugaisons est le sens réfléchi, la plupart des exégètes modernes, Gunkel, Procksch, Holzinger, Huhn, Budde, Jeremias, traduisent : <- En toi se béniront toutes les nations, » ce qui signifierait : elles désirent ton bonheur. Mais, comme d’une part le sens passif est beaucoup plus fréquent pour le niphal et se trouve quelquefois pour le hitpaël, comme d’autre part Abraham, xii, 2, vient d’être appelé un instrument de bénédiction, les exégètes qui, d’après l’exemple des Septante, de la Peschitto et de la Vulgate traduisent par le passif, Hummelauer, Dier, Hoberg, Kônig, Sellin donnent à la phrase un sens plus exact. Du reste le réfléchi « ils se béniront en toi, en ta postérité », revient indirectement au même : ceux qui se souhaiteront le bonheur d’Israël, le recevront ; car il consiste essentiellement dans le salut de Dieu, et en matière religieuse désirer sérieusement c’est obtenir. Or la connaissance leur en parvient sinon par l’enseignement, du moins par l’exemple d’Israël, de sorte qu’Israël reste le trait d’union entre Dieu et l’humanité.

La prédominance de la postérité d’Abraham est donc principalement prévue et prédite dans le domaine religieux. Accordée à cause de la foi héroïque du grand patriarche, elle est en premier lieu d’ordre spirituel : la religion d’Abraham aura un règne mondial ; Israël, après avoir obtenu le salut, en deviendra un jour le médiateur pour tous les hommes. Nous avons donc ici une promesse explicitement messianique et des plus élevées que la Bible ait jamais recueillies. Une conception aussi idéale de l’universalité du salut par Israël ne se rencontrera plus que dans Isaïe.

Cependant, malgré le caractère religieux de la bénédiction donnée à Abraham, Isaac et Jacob, toute préoccupation politique, matérielle, n’en est pas exclue, conformément au cadre terrestre du messianisme. On le voit déjà indirectement par l’annonce qu’Israël deviendra un grand peuple, dont les membres seront aussi nombreux que le sable de la mer et les étoiles du ciel. C’est d’ailleurs ce qui est formellement exprimé dans la promesse faite à Abraham lors de l’immolation d’Isaac : « Ta postérité possédera la porte de ses ennemis », xxii, 17, et davantage encore dans la bénédiction que Jacob reçoit de son père : « Que Dieu te donne de la rosée du ciel et des sucs de la terre, abondance de blé et de moût. Les peuples te serviront et les nations se prosterneront devant toi. » xxvii, 28-29.

Ainsi dès les premières promesses messianiques faites à Israël, à côté des vues les plus idéales et les plus universalistes, nous constatons des aspirations nationales et des conceptions matérielles du bonheur à venir. On ne doit pas s’en étonner quand on sait que les perspectives ultra-terrestres furent longtemps imprécises chez les Israélites.

Cette interprétation historique et messianique des oracles est abandonnée par bien des exégètes modernes. Parmi les protestants, seuls François Delitzsch, Orelli, Strack et surtout Kônig la maintiennent. Tous les autres, même ceux qui reconnaissent les patriarches comme des personnages historiques, tiennent pour des légendes le gros des récits qui les concernent. Les discours surtout seraient des fictions qui expriment les idées courantes des temps où les légendes prirent naissance. La plupart d’entre eux cependant admettent le caractère messianique des oracles en question. Sellin, Die isrælitisch-jùdische Heilandserwartung, 1909, p. 7 sq., et surtout Procksch, Genesis, p. 91, en relèvent le contenu religieux et éminemment eschatologique et réfutent Gunkel qui, Genesis, p. 164 sq.,

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