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24’MORE LE BIENHEUREUX THOMAS

quelque manière que ce lût. Le Il février 1531, le Parlement accordait au roi le titre de chef suprême de l’Église d’Angleterre, « dans la mesure où la loi du Christ le permettait ». More offrit aussitôt sa démission de chancelier qui ne fut pas encore acceptée. L’année suivante, Henri VI II obtenait du Parlement qu’il ôtât au clergé le droit de tenir des assemblées ou de faire des « constitutions » sans licence royale, et qu’il interdît le paiement à Rome des armâtes. La rupture avec la papauté paraissant désormais inévitable, More abandonna définitivement ses fonctions de chancelier, le 10 mai 1532.

II consacra dès lors toute son activité à poursuivre la controverse avec les hérétiques anglais, Tyndale, Joye, Barnes et Frith. Le premier ayant attaqué le Dialogue en 1530, il lui répondit par sa « Confutation », The confutacion of Tyndales answere (I™ part., 1532, IIe part., 1533), où il décrit les procédés de combat et les publications des protestants anglais, et défend contre son adversaire les jours de fête, les jeûnes, les cérémonies ; le libre arbitre ; l’usage de la croix et des images des saints ; les œuvres de charité ; la messe sacrifice expiatoire ; les prières pour les âmes des défunts ; la confession et la pénitence ; le célibat ecclésiastique. En 1533 paraissait sa lettre à John Frith, A letter… impugnynge the erronyouse wrytyng of John Fryth ; la même année il répondait par son « Apologie », The apology of Syr Thomas More Knight, à un homme de loi, Christophe Saint-Germain, qui avait écrit un « Traité sur la séparation entre le spirituel et le temporel », où s’exprimait l’anticléricalisme qui gagnait alors du terrain. More cherche surtout ici à défendre le clergé contre les reproches qui lui sont adressés pour la manière dont il traite les hérétiques, et revient sur les mêmes questions que ci-dessus. Saint-Germain répondit à More dans son dialogue intitulé « Salem et Byzance » (1533), et More à son tour répliqua, moins d’un mois après, par The Debellacyon of Salem and Bizance, le sujet de la discussion restant toujours le même. Son dernier ouvrage de controverse est consacré à la question de l’eucharistie, en réponse à « la Cène du Seigneur », The souper of the Lorde, traité anonyme daté du 5 avril 1533, que More attribuait à Tyndale, mais qui était en réalité de George Joye. Avant Noël 1533, la première partie de ce traité avait paru : The answere to… the souper of the Lorde ; elle était consacrée à l’exposition du vi « chapitre de l’évangile de saint Jean. Mais les épreuves qui, bientôt, allaient s’abattre sur More l’empêchèrent de mener son ouvrage à bonne fin.

En effet, dès le début de 1534, il était faussement accusé de complicité avec la « Sainte fille de Kent », qui avait prophétisé contre le nouveau mariage du roi. Poursuivi pour haute trahison devant la Chambre des Lords, il ne pouvait se faire entendre que devant une commission dont les membres étaient de dociles instruments du roi. Ceux-ci ne purent obtenir de lui ni approbation dudivorce, ni répudiation de l’autorité pontificale. Cependant la popularité de More était si grande, et son innocence si éclatante, que le roi dut abandonner les poursuites. Le 30 mars 1531, le Parlement faisait des seuls enfants d’Anne Bolcyn les héritiers éventuels du trône. Le 13 avril, More fut sommé de Jurer fidélité à la succession ainsi établie, en prêt.’int un serment dont le texte, illégalement rédigé, Impllquail l’approbation du divorce et le rejet de l’autorité pontificale. Sur son refus, ilfut enfermé le 17, ’ivrïl, : i La Tour’le Londres, où il profila de plus d’une année d’emprisonnement pour réaliser, dans la mortification et la prière, son ancien rêve de vie monastique, Il avait dès 1522 commencé un traité ascétique en.’malais sur les paroles : Mvmorare novissima, traité qui resta incomplet, Il employa cette fois ses

loisirs lorcés a composer son Dialogue pourle réconfort dans les tribulations », Dyalogue of Comforte agaynste tribulacyon, où sa description des dangers et des souffrances auxquelles l’invasion turque expose la Hongrie, si elle se refuse à l’apostasie, se rapporte en réalité à l’Angleterre menacée par la tyrannie royale. Il écrivit également en prison des prières, des méditations, un traité sur la passion, partie en anglais et partie en latin, et un fragment intitulé : Quod mors pro fuie non sit fugienda.

En novembre 1534, le Parlement accordait au roi, sans restrictions cette fois, le titre de chef suprême de l’Église d’Angleterre, et rendait coupables de haute trahison tous ceux qui auraient « malicieusement désiré » le priver de ce titre. More s’était abstenu depuis 1527 de prononcer la moindre parole qui pût ressembler à une provocation ; bien que désirant le martyre, il ne voulait point hâter imprudemment sa propre mort ; et il était allé jusqu’aux plus extrêmes limites pour concilier sa foi avec son loyalisme. Cependant son emprisonnement même était une protestation silencieuse. Il fut appelé devant le Conseil privé le 30 avril 1535, et sommé d’exprimer son opinion sur la suprématie royale. Il répondit qu’il ne s’occupait plus des choses de ce monde, et se bornait à méditer sur la passion du Christ et sur sa propre mort. Interrogé de nouveau le 3 juin, puis le 14, il refusa toute réponse aux questions précises qui lui étaient posées. Le 1 er juillet, il fut jugé par un tribunal spécialement composé à cet effet, et condamné à mort pour haute trahison. Se sentant alors dégagé de tout scrupule, il prit la parole pour condamner avec force la suprématie d’un souverain temporel sur l’Église. Le 6 juillet, More fut mené à l’échafaud, gardant jusqu’au dernier moment son calme et sa bonne humeur habituelle ; après avoir récité le psaume Miserere, il plaça lui-même sa tête sur le billot. La tête tranchée fut exposée au bout d’une pique sur le pont de Londres ; on ignore ce que devinrent ses restes.

Nous ne pouvons ici qu’indiquer d’un mot les qualités morales et intellectuelles de More, le solide bon sens et le pittoresque « humour » qui se révèlent dans ses écrits, sa simplicité et sa modestie, sa bonhomie parfois malicieuse qui recouvrait un fonds de vertus héroïques, la finesse et le charme qui le faisaient aimer de tous. Son exécution provoqua une vive indignation à travers toute la chrétienté. Une lettre envoyée de Londres à Paris et relatant le procès et le supplice de More fit rapidement le tour de l’Europe ; elle fut d’abord traduite en français, puis en allemand (deux versions au moins), en espagnol et ensuite en latin, sous le titre de Expositio fidelis de morte D. Thomse Mori, Paris, 1535. Dans cette dernière version, le récit est accompagné de commentaires assez surprenants, où la balance est tenue à peu près égale entre Henri VIII et son ex-chancelier. On a voulu voir dans cette ambiguïté la marque propre du caractère d’Érasme, à qui l’on a pour cette raison souvent attribué V Expositio, mais, semble-t-il, à tort (cf. Van Ortroy, Vie du bienheureux martyr Jean Fisher, Bruxelles, 1893, p. 35). Dans un poème dont l’attribution n’est pas douteuse, Incomparabilis… D. Erasmi… carmen heroicum, Haguenau, 1536, Érasme condamne au contraire, en des termes indignés, la conduite de Henri VIII envers More, sa politique religieuse et son rejet de l’autorité papale. En 1886, Thomas More a été déclaré bienheureux par un décret de la Congrégation des Rites, Sun procès de canonisation est actuellement en cours d’instruction (1027).

II. La pensée religieuse DE More et l* « Utopie ».

— L’activité littéraire de More se répartit entre deux périodes dont nous avons marqué plus haut la limite et qui se distinguent par une orientation différente.