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MESSIANISME, LA BÉNÉDICTION DE NOÉ


bable, on rappelle surtout que les Babyloniens et les Assyriens ont représenté les divinités des enfers sous forme de reptiles. Cette explication, pour spécieuse qu’elle soit à première vue, n’en est pas plus admissible. Qu’on accumule tant qu’on voudra, avec Hehn et Diirr, le, matériaux pour prouver qu’en Babylonie les démons infernaux étaient représentés comme des serpents, rien dans notre texte ne fait allusion au caractère infernal et démoniaque du serpent qui séduit Adam et Eve : il est expressément présenté comme une bête des champs, créée par Dieu. L’intelligence, l’art de parler et de séduire sont sans doute des dons étrangers à un serpent, mais ils ne suffisent pas à faire de lui un démon.

Si le serpent n’est ni une bête, ni un démon, s’il n’est pourtant pas un être fantastique, mais une réalité, ne serait-ce pas qu’il est la désignation symbolique de la puissance qui a fait succomber l’homme ? « Le serpent était… une apparition symbolique de l’immatériel principe mauvais. » Hoberg, Katechismus der messianischen Weissagungen, 1915, p. 10. Ce caractère symbolique du serpent n’est pas inconcevable ; car, bien que les premiers chapitres de la Genèse rapportent une histoire vraie, ils contiennent cependant des traits où la Commission biblique autorise à reconnaître un sens métaphorique, par exemple, le cadre des six jours de la création, le fait que Jahvé se promène vers le soir dans le jardin d’Éden. Dès lors, le serpent ne pourrait-il pas être regardé comme le symbole de la puissance séductrice ? Celle-ci n’est pas nommée explicitement dans Genèse, ni. Ce n’est que dans un des derniers livres de l’Ancien Testament, Sap., ii, 24, et dans les écrits du Nouveau, Joa., viii, 44 ; Apoc, xii, 9, 14 ; xx, 2, que le diable est clairement indiqué comme ayant causé la perte du bonheur paradisiaque. L’auteur sacré a pu penser au monde créé en tant que par ses attraits il tend à détourner l’homme de Dieu ; voir Kônig, Die messianischen Weissagungen, 1925, p. 80.

Ni le Sauveur ni le tentateur diabolique ne sont donc expressément désignés dans le protévangile. Mais de même que le premier est renfermé dans la descendance d’Eve, le second l’est tout autant dans la puissance séductrice.

Le sens religieux qui résulte du protévangile est donc le suivant : le genre humain reçoit l’ordre de lutter contre la puissance séductrice qui tend à le détourner de Dieu, et il reçoit en même temps l’assurance de sortir vainqueur du combat bien que « le serpent » doive continuer à lui tendre des embûches.

Ainsi le protévangile garde sa valeur comme première prophétie du salut, et doit être pour cette raison considéré comme implicitement messianique.

Les commentaires de la Genèse de C. F. Keil, 1878, Fr. Delitsch, 1887, A. Tappehorn, 1888, A. Dillmann 1892, Hummelauer, 1895, H. J. Crelier, 1901, Neteler, 1905, H. Strack, 1905, G. Hoberg 1908 ; M. Hetzenauer, 1910, A. Fillion, 1913, O.Procksch, 1913, G. Dier, 1914, L. Murillo, 1914, II. Gunkel, 1910, 1917, H. Holzinger, 1921, E. Kônig, 1919, 1925.

M.-.J. Lagrange, L’innocence et le péché, dans Revue biblique, 1897, p. 341-379 ; V. Zapletal, Altlestamenlliches, 1903, p. 16-25 : Das Strafgericht nacli dern Siindenfall ; M. Flunk, Die frohe Botschaft aus der Urzeit, 1904 ; G. I.asson, Des Menschen Schuld und Schicksal nach 1. Moscs, 2-3, 1908 ; YV. Kngelkemper, Das Protoevangelium, dans Biblische Zeitschrift, 1910, p. 351 sq. ; J. Feldmann, Paradies und Siindenfall, 1913 ; J. Meinhold, Die Erzàhlungen vom Paradies und Siindenfall (Gen., ii, iii), dans Budde-Feslschrift, 1920, p. 122 sq. ; A, Brassac, La chute de nos premiers parents (Gen., iii), dans Revue pratique d’apologétique, 1920, p. 502 sq. ; E. O. James, Theoriginandfallofman (Gen., r-m) dans Theologu, 1921, p. 16, sq., p. 78 sq. ; J. Hehn, Zur Paradiesesschlange, dans Festschrift fur Seb. Merklc, 1922, p. 137 sq. ; A. -H. Krappe, The slory of the fall, dans

Am. Journ. of Sem. Lang, 1926-27, p. 236 sq. ; K. Fruhstorfer, Weltschôpfung und Paradies nach der Bibel, 1927.

2° La bénédiction de Noé.— Dans le cadre de l’histoire primitive de l’humanité un second texte appartient au même genre de messianisme que le protévangile, savoir les paroles prononcées par Noé après l’irrévérence du cadet de ses fils, et la conduite respectueuse de ses deux autres enfants Sem et Japhet. Gen., ix, 25-27 :

25. Maudit soit Chanaan ! Qu’il soit l’esclave de ses frères !

26. Béni soit Jahvé, le Dieu de Sem ! Que Chanaan soit

son esclave !

27. Que Dieu donne de l’étendue à Japhet, et qu’il (Japhet)

habite dans les tentes de Sem et que Chanaan soit son esclave !

Tandis que le fils insolent est maudit et dégradé jusqu’à être le plus vil serviteur de ses frères, les deux autres sont bénis. Sem reçoit une bénédiction toute spirituelle : Jahvé entrera dans une relation si intime et si particulière avec lui qu’il est nommé le Dieu de Sem, comme plus tard le Dieu d’Abraham. Japhet est béni au point de vue matériel par l’élargissement extraordinaire de son domaine ; en outre comme hôte de son frère il prendra part au privilège religieux de Sem (qu’il habite se rapporte à Japhet et non à Jahvé comme le supposent Hoberg, Die Genesis ùbersetzt und erklàrt, 1908, p. 106, et Volck, Noe, dans Protest. RealencyclopMie, t. xiv, p. 146).

Il est évident que les sentences de Noé ne sont pas seulement des prédictions sur le sort de ses fils, mais en même temps sur le destin de leur descendance, en particulier sur le fait que les Sémites seront les favoris de Dieu, par l’intermédiaire desquels le Très-Haut se communiquera aux autres hommes. Elles contiennent « la première allusion à l’élection future d’Israël ». Volck, op. cit.

A cette conception traditionnelle de l’oracle de Noé celle des critiques s’oppose diamétralement. Pour eux l’épisode dont ces paroles font partie est une légende inventée dans le but d’expliquer les relations de certains peuples de l’époque. « L’explication scientifique » en doit consister, comme dit Gunkel, Genesis, p. 81, dans la recherche des peuples et du temps auxquels il est fait allusion. D’ordinaire on y reconnaît la situation du règne de David ou de Salomon (Wellhausen, Stade, Budde, Holzinger) : Sem serait le nom d’Israël qui est devenu le maître absolu de Canaan et dont les Cananéens, descendants de Cham, sont devenus les esclaves ; Japhet, l’hôte de Sem, désignerait les Philistins, les Phéniciens ou bien les Hittites.

Mais, d’abord, il est tout à fait arbitraire de prendre Sem pour un nom propre d’Israël et encore davantage d’identifier Japhet à un des trois peuples susnommés. Ensuite il est invraisemblable qu’un Israélite du temps des premiers rois ait formulé des vœux pour l’agrandissement du domaine d’une nation voisine. Enfin le nom de Chanaan est tout à fait secondaire, de sorte que celui qui fut maudit ne représentait pas non plus primitivement un seul peuple. Il est vrai que le texte actuel nomme Chanaan. Mais Cham a commis le péché et Cham a dû être puni, de sorte que le plus simple est de supposer avec Kônig, Die messianischen Weissagungen, p. 90, que le texte original des ꝟ. 25-27 contenait le nom de Cham, et que plus tard, lorsqu’en Palestine les Israélites constatèrent que la dépravation de l’ancêtre se manifestait d’une manière rebutante chez ses habitants, il fut remplacé par celui de Chanaan. Pour expliquer cette énigme de la mention de Chanaan, on ne peut, comme le font beaucoup d’exégôtes recourir à une double tradition du Jahviste dans l’une desquelles le fils mauvais aurait été appelé Cham et dans l’autre Chanaan ; car chaque fois que les trois