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MESSE DANS LA LITURGIE, LA MESSE ROMAINE


par le grégorien était l’oraison super sindonem dont le grégorien n’a gardé que le Dominas vobiscum et Yoremus. Quant à la prière des fidèles, il faut convenir qu’elle a purement et simplement disparu dans la messe romaine, sans laisser d’autres traces que les prières du vendredi saint et peut-être quelques autres formules litaniques égarées dans certains recueils.

D’une façon générale, on reconnaîtra cependant que nous avons gardé assez fidèlement le cérémonial de l’offertoire, tel que nous venons de le décrire, avec quelques additions qui n’en altèrent pas le caractère. Le Suscipe sancte Pater, VOfjerimus tibi, Vin spiritu humilitatis, le Veni sanctificator omnipotens, le Suscipe sancta Trinitas, même l’orate fratres et la réponse ont été ajoutés plus tard et trahissent par leur style même l'époque de leur composition ; ces prières accompagnent chacun des gestes que fait le prêtre pour recevoir l’hostie sur la patène, offrir le calice, bénir les oblats. Parmi toutes ces prières une seule fait exception, le Deus qui humanse substantise pour le mélange de l’eau et du viii, qui est tirée du léonien.et qui est d’un sens théologique très, profond. Elle fait allusion à la distinction des deux natures dans le Christ et à la participation du fidèle à la vie divine. Ce n’est pas à dire que les autres prières soient négligeables, mais ce sont plutôt des prières de piété privée « des prières de messe basse », comme dit heureusement Mgr Batiffol, ainsi le Suscipe, sancte Pater, où le prêtre semble oublier pour un moment les fidèles pour parler de cette Hostie, quam ego indignas famulus tuus, etc. Le Veni, sanctificator omnipotens, a aussi une importance spéciale du fait qu’il a été considéré, sans fondement suffisant du reste, comme une épiclèse ; mais son origine tardive suffirait à faire écarter cette hypothèse. Le Suscipe, sancta Trinitas, a aussi son histoire, et l’on en trouve de nombreuses variantes dans les manuscrits du Moyen Age.

L’encensement de l’autel avec les prières qui l’accompagnent est une importation gallicane.

Tout ce qui précède justifie la remarque d’Ed. Bishop qui nous paraît essentielle et qui explique bien le caractère de la liturgie romaine ancienne. C’est une liturgie rationnelle, logique, pratique, qui élimine le superflu ou l’ornement, et n’abuse pas du symbolisme. « Le symbolisme, dit-il, il faut bien en convenir, n’est pas né sur le sol romain et ne procède pas directement de l’esprit romain. » La liturgie romaine ancienne est d’un esprit sobre, pleine de dignité et de grandeur dans sa simplicité ; elle est classique si l’on peut dire. L'élément dramatique, émotionnel, poétique, romantique enfin, pour user d’un terme à la mode, mais bien expressif, il faut le chercher ailleurs dans les liturgies orientales ou dans les liturgies mozarabe, gallicane ou celtique ; on peut dire que la plupart des rites qui présentent ce caractère dans la liturgie romaine sont d’importation étrangère, surtout gallicane, et d’un âge postérieur à la période du ve au viie siècle.

La secrète qui suit VOrate fratres, correspond à la collecte ; elle est, comme cette dernière et comme la postcommunion, élégante dans sa brièveté, d’une précision et d’une profondeur théologique souvent remarquable, bien loin de la prolixité des oraisons orientales, mozarabes ou gallicanes, en un mot pleinement romaine. En règle générale elle fait allusion aux dons qui, on se le rappelle, ont été apportés sur l’autel par les fidèles, et au mystère qui va s’opérer par la consécration. Ces munera et dona étaient en même temps qu’une contribution aux frais du culte qu’il était équitable de faire supporter par toute la communauté chrétienne, une manifestation publique de la part que les fidèles étaient invités à prendre dans l’action même du sacrifice. Des théologiens récents

n’ont pas eu tort de mettre ce fait en relief pour rappeler que l’offrande et le sacrifice de la messe sont tout d’abord le sacrifice de toute l'Église. Il suffit de relire quelques-unes de ces secrètes pour se convaincre qu’elles sont la prière du prêtre dite au nom de tous, pour offrir à Dieu ces offrandes que Dieu retournera en bénédictions spirituelles sur ceux qui les ont présentées. La liturgie romaine si vraie, et je dirai si réaliste dans son style, risque même plus d’une fois le mot de sacriftcii veneranda commercia, l’homme apportant ses dons terrestres, et Dieu lui donnant en échange ses dons spirituels. Il n’est pas non plus téméraire de chercher dans ces faits anciens l’origine et la justification des honoraires de messe. Voir la thèse du P. de la Taille dans son Mysterium fulei, et dans une dissertation spéciale, Esquisse du mystère de la foi, Paris, 1924 ; voir aussi Batiffol, Leçons sur la messe, p. 146 sq.

On a traité en son lieu la question des Azymes, cf. art. Azymes, qui a soulevé bien inutilement, semblet-il, tant de disputes entre l’Orient et l’Occident. Rappelons simplement que, si Rome elle-même a usé pendant un temps de pain levé, on trouve aussi en Orient des Églises qui ont usé du pain azyme.

Le nom de secrète donné à l’oraison d’offertoire parce qu’elle est en effet, et depuis de longs siècles, dite à voix basse, rappelle une controverse célèbre sur le secret des mystères, la question étant de savoir si à l’origine cette prière et les autres parties de canon se disaient à voix basse, ou à haute voix. Elle a perdu aujourd’hui beaucoup de son importance, et nous nous contenterons de renvoyer ceux qui voudraient être renseignés plus en détail sur ce point, à notre article Amen du Dictionn, d’archéol.

Anaphore. — La préface est reliée aujourd’hui à la secrète ou aux secrètes. Nous ne reviendrons pas sur ce qui a été dit dans les paragraphes précédents sur l’anaphore primitive qui dut être d’une seule venue, à en juger par les témoignages de saint Justin, par la tradilio apostolica d’Hippolyte et par quelques autres vestiges. L’anaphore romaine est coupée aujourd’hui en plusieurs tronçons ; une première division est opérée par le Sanctus qui est devenu dans les messes romaines l’aboutissement naturel de la préface ; après quoi commence le canon missse, titre qui autrefois était rejeté avant la préface. Dans le canon missæ lui-même, le mémento des vivants et celui des morts forment deux autres enclaves. Si l’on admet l’hypothèse bien séduisante, et du reste appuyée sur les rapprochements liturgiques des plus vraisemblables, que le mémento des vivants et celui des morts étaient primitivement dans la liturgie romaine, comme dans la plupart des autres, à l’offertoire et qu’ils ont été transportés postérieurement dans le canon, comme le sanctus, on retrouve dans notre canon une anaphore conforme au dessin primitif, qui consiste en une seule prière sans interruption du dialogue de la préface à la doxologie finale per ipsum… est tibi Deo Palri… omnis honor et gloria per omnia ssecula sœculorum. Amen. Nous avons aussi la preuve que les termes sanctum sacrificium, immaculatam hostiam furent ajoutés par saint Léon, probablement comme une protestation contre les manichéens, et le diesque nostros par saint Grégoire, comme une prière en faveur de la paix. Le Liber pontificalis a enregistré ces retouches et quelques autres faites par les papes au canon romain ancien. Cf. P. Lejay, Le Liber pontificalis et la messe romaine, dans Revue d’histoire et de littérature religieuses, 1897, t. ii, p. 182-185. Malgré toutes ces altérations et additions, le canon romain se présente à nous avec une respectable antiquité, et notre formule actuelle est à peu près ce qu’elle était au commencement du vi° siècle, et même au ve siècle.