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MONOPHYSISME, SECTES DERIVEES


qu’on appela la secte des Agnoètes, ’AyvoîJTai, tandis que le gros des sévériens prit alors le nom de Théodosiens, ©soSocnocvoL Voir l’article Agnoètes, de ce Dictionnaire, t. i. col. 586-596 ; à compléter par la monographie de Joseph Maritch, De agnoetarum docjrinu, Zagreb, 1914.

A l’extrême opposé des agnoètes et dans le camp même des théodosiens, par réaction sans doute contre Thémistius, naquit, vers 570, la secte des niobites, dont le père fut le sophiste alexandrin, Etienne Niobé. Pour couper court à toute discussion sur l’ignorance de l’humanité du Christ, Etienne enseigna que l’ëvcoaiç de l’incarnation était tellement forte et étroite qu’il n’était plus permis de parler de différence des natures, ou de la divinité et de l’humanité, après l’union : oôâè tt)v Stacpopàv tûv çûaewv lstol tt)v ëvcoaiv awÇeaGai àvéxovToa ebceïv, dit Timothée, op. cit., col. 63. Tout en se réclamant de Sévère, ces sectaires rejoignaient sur le terrain de la terminologie christologique les actistètes julianistes, et ne pouvaient plus guère s’exprimer que comme de véritables eutychiens.

Le trithéisme de Jean Philopon.

Une source

particulièrement féconde de divisions et de sectes parmi les sévériens ou théodosiens fut ce qu’on a appelé le trithéisme, qui parut dans la seconde moitié du vi siècle. Les origines du trithéisme sont fort obscures. Il faut en attribuer la première paternité au Syrien Jean Asquçnâgès, originaire d’Apamée, qui condensa son système dans un ouvrage sur la Trinité qu’il n’eut pas le temps de publier, sans doute parce qu’il mourut en exil vers 560. Ce système tient tout entier dans la courte profession de foi qu’il fit à Constantinople devant l’empereur Justinien, en 557, au témoignage de Barhebræus, Gregorii Barhebrsei chronicon ecclesiasticum, éd. Abbeloos et Lamy, t. i, Louvain, 1872, p. 225-227 : « Je reconnais, dit-il, dans le Christ une seule nature du Verbe incarné ; mais dans la Trinité je compte autant de natures (cpôaeiç). et d’hypostases (Ô7t6aTaa£t, < ;) fet de déités, 0e6rr)Taç 1 Jque de personnes (rcpàacorox) ». Cette formule, mis à part le mot OsÔTïjTaç, qui ne doit pas être authentique, serait une énigme difficilement déchiffrable, si nous n’avions, pour la comprendre, quelques extraits des œuvres d’un disciple de Jean Asquçnâgès, devenu bientôt plus célèbre que lui, au point de passer pour le véritable fondateur du trithéisme. Ce disciple est l’Alexandrin Jean Philopon, philosophe aristotélicien de renom autant que monophysite fervent qui, avant de se faire un nom dans l’histoire des hérésies, avait commenté la plupart des ouvrages du Stagyrite. Voir l’article Jean Philopon de ce Dictionnaire, t. viii, col. 832. C’est à lui que fut remis par l’intermédiaire d’un certain Athanase devenu patriarche d’Alexandrie en 566, le traité non publié de Jean Asquçnâgès sur la Trinité. Cf. J. Maspéro, op. cit., p. 196-201. Philopon s’enthousiasma pour la trouvaille du philosophe syrien. Il se l’assimila, l’élabora à sa manière et codifia, en un volume malheureusement perdu, ce qu’on a appelé du mot trompeur de trithéisme.

Ce système nous est surtout connu par l’exposé qu’en ont fait ses adversaires, tels que le prêtre Timothée de Constantinople, op. cit., col. 44, 61, 64 ; l’auteur du De sectis, toc. cit., col. 1233 AI3, Photius, Bibliotheca, coi. 21-24, 43, 50, 55, 56, 215, 240. Saint Jean Damascône nous a heureusement conservé un long extrait de l’ouvrage de Philopon intitulé AiatTrjTrjç, L’arbitre, De liirrcsibus, 83, P. Ci., t. xc.iv, col, 7 14-754, et Michel le Syrien donne sous le nom de T[i.Y)[iaTa un résumé détaillé de la diatribe du même contre le concile < ! < Chalcédolne, KocTà ttjç TETâpnr, ç auv680u, Chronique, éd. Chabot, t. ri, p. 92-121. Grâce à ces renseignements épars, on peut reconstituer assez bien

le système d’Asquçnagès et de Philopon. C’est une tentative habile pour établir l’uniformité entre la terminologie trinitaire et la terminologie christologique des monophysites sévériens, et répondre ainsi à l’objection que les catholiques faisaient continuellement à ces derniers : « Vous êtes inconséquents avec vous-mêmes : vous donnez au mot çuaiç un sens différent suivant qu’il s’agit du mystère de la Trinité ou du mystère de l’incarnation. Quand vous parlez de la Trinité, vous distinguez nettement entre çûatç et ûn6ata.ai.( ;  ; vous dites avec nous : une cpùaiç et trois hypostases ou prosopa en Dieu. Au contraire, quand vous parlez du Christ, que vous reconnaissez être Dieu et homme tout ensemble, vous ne voulez plus admettre de distinction entre <pûatç et ûtcôgzolok ; ou 7rp6acoTtov. Vous refusez de dire avec nous et avec le concile de Chalcédoine : une seule hypostase du Verbe incarné et deux çûctsiç ou natures, la çôaiç divine et la <pùaiç humaine. » Nous avons entendu, col. 2222, Sévère d’Antioche reconnaître expressément cette différence de signification du terme cpûcfiç dans les deux cas. Sans conteste possible, c’était là le point faible de tout l’échafaudage verbal des monophysites. Pour le faire disparaître et attaquer en même temps les chalcédoniens sur leur propre terrain, Asquçnâgès et Philopon transportent hardiment la terminologie monophysite de la christologie dans la théologie trinitaire. Ils posent en principe qu’il n’y a pas de nature impersonnelle. Toute nature ou <pûat, ç concrète et réellement existante est nécessairement une hypostase ou une personne, qu’il s’agisse de Dieu ou des hommes. Pour démontrer ce principe, ils en appellent à la fois à la philosophie d’Aristote et au dogme catholique. Ils peuvent se prévaloir même de l’autorité de saint Basile de Césarée qui, ayant à formuler le dogme de la Trinité, a donné de la nature et de la personne une notion superficielle et vulgaire, à la portée de tous, suffisante pour le but qu’il se proposait : La nature <pôaiç, ouata, est ce qui est commun dans les individus de même espèce (x6 xotv6v), qu’ils possèdent tous également, et qui fait qu’on les désigne tous sous un même vocable. Cette ouata, cette <pûat.ç commune, n’existe pas comme telle. Pour exister réellement, elle a besoin d’être complétée par des caractères propres, des notes individuantes, qui la déterminent et la circonscrivent. Une fois revêtue de ces notes caractéristiques, la çôaiç commune devient hypostase et personne. C’est la <pûaiç concrète, la seule qui existe dans la réalité. La çôatç concrète est nécessairement hypostase et personne.

Cette notion basilienne de la nature et de la personne cadre assez bien avec la distinction aristotélicienne de la nature abstraite et universelle, commune à plusieurs individus de la même espèce, qui n’existe pas comme telle dans la réalité, et de la nature concrète et individuelle, qui ajoute aux éléments communs de la nature abstraite et universelle les notes individualités, pour former l’individu réellement existant, Vhypostase ou personne. Cette nature concrète, Aristote l’appelle indifféremment p.eptx’J) ouata (par opposition à la xoivJ) ouata), quiaiç, ôiréaTaaiç, a-rofxov. Ce sont pour lui des termes synonymes. C’est sur ce point précis de terminologie, que saint Basile et avec lui [’Eglise catholique ne s’entendent plus avec le philosophe. Au iv siècle, l’feglise est arrivée, après de longs débals compliqués de logomachies, à unifier le parler théologique, quand il s’agit de la Trinité : il y a en Dieu une seule ouata ou cpiiatç et trois ôrroaTâaeiç ou npôatùnct. Par une abstraction de l’esprit et une sorte d’anthropomorphisme, la nature divine, prise comme telle, est considérée connue un élément commun à trois hypostases ou personnes, tout comme la nature humaine, prise comme telle, c’est-à-dire