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MOLINISME, MODALITÉS DIVERSES


mais estimèrent qu’une condamnation serait prématurée. Bellarmin et du Perron affirmèrent au contraire que la prédétermination physique était calviniste, sans cependant souhaiter qu’elle fût condamnée.

Paul V prit alors la parole : « Le concile de Trente a défini, dit-il, la nécessité, pour le libre arbitre, d’une motion divine. Ce qui fait difficulté, c’est de savoir si Dieu le meut physiquement ou moralement. Sans doute, il serait souhaitable que la controverse à ce sujet soit dirimée ; mais ce n’est pas nécessaire. En effet, l’opinion des frères prêcheurs est très éloignée du calvinisme, puisqu’ils disent que la grâce ne détruit pas la liberté mais la parfait, et qu’elle fait agir l’homme selon sa nature, c’est-à-dire librement ; d’autre part les jésuites se distinguent des pélagiens, en ce que ceux-ci ont affirmé que le point de départ du salut vient de nous, tandis que ceux-là pensent exactement le contraire. Puisqu’il n’est pas nécessaire d’en venir à une définition, l’affaire peut être différée jusqu'à ce que le temps porte conseil. Si quelqu’un enseigne des erreurs, le Saint-Office est là qui pourra s’y opposer. Que les censeurs et les orateurs rentrent donc chez eux, et gardent le secret sur ce qui s’est dit et fait. »

Tous les cardinaux s'étant ralliés à cette déclaration, le pape la communiqua aux généraux des deux ordres, ajoutant qu’il promulguerait en temps opportun la décision qu’on attendait de lui, mais qu’il punirait sévèrement quiconque noterait de censure l’une ou l’autre opinion. Il souhaitait qu’on s’abstînt désormais de paroles dures ou amères. Texte communiqué par Aquaviva à ses subordonnés, le 5 sept. 1607 ; dans Schneemann, p. 292-293, et Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1090.

Ainsi finit, en quelque sorte par un non-lieu, la longue instruction contre le molinisme, qui fut l'œuvre des congrégations De auxiliis.

5. La pseudo-bulle Gregis dominici.

Des thomistes ont prétendu après coup que Pie V n’avait

cédé qu'à des considérations d’ordre politique, mais que son intention était bien de condamner Molina, et qu’en réalité il l’avait fait. Ils ont même exhumé une bulle, Gregis dominici, prête à être publiée, où se trouverait exprimée la véritable pensée du pape. Cette fable fut reprise plus tard par les jansénistes. On la trouve exploitée encore dans l’Histoire générale du mouvement janséniste d’Augustin Gazier, Paris, 1922, t. i, p. 38 sq., qui reproduit en appendice, t. ii, p. 297-302, les 43 propositions dont nous avons parlé plus haut, sous le titre de « propositions erronées extraites du livre de Molina et condamnées par la bulle inédite de Paul V en 1607°.

En réalité, il s’agit là d’un projet présenté par l’un des censeurs, l’archevêque d’Armagh. Il n’est pas, du reste, le seul de son espèce : on peut lui opposer un projet analogue, préparé par un autre censeur, Bovius, mais favorable à Molina. Ce sont, l’un comme l’autre, des documents d’ordre privé, qui ne reçurent jamais d’approbation officielle et qui restent par conséquent sans valeur théologique ou disciplinaire.

On comprend dès lors pourquoi, le 8 janvier 1608, Paul V fit écrire en Espagne, par Thomas de Lemos, contre les « fables » qui déjà y circulaient : Certissimum est nihil a S. D. N. definitum esse. Immo post reserimtam sibi determinationem, eam etiamnum animo medilatur et tractai. Quapropter qui oppositum afjirmant aut divulgant, summæ impudentiæ rei sunt et injuriée quæ sanctitati sua ? et apostolicæ Sedi irrogedur. (F. de Lemos, Acta omnia congre gationum, col. 1362-1363.) Un demi-siècle plus tard, dans son décret contre les jansénistes, du 23 avril 1654, Innocent X déclarera de même : autographo sive exemplari præ diclæ assertse constitutionis Pauli V nullam omnino esse fidem adhibendam.

6. Derniers remous.

Paul V avait-il dit son dernier mot ? Il avait laissé entrevoir une intervention ultérieure. Était-il possible que l’enseignement du molinisme fût désormais libre ? S’il en était ainsi, c'était donc pour les jésuites un triomphe ? La joie que manifestèrent bruyamment les membres de la société montrait assez leur sentiment à cet égard. Pour naturelle qu’elle fût, elle n’en parut pas moins à leurs adversaires une provocation. Les controverses reprirent d’abord timidement, puis ouvertement. Dès 1610 deux ouvrages parurent même, l’un à Rome, l’autre à Anvers, dont les auteurs, Alvarez, O. P., De auxiliis gradée, et Lessius, S. J., De gratia effwaci, attaquaient vivement le système opposé à celui qu’ils adoptaient. De nouveau, les dominicains et la cour d’Espagne se mirent à faire pression sur Paul V pour obtenir de lui une décision formelle.

Peine perdue. Paul V se contenta de renforcer les mesures prises par lui pour ramener Ja paix : le 1 er décembre 1611, il publia la défense de faire imprimer quoi que ce soit sur la question de la grâce, fût-ce sous la forme d’un commentaire de saint Thomas, sans l’autorisation de l’Inquisition. Urbain VIII, par décrets du 22 mai 1625 et du l"août 1641, confirma cette prohibition en l’aggravant de menaces : privation du pouvoir d’enseigner ou de prêcher, excommunication, etc. Denzinger, p. 340, note. Innocent X la renouvela encore en 1654, par son décret cité plus haut.

Ces interventions réitérées, jointes aux efforts sincères des généraux des deux ordres, amenèrent peu à peu l’apaisement des esprits. Mais le feu couvait encore sous la cendre quand les jansénistes vinrent rallumer l’incendie.

V. L’ESSENCE ET LES DIVERSES MODALITÉS DU MOLINISME. — La levée de boucliers contre la Concordia de Molina et les controverses qui s’ensuivirent ne furent pas inutiles. En dépit de la passion qui s’y mêla trop souvent et des paroles regrettables qui furent prononcées de part et d’autre, le travail de réflexion et de discrimination suivait son cours. Bellarmin écrivait, le 27 juillet 1602, à son agent de Rome : « Les Pères de la Compagnie qui défendent Molina, ne soutiennent pas que toutes les assertions de Molina sont vraies, mais ils soutiennent qu’elles ne sont point pélagiennes. » X. Le Bachelet, Auctarium Bellarminianum, p. 26. Les jésuites euxmêmes firent donc deux parts dans l'œuvre de leur confrère espagnol, selon qu’il s’agissait ou non d’idées que l’ordre entier reconnaissait ou acceptait pour siennes. De là l’obligation, pour nous, de distinguer le molinisme de Molina et celui de la Compagnie de Jésus, ou plutôt de discerner, parmi toutes les idées des molinistes, celles qui sont essentielles au système et celles qui sont particulières à tels ou tels auteurs. Nous ne nous placerons pas, pour le faire, au point de vue métaphysique qui nous entraînerait à de trop longues discussions, mais au point de vue historique et pratique ; appelant essentiels les points sur lesquels tous les molinistes sont d’accord, et secondaires les autres.
I. L’essence du molinisme.
II. Les modalités du molinisme (col. 2167).

I. L’essence du molinisme.— Le problème central des discussions soulevées autour de la Concordia était celui de l’infaillibilité de la grâce efficace.

Cette infaillibilité a-t-elle son origine ab intrinseco ou ab extrinseco ; provient-elle de la nature intime de la grâce efficace, de la puissance interne que Dieu lui a donnée pour mouvoir les volontés selon ses décrets absolus, ou bien faut-il en chercher la source en dehors de la grâce, pour mettre mieux en évidence la place de