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MOLINISME, LA QUESTION AVANT MOLINA


le 5 février, l’affaire fut portée devant le tribunal de l’Inquisition d’Espagne, à Valladolid, par le hiéronymite Jean de Santa-Cruz.

Le procès dura deux ans. L’Inquisition refusa de condamner les propositions qui lui avaient été soumises par Jean de Sauta-Cruz ; mais, par sentence du 3 février 158-1, elle défendit à Louis de Léon de les enseigner, en public ou en secret. On en trouvera le texte latin à l’art. Banez, col. 143. Elles disaient entre autres choses : « Le Christ a pu mériter, en mourant, à cause du motif qu’il a pu avoir. — Ce n’est pas parce que Dieu a voulu que je parle que je parle, c’est au contraire parce que je parle que Dieu a voulu que je parle. — -Dieu n’est pas cause de l’acte libre, mais seulement de sa cause. — La Providence s’applique aux œuvres bonnes en général, non en particulier, elle ne détermine pas la volonté à bien agir, mais c’est plutôt la cause particulière qui détermine l’acte de la Providence. Dire le contraire, est faux et luthérien. — Si Dieu donne un secours égal à deux hommes, l’un pourra se convertir, l’autre le rejeter. De fait, Pierre se convertira avec le seul secours suffisant de Dieu, sans aucun autre secours prévenant. — Dans la justification, l’impie détermine, par sa volonté, le secours suffisant de Dieu à son emploi actuel ; Dieu et la volonté de l’impie se déterminent mutuellement et simultanément. »

V. L’affaire Lessius a Louvain. — - Depuis le concile de Trente, l’université de Louvain avait été troublée longtemps par les erreurs d’un de ses maîtres : Baïus (voir ce mot). Apologiste, il avait à ce point subi l’influence de ceux qu’il combattait, qu’il avait pour ainsi dire anéanti le pouvoir de la liberté pour le bien. Les condamnations portées par Pie V, en 1567, et Grégoire XIII, en 1579, (Denz.-Bannw., n. 1001 sq.) n’avaient pu faire taire complètement le chancelier. Quand l’occasion s’offrit à lui de prendre l’offensive contre ses adversaires, il ne manqua pas de la saisir et de la pousser très activemsnt. Voir art. Baius, col. 49-57.

Un jésuite, Lessius, venu de Douai en 1585 pour enseigner la théologie au scolasticat de Louvain, publiait l’année suivante, avec son collègue Hamel, des Thèses theologiæ où il réfutait Baïus et énonçait, sur la grâce et la prédestination, des idées qui ne pouvaient que sonner étrangement aux oreilles du chancelier et de ses partisans. Aidé de son neveu et de son disciple Janson, celui-ci en tira diverses propositions qui furent déférées à la Faculté de Louvain. Lessius répliqua par la présentation de 31 conclusions résumant plus fidèlement sa pensée, et se réclama de la tradition des anciens lovanistes : Driedo, Ruard Tapper, Martin Bythove, etc. La faculté n’en censura pas moins, le 9 septembre 1587, trente et une propositions, comme contraires à la doctrine de saint Thomas et comme semi-pélagiennes. L’université de Douai renouvela cette censure, en des termes à peu près identiques.

Lessius répondit par une Apologia contra censuras (publiée par L. de Meycr, p. 755-785) et c’est ainsi que, pour la première lois, le Saint-Siège l’ut mêlé directement aux controverses sur la grâce. Six le Quint nomma une commission de cardinaux, qu’il chargea d’examiner les propositions incriminées, avec les explications que Lessius y avait jointes.

Un mémoire écrit à cette occasion par Bellarmin, pour le cardinal Madruccl, publié par L. de Meyer, p. 785 789, et par le P. Le Bachelet, dans Auctarium Bellarminianum, p. 94-100, expose le fond tr l’affaire, de Façon assez objective et assez claire. « Les discussions de Louvain, dit-il, découlent toutes d’une controverse relative à la coopération de Dieu avec le libre arbitre ; de là, des controverses sur la Providence, les grâces suffisantes et efficaces, la prédestination et la persé vérance*. » Voici, présentées par nous en tableau, pour plus de commodité, les oppositions qu’il signale :

La Faculté. Lessius

Coopération.

- Dans Dans tous ces actes. Dieu

tous les actes, naturels ou coopère avec la volonté li surnaturels, Dieu détermine bre ; mais elle se détermine

la volonté libre, avant (d’une elle-même, avec le concours

priorité de nature) qu’elle se et la coopération de

détermine elle-même ; d’où

Providence.

 La Providence a préordonné efficacement toutes choses,

avant d’avoir prévu la détermination des causes secondes ; d’où

3° Grâces suffisantes. Dieu ; d’où

La Providence n’a préordonné efficacement les actes libres et contingents qu’après avoir prévu la détermination des causes secondes ; d’où

Le secours suffisant est

Pas de secours vraiment sufdistinct du secours efficace ;

lisant qui ne soit efficace ; et et tous les hommes reçoivent

les hommes ne reçoivent pas un secours suffisant pour le

tous un secours suffisant salut ; d’où pour le salut ; d’où

Grâces efficaces.

Le Le secours efficace est

secours efficace est celui qui celui par lequel Dieu prédétermine activement la vovient l’homme en prévoyant

lonté ; et la grâce efficace ne peut être rejetée ; d’où

5° Prédestination.

La

que son appel sera suivi ; il peut donc être rejeté, mais ne l’est jamais ; tandis que le secours suffisant le peut et l’est souvent ; d’où La prédestination est une

prédestination est une pré- préordination de moyens par

ordination de moyens par lesquels les élus sont infail lesquels les élus sont infailliliblement sauvés, mais qui

blement sauvés, indépenprésuppose la prescience des

damment de la prescience de futurs conditionnels ; d’où ce que feraient les hommes s’ils recevaient tellesou telles grâces prévenantes ; d’où

Persévérance.

Il n’y Tous les justes reçoivent

a pas d’autre don de perseun don de persévérance par

vérance que celui par lequel lequel ils peuvent persévérer

persévèrent en fait ceux qui s’ils le veulent ; seuls les élus

reçoivent un don par lequel ils persévèrent en fait.

L'élection à la gloire dépend de la prescience des mérites.

persévèrent.

Élection.

L'élection

à la gloire est tout à fait gratuite et ne dépend pas de la prescience des œuvres bonnes.

Ce dernier point est secondaire, explique Bellarmin. et sans connexion avec les précédents ; d’ailleurs, Lessius n’en ramène pas moins l'élection à une pure grâce de Dieu, et son opinion ne saurait se confondre avec celle de Pighius et de Qatharin.

En définitive, les partisans de Baïus accusaient Lessius de pélagianisme ; tandis que ceux de Lessius accusaient Baïus de calvinisme. La commission cardinalice déclara les propositions de Lessius très défendables, et le pape envoya â Louvain le nonce Frangipani, avec mission d’arranger l’affaire. Celui-ci arriva au mois de juin 1588. se lit remettre un exemplaire de tout ce qui avait été écrit de part et d’autre, et déclara que c'était au pape seul de prendre une décision. A force de démarches, il finit par obtenir que les deux parties cesseraient, en attendant. de se censurer mutuellement.

VI. L’opposition a i.a parution du livre de Molina. — Au même-moment s’imprimait â Lisbonne la Concordia de Molina. L’ouvrage, présenté à l’exa men de l’Inquisition portugaise, avait été approuvé par le censeur délégué, le dominicain Harthélenix Ferreira, en termes très flatteurs. Mais déjà certaines phrases du livre, communiquées par Ferreira à ses confrères de Lisbonne, avaient provoqué de l'émoi ; ils croyaient y reconnaître plusieurs des propositions soutenues naguère à Sulamanque par Prudence de Montemayor ; ils critiquaient de plus la manière dont l’examen avait eu lieu, et racontaient que Molina