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MODERNISME, FIN DE LA CRISE


3. Exploitation polémique du modernisme.

Par malheur, ce tableau de la défense catholique allait avoir son ombre dans tout un déchaînement de polémiques, où la réfutation des erreurs modernistes ne servait plus que de prétexte à l’explosion des préjugés individuels ou des intérêts de parti.

C’est ainsi que le modernisme condamné par l’Église devint un genre dont se multiplièrent à l’envi les espèces. Il y eut le modernisme ascétique avec la Civillà callolica et d’autres, le modernisme social et sociologique avec J. Fontaine, le modernisme littéraire avec le Suisse G. Decurtins, le modernisme politique avec les adversaires du ralliement français ou du Centre allemand. Au modernisme proprement dit vint s’ajouter le « semi-modernisme » et aux modernistes les « modernisants ». Et comme à ces diverses formes de l’erreur moderne il fallait opposer un programme positif, on inventa l’intégrisme. Toutes catégories qui, avec les idées, permettaient de censurer à plaisir les personnes et les groupes.

Pour mener plus efficacement cette guerre au modernisme ainsi entendu, une presse de combat fut instituée, qu’inspirait et ravitaillait l’officieuse Corrispondenza Romana du prélat U. Benigni. Innombrables en Italie, ces feuilles antimodernistes ne manquaient pas en Allemgane et en Autriche. Les plus puissantes étaient chez nous la Critique du libéralisme et la Foi catholique, que dirigeaient respectivement les deux anciens jésuites Em. Barbier et B. Gaudeau, la Vigie qui servait de tribune au prêtre P. Boulin, sous le nom de " Boger Duguet ». Aux uns et autres l’Action Française prêtait un concours qui n’avait rien de désintéressé. Une association secrète, dénommée Sodalîtium pianum et déguisée eryptographiquement en « La Sapinière », unissait entre eux les « intégristes » des divers pays.

De cette polémique funeste ce ne sont pas seulement les exagérations doctrinales, mais les dénonciations personnelles qui firent le plus souvent les frais. Le plus clair résultat de ces odieuses et déplorables campagnes fut d’affoler l’opinion, et parfois même la hiérarchie par le spectre de périls imaginaires, de porter les esprits aux extrêmes, de jeter, en définitive, la suspicion sur les plus loyaux serviteurs de l’Église, et par là de rendre plus difficile la tâche déjà dure de ceux qui s’appliquaient à combattre utilement le modernisme sur son véritable terrain.

VI. Fin du modernisme.

En dépit de ses résistances et de la confusion qui régnait trop souvent parmi ses adversaires ou prétendus tels, le modernisme n’en était pas moins voué à une prompte disparition.

Premiers signes de décadence.

Quelles que

fussent les prétentions ou les illusions du parti réfractai re, pour qui connaît la puissance de la discipline catholique, il n’était pas douteux que les anathèmes de l’Église ne dussent être pour le modernisme le coup de la mort. C’est ce que les événements allaient bientôt x éri lier.

1. Faits. Devant la condamnation solennelle du modernisme, il était à prévoir que les adeptes de bonne foi qui constituaient la masse de ses recrues ne tarderaient pas à se ressaisir, tandis que les plus obstinés de ses chefs devraient s’annuler par le silence ou se discréditer par la révolte. Commencée dès le premier jour, cette dislocation des effectifs ne fit que sô précipiter dans la suite.

En sortant de l’Eglise, A. Loisy en France, S. Minocchi et B. Murri en Italie, montraient qu’ils avaient depuis longtemps cessé de lui appartenir de cœur. Seul G. Tyrrell poursuivait la paradoxale tentative de réformer l’Église en résistant aux décisions de ses chefs. Attitude d’insoumis qui lui enlevait tout crédit sur les croyants et à laquelle, au surplus, la

mort vint brusquement mettre un terme. De petits groupes clandestins ou des pamphlets anonymes ne pouvaient évidemment suppléer à cette carence des chefs.

Aussi les organes de la presse religieuse qui avaient accordé leur coniiance à ses auteurs tant qu’ils les avaient crus sincèrement catholiques, s’empressèrent -t-ils de rompre avec eux toute solidarité. Les plus compromis, quand ils ne renonçaient pas à la lutte, ne réussissaient pas à la soutenir longtemps. C’est ainsi que Demain cessait de paraître dès la publication du décret Lamentabili. En Italie, le Rinnovamento ne se maintenait que jusqu’à la fin de 1909 ; Nova et vetera n’atteignait pas le quatrième trimestre de 1908. Les feuilles d’inspiration analogue furent à peine moins éphémères, et la Revue moderniste internationale elle-même était à bout de souille dès la troisième année de son existence.

Pour tout observateur attentif, cet ensemble de faits signifiait une évidente débâcle, que ni la persistance autour du neue Jahrhundert d’un modernisme fortement germanisé, ni le succès de scandale fait aux manifestes antipontificaux du premier jour, moins encore les prophéties optimistes de P. Sabatier ou les cris d’alarme jetés à tort et à travers par les « intégristes » ne pouvaient dissimuler.

2. Témoignages du dedans et du dehors. - - Aussi bien les yeux clairvoyants ne manquaient-ils pas de s’ouvrir à la réalité.

Dès le début de 1908, G. Prezzolini, Cos’è il modernismo, p. 36-38, marquait durement aux modernistes italiens que leur rôle était terminé. Un an et demi après, A. Loisy croyait pouvoir parler de tous comme de « morts ». Revue critique, 21 octobre 1909, t. lxviii, p. 267. Vers la même époque, après avoir redressé les chiffres fantastiques de Sal. Beinach, qui évaluait à 15 000 le nombre des modernistes dans le clergé français, l’auteur ajoutait : « Je me garderai de préjuger ce que deviendra le modernisme ; ce que je crois voir pour le moment est qu’il est en pleine déroute et ne me semble même pas difficile à anéantir. » Revue historique, novembre 1909, t. en, p. 307-308. Quelques mois plus tard, un jeune publiciste protestant, G. Biou, obtenait un vif succès de presse en dressant dans la Revue (ancienne Revue des revues), 15 juillet 1910, t. lxxxviii, p. 145-157, « le bilan du modernisme », qui se soldait par un constat de faillite.

Cette impression mélancolique ne laissait pas de s’imposer, dès ce moment, au plus acharné des modernistes militants : G. Tyrrell. « Je crains, écrivait-il à un confident romain, le 24 août 1908, que nous ne soyons obligés de reconnaître que l’intérêt suscité par la nouveauté de l’insurrection moderniste s’est affaibli, et que le public commence par s’en fatiguer quelque peu… Quand je regarde autour de moi, .., je suis amené à penser que cette vague de résistance moderniste est au bout de ses forces et a donné tout ce qu’elle pouvait donner pour le moment… Il nous faut attendre le jour où, grâce à un travail silencieux et secret, nous aurons gagné une bien plus grande proportion de l’armée de l’Église à la cause de la liberté. » Lettre citée par E. Buonaiuti, Le modernisme catholique, p. 148-149, et, en partie seulement, dans G. Turrell’s lelters, p. 117-118.

Tout dès lors s’accordait à dénoncer la défaite du modernisme, et ce n’est pas sans raison que Pie X pouvait faire frapper, à l’occasion de la fête des saints apôtres Pierre et Paul (29 juin 1908), une médaille qui le représentait écrasant cette erreur, figurée par une hydre symbolique, à la face de l’univers.

Nouvelle intervention de l’Église.

Cependant

un acte nouveau parut s’imposer : ce fut le serment anti-moderniste, ordonné par la motu proprio « Sacro-