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MODERNISME, APPARITION


tualisme une doctrine qui incorporerait les aspirations du cœur et les activités de la vie. C’est pourquoi on y réclamait une méthode d’immanence, qui, s’appuyant sur la psychologie concrète des âmes, ferait jaillir la vérité des besoins du sujet et, quand il s’agit du surnaturel, au lieu de l’imposer du dehors, en chercherait les racines dans les tendances mêmes de la nature. Moyennant quoi les formules inopérantes de la raison dialectique feraient place à une philosophie plus vivante, qui se donnait comme nécessaire et promettait d’être tout à la fois suffisante et parfaitement efficace pour rétablir sur cette base nouvelle les vérités fondamentales de la religion et les dogmes du christianisme.

De ce système, qui ne fut d’ailleurs jamais méthodiquement élaboré, deux ouvrages de L. Laberlhonnière constituent l’esquisse : Essais de philosophie religieuse, Paris, 1903 ; Le réalisme chrétien et l’idéalisme grec, Paris 1904. Tandis que le premier reste purement spéculatif, le second en applique les principes à la révélation biblique et aux origines chrétiennes. A la différence de l’esprit grec, épris d’idées pures et tout nourri d’abstractions, le christianisme se caractériserait comme un « réalisme », « une doctrine concrète ». Ce qui entraînerait, au lieu de concepts immuables, la nécessité d’un devenir, pour garder à la donnée primitive, au prix de perpétuelles interprétations, le contact avec la vie. Toutes positions qui intéressaient l’origine et la nature même de la foi.

L’année suivante, la mort de Ch. Denis faisait passer à L. Laberthonnière la direction des Annales de philosophie chrétienne, qui s’inféodaient ainsi à l’école et devenaient la tribune du haut de laquelle seraient jugées au jour le jour toutes les productions philosophiques ou théologiques d’actualité, en vue d’y dénoncer l’impuissance de l’intellectualisme et de montrer, par contraste, la valeur de l’immanence pour la solution des divers problèmes posés. Par opposition au culte trop exclusif de saint Thomas, on y faisait volontiers valoir, avec l’esprit de saint Augustin, l’œuvre de Pascal et de Newman. Sans y acquérir beaucoup de consistance doctrinale, ni toujours la précision nécessaire, l’école du dogmatisme moral dut, à ces essais didactiques ou polémiques dispersés, de constituer une force dans l’opinion catholique et un foyer d’influence des plus actifs en matière de spéculation.

3. Application du pragmatisme au dogme chrétien. — Sur ce fond permanent de controverses philosophiques, un incident allait faire surgir un problème spécial, mais de première importance : celui du dogme.

Dans son numéro du 16 avril 1905, t. lxiii, p. 495526, la Quinzaine publiait sous le titre : Qu’est-ce qu’un dogme ? un article dû à la plume d’un disciple de Bergson, le mathématicien et philosophe laïque Edouard Le Roy. Croyant constater une aversion irréductible de la pensée moderne à l’égard de la foi catholique, il en attribuait la cause aux démonstrations classiques de celle-ci et, tout particulièrement, à la notion extrinséciste du dogme qui les commande. C’est donc ce concept fondamental qu’il s’agissait de reviser.

Pris, ainsi qu’on l’a fait jusqu’à’présent, comme l’expression d’un énoncé intellectuel, le dogme seiait « impensable », soit parce qu’il prétend s’imposer au nom de l’autorité pure, soit parce qu’il est conçu en fonction de systèmes périmés, ou qu’il renferme des antliropomorphismes qui le rendent inassimilable à l’esprit. Au lieu donc de mettre l’essence du dogme dans sa signification spéculative et de considérer son aspect moral comme une conséquence, il faudrait renverser le rapport. Du point de vue théorique, le dogme

DICT. PE THÉOL. CATH.’n’aurait qu’une portée négative et prohibitive, contenant juste le minimum d’affirmation nécessaire pour justifier la conduite. Son véritable sens serait d’ordre pratique, son but de diriger l’action et non d’éclairer l’esprit. Trois exemples étaient choisis pour illustrer le système, savoir la personnalité de Dieu, la divinité du Christ, sa présence réelle dans l’eucharistie. Au regard de l’intelligence, les uns et les autres de ces « dogmes » présenteraient d’irréductibles antinomies. Il faudrait donc entendre qu’ils signifient qu’on doit se comporter envers Dieu comme envers une personne humaine, se tenir devant Jésus comme devant un contemporain, avoir envers l’eucharistie la même attitude qu’envers Jésus vivant.

Cet article dessinait ni plus ni moins le programme d’une réinterprétation pragmatiste de tout le christianisme, où la valeur intellectuelle de la révélation serait tout entière subordonnée, sinon sacrifiée, à son côté moral.

2° Modernisme biblique : A. Loisy. — Plus encore que de la philosophie, le christianisme est tributaire de la Bible et, en particulier, du Nouveau Testament, où plongent les racines de ses dogmes et de ses institutions. Cette base allait être gravement ébranlée par deux publications successives d’A. Loisy.

1. « L’Évangile et l’Église ». — Privé de sa chaire à l’Institut catholique de Paris depuis l’encyclique Providentissimus (novembre 1893), l’auteur avait mis à profit les loisirs de sa retraite pour porter.de plus en plus, ses réflexions de l’exégèse technique sur les problèmes généraux que pose l’Écriture, sur le sens de la vérité divine qui s’y exprime et la valeur de l’Église qui la conserve. De ces méditations solitaires, après quelques articles signés « A. Firmin » sur les notions de développement dogmatique, de religion et de révélation, puis sur les origines de la religion d’Israël, qui parurent dans la Revue du clergé français au cours des années 1899 et 1900, L’Évangile et l’Église, publié au début de novembre 1902, allait être la manifestation.

L’occasion de l’ouvrage fut la publication des conférences d’Ad. Harnack sur « l’essence du christianisme », Das Wesen des Christentums (Berlin, 1900), qui venaient d’être traduites en français (Paris, 1902) et firent alors quelque bruit. A rencontre de l’historien protestant, qui opposait aux diverses formes du christianisme historique l’Évangile dont elles seraient la déformation, A. Loisy entendait faire œuvre d’apologiste en justifiant l’Église et ses droits. Mais, sous le couvert de cette réfutation, se glissait toute une conception du christianisme, qui donnait à l’ouvrage son véritable caractère.

A la synthèse de son adversaire l’auteur reprochait, au nom de l’histoire, de s’appuyer sur la notion d’une essence évangélique censée parfaite et immuable. Pseudo-théologie, due elle-même à une analyse insuffisamment objective des sources. Au regard de la critique, en effet, l’Évangile de Jésus se réduirait à la prédication du royaume, et celui-ci à l’espérance cschatologique dont se nourrissait le judaïsme contemporain. Il ne s’agissait pas pour lui d’installer une religion nouvelle dans un monde destiné à périr, mais seulement d’inviter à la pénitence, au renoncement total, en vue de la catastrophe imminente. Jésus lui-même ne s’est dit et cru le Messie que par une sorte d’anticipation, en tant qu’appelé personnellement à régir la nouvelle Jérusalem », p. 53, et le terme Fils de Dieu n’aurait jamais eu de sens qu’en vue de cette mission.

Sous cette forme, l’Évangile ne s’est point réalisé. « Jésus annonçait le royaume, et c’est l’Église qui est venue », p. 111. Mais l’Église n’a fait qu’adapter la notion du royaume aux conditions variables des

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