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MODERNISME, PRÉPARATION


les titres voulus pour s’en prévaloir. Au regard de l’orthodoxie catholique, l’indépendance affectée par A. Loisy à l’égard des enseignements de l’Église donna, de bonne heure, quelques inquiétudes. L’auteur n’a-t il pas révélé plus tard qu’il avait, dès ce moment, perdu toute foi ? Mais, dans l’ensemble, tous passaient, à l’époque, pour les représentants de la science catholique, et recevaient sans compter la confiance de tous les esprits ouverts à la nécessité du progrès, tout comme ils se heurtaient à de semblables suspicions dans les milieux plus arriérés. Double circonstance bien faite pour troubler tout à la fois et passionner les jugements.

Au total, le tournant du xxe siècle se présente chez nous comme une de ces périodes confuses où la fermentation intellectuelle favorise les excès, et rend difficile aux mieux intentionnés le discernement du droit chemin.

2. A l’étranger.

Dans les principales nations de l’Europe catholique agissaient à des degrés divers de semblables ferments.

a) Angleterre. — Seule l’Angleterre peut revendiquer, à cet égard, une véritable originalité. Dans cette Église plus soucieuse d’apostolat que d’activité scientifique, les convertis de l’anglicanisme entretiennent la préoccupation de la haute culture et les relations perpétuelles avec le protestantisme ambiant risquent de développer, chez quelques-uns tout au moins, la tendance à un certain libéralisme.

Une autorité vénérable entre toutes allait servir de paravent aux aspirations de ce milieu. Aucun catholique de sa génération ne fut, sans nul doute, plus sensible aux difficultés actuelles du problème religieux que Newman, dont l’œuvre tout entière devait être un long effort pour en présenter la solution. Or son influence, peu sensible dans les premières années qui suivirent sa mort, devint considérable au début du siècle. Elle allait à inspirer le sens du développement dogmatique, la prépondérance de l’intuition et de l’expérience sur le raisonnement. Doctrine qu’équilibrait chez l’illustre cardinal l’attachement le plus profond à l’Église et à ses dogmes, mais qui, chez des esprits moins mesurés, pouvait donner naissance aux pires errements de l’individualisme ou aux subtiles déformations de l’immanentisme mystique. C’est ce qui devait arriver avec G. Tyrrell, eu qui le modernisme trouverait, comme on le verra, un de ses docteurs les plus complets et de ses chefs les plus résolus.

Mais il est à peine besoin de dire que le rayonnement de la littérature catholique de langue anglaise était des plus restreints. L’évolution de G. Tyrrell fut d’ailleurs relativement tardive et se produisit sous la dépendance d’influences françaises. Ainsi le modernisme d’Angleterre ne pouvait être qu’un auxiliaire pour celui du continent.

b) Italie. — Feu disposée aux, initiatives intellectuelles, l’Italie catholique était prête, en revanche, pour une rapide assimilation de celles qui se produiraient ailleurs.

Ce qui lui est propre, c’est le mouvement démocratique lancé avec fougue, dans les dernières années du xixe siècle, par R. Murri, et qui ne tarda pas à prendre d’importantes proportions. Il serait d’ailleurs absolument étranger au modernisme, si à)< urs revendications sociales ses partisans n’avaient mêlé des ambitions de réforme ecclésiastique et une indépendance d’action qui alarmèrent l’autorité, le tout trop souvent compliqué d’irruptions impétueuses dans le domaine théologique, qui achevaient de faire de ce groupement un foyer dangereux.

D’une façon moins bruyante, le monde des Sludi religiosi commençait à Florence, depuis 1901, une

œuvre d’initiation aux résultats de la science moderne. S. Minocchi y représentait la critique biblique, où il était secondé par U. F’racassini et G. Bonnaccorsi ; le barnabite G. Semeria y traitait des origines chrétiennes ; Ern. Buonaiuti y débutait dans la philosophie religieuse. Ce dernier exerçait, en outre, une influence personnelle sur un petit cénacle de prêtres romains. Les uns et les autres ne faisaient guère d’ailleurs qu’une œuvre d’éloquente vulgarisation, dont les travaux parus en France et dans les autres pays fournissaient les matériaux.

c) Allemagne. — On a beaucoup reproché à l’Allemagne catholique d’avoir pharisaïquement décliné toute compromission dans la genèse du modernisme. En réalité, la tradition ininterrompue des études universitaires, la forte discipline politique du Centre, le besoin de réaction contre le rationalisme protestant, le caractère notoirement conservateur et rassis de ses publications scientifiques sont autant d’éléments qui contribuaient à y réduire au minimum les germes de crise.

Comme signe de désordre doctrinal, on a invoqué les hardiesses théologiques d’Herman Schell (18501906), dont la Dogmatique fut mise à l’Index le 15 décembre 1898. Mais quelques erreurs de détail n’empêchent pas que son œuvre ne soit, dans l’ensemble, foncièrement catholique. Aussi bien sa position ecclésiastique et son autorité morale ne furent-elles jamais sérieusement ébranlées de son vivant, et les attaques qui suivirent sa mort lui valurent-elles d’énergiques défenseurs.

L’Église d’Allemagne portait, en revanche, dans son sein, la menace d’un certain nationalisme religieux, qui, sous l’action de Fr. X. Kraus (1840-1901), s’était développé en un anti-ultramontanisme agressif. U trouvait un perpétuel aliment dans les prétentions du corps universitaire, d’où sortaient, avec H. Schell en 1897 et 1898, Alb. Ehrhard en 1901, des manifestes retentissants en vue de réclamer une meilleure adaptation de l’Église aux besoins du jour. Ces tendances prirent corps dans le mouvement dénommé Reformkatholizismus « catholicisme réformiste », auquel, depuis 1900, deux périodiques servaient d’organes : la Renaissance du D r Joseph Millier et le Zwanzigste Jahrhunderl « Le vingtième siècle » qui eut seul quelque importance. Le dogme restait d’ailleurs en dehors de ses perspectives ; mais les critiques y abondaient contre le romanisme et le jésuitisme, contre les abus de la scolastique ou la procédure de l’Index. Sans rien avoir de commun avec le modernisme, cette fronde put de loin en donner l’illusion et parfois lui préparer effectivement le terrain.

Quant aux autres pays catholiques, ou bien ils bénéficiaient, comme la Belgique, d’un heureux équilibre, ou bien ils se tenaient trop en dehors des courants intellectuels pour qu’une crise eût la moindre chance de s’y développer.

3. Agents de liaison et de propagande. - - Entre ces divers foyers nationaux, non seulement les livres et la presse quotidienne ou autre rendaient la communication inévitable, mais certains personnages allaient assurer la liaison.

Chez les catholiques, c’était le baron Frédéric von Hugel (1852-1925). Voir de lui Selected lelters, Londres, 1927. Fils d’un gentilhomme autrichien et d’une mère écossaise, il habitait Londres et faisait à Rome de fréquents séjours. Très épris de science ecclésiastique, l’exégèse et la philosophie religieuse lui étaient également familières. A la connaissance de la littérature catholique des divers pays européens il ajoutait celle des personnes. En Angleterre, il fut l’initiateur intellectuel et resta le confident de G. Tyrrell ; en France, il voyait fréquemment M. Blondel,