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MODERNISME, PRÉPARATION


qui présentait ou paraissait présenter un caractère novateur.

On l’a d’abord mis en cours pour désigner, dans l’ordre politique, les tendances antichrétiennes du monde moderne. Voir dans ce sens, en Angleterre, John Ruskin, au cours d’une conférence sur le préraphaélisme donnée le 18 novembre 1853, et plus tard, en Allemagne, A.-M. Weiss, Die religiôse Gefahr, Fribourg-en-B., 1904, p. 166, 301, 372, 419, 513-514.

.Mais déjà le pasteur hollandais A. Kuyper l’appliquait au radicalisme des premiers protestants libéraux de son pays. Voir Het modernisme… op christeliik gebied, Amsterdam, 1871. Après l’opposition extérieure, le terme arrivait ainsi à désigner les tendances intérieures considérées comme funestes au christianisme. Les deux significations se rejoignent chez l’économiste belge Ch. Périn, Le modernisme dans l’Église d’après des lettres inédites de Lamennais, dans Bévue trimestrielle, 15 octobre 1881, repris dans Mélanges de politique et d’économie, Paris, 1883, p. 121185, qui flétrit de ce même mot le laïcisme radical des États contemporains, et le libéralisme des catholiques suspects de pactiser avec lui.

Quand on vit se déchaîner, au tournant du siècle, ce mouvement général qui réclamait une réforme de l’Église, soi-disant en vue de l’adapter aux temps modernes, il ne fut sans doute pas besoin à ses adversaires de connaître ces obscurs précédents : la logique de la situation appelait tout naturellement sous leur plume les termes de « modernisme » et de « modernistes ». C’est, en effet, à ce moment-là que ces vocables de controverse firent irruption un peu partout.

On leur attribue communément une origine italienne : d’après A. Houtin, Hist. du modernisme cath., p. 85, le terme « modernisme » se rencontrerait « pour la première fois » chez U. Benigni, Miscellanea, janvier 1904, p. 100. En réalité, on le trouve, plusieurs années auparavant, chez A.-M. Weiss, Theol. praktische Quartalschrift, 1900, t. lui, p. 9-10. Chez nous, il était déjà prononcé, à propos de l’américanisme, par Ch. Maignen, Nouveau catholicisme et nouveau clergé, Paris, 1901 (p. 77 dans l’édition de 1902) et, trois ans plus tôt, par l’Ami du clergé, 13 oct. 1898, t. xx, p. 915. Mais ces manifestations semblent être restées épisociiques. Il faut attendre la crise qui ouvre le xx u siècle pour voir l’usage des termes « modernisme » et « modernistes » devenir peu à peu général.

Adoptée par les évoques du nord de l’Italie, dans une pastorale collective de Noël 1905, cette terminologie ne reçut la consécration officielle de l’autorité pontificale que dans l’encyclique Pascendi. Les groupes visés commencèrent, d’un commun accord, par renier cette appellation ; mais, au bout de peu de temps, ils finirent par s’en faire un drapeau. C’est ainsi que prenait définitivement son nom, devant l’histoire, le mouvement doctrinal dont on a marqué les principaux traits.

II. Préparation du modernisme.

Adversaires et partisans ont essayé d’élargir à l’envi l’aire du modernisme dans le temps aussi bien que dans l’espace. C’est ainsi que, parmi les précurseurs du modernisme, on voit citer plus d’une fois les noms de Lamennais, de Bautain ou de Rosmini, toujours ceux d’Herman Schell et de Newman. A rencontre de ces généralisations, l’histoire impartiale doit laisser au modernisme sa physionomie distincte, qui le localise dans un périmètre plus circonscrit.

1 J Causes du modernisme. — Un bouleversement profond, imputable au développement des méthodes critiques, s’est produit, à notre époque, dans le statut fondamental de la foi chrétienne, dont la crise moderniste devait être le fruit lointain.

1. Avènement de la critique.

Malgré bien des divergences, une foncière unité a longtemps rallié les esprits sur les prémisses philosophiques et historiques de christianisme. Or cette commune base a été gravement mise en cause au cours du xixe siècle.

D’une part, la philosophie de Kant ébranlait en beaucoup d’intelligences l’antique confiance en la valeur de la raison, de ses principes et de ses résultats. Plus que tout autre, parce que d’ordre plus transcendant, notre connaissance religieuse devait subir la répercussion de ses coups. En même temps, l’histoire minait l’autorité des Livres saints et menaçait la continuité de la tradition ecclésiastique. Au lieu de vérités objectives et fermes, il ne paraissait plus y avoir de place que pour les fragiles productions du subjectivisme individuel, et l’histoire sainte semblait se résoudre dans le processus d’une évolution tout humaine.

Non contente de détruire, la critique se risquait en même temps à des reconstructions. A l’intellectualisme démodé la philosophie substituait comme critère les intuitions du sentiment, les leçons de l’expérience, les besoins de la vie. L’histoire, de son côté, exaltait la toute-puissance des facteurs anonymes et s’efforçait de soumettre tous les phénomènes à une loi d’universel développement.

2. Conséquences.

Par la force même des choses, les croyants devaient subir l’influence de ces courants qui travaillent toute la pensée moderne.

Le premier résultat de la critique fut de susciter un mouvement de réaction. Contre ces formes actuelles de l’agnosticisme philosophique et du positivisme historique, il s’agissait de défendre les fondements traditionnels de la raison et de la foi. Mais, en cours de route, il fallut bien se rendre compte que des problèmes nouveaux se posaient, qui réclamaient de nouvelles solutions. D’où le besoin progressif de réviser, pour les adapter aux préoccupations présentes, les positions de la métaphysique et de la psychologie religieuse, de l’exégèse biblique ou de l’histoire des dogmes. Tout l’effort de la science catholique dans ce dernier quart de siècle est venu de là.

Une œuvre aussi délicate n’allait pas néanmoins sans difficultés. Dans le bagage traditionnel, il s’agissait de discerner ce que l’Église pouvait abandonner ou modifier sans dommage, sinon même avec profit, et ce qu’elle devait défendre sous peine de périr. Il était inévitable que surgissent des malentendus accidentels suivant l’ouverture d’esprit de chacun. Mais il fallait aussi s’attendre à des conflits de fond, lorsqu’il arriverait à des croyants de céder à l’atmosphère ambiante au point de compromettre l’essentiel.

On a beaucoup discuté la question de savoir à laquelle de ces deux formes de la critique il fallait attribuer le rôle principal. Les modernistes, en vue de se donner une base plus solide, se sont beaucoup réclamés de la critique historique. Quoi qu’il en soit des cas individuels, il est certain qu’en principe l’histoire est inséparable d’une philosophie religieuse qui en est le principe et la conséquence. A leur effort conjugué est due la crise des intelligences croyantes d’où le modernisme devait sortir.

La crise hors de l’Église catholique.

Toutes les

religions ont connu ou connaissent, de nos jours, une crise moderniste. Celle qui est en train de ravager la Réforme est tout à la fois la plus saillante et la plus instructive pour nous.

1. Développement du protestantisme libéral. —- Rien n’est plus connu que la vague de subjectivisme religieux que le xi’siècle a vu déferler sur l’ensemble des Églises protestantes.

Le mouvement est parti d’Allemagne sous l’action