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MESSE DANS LA LITURGIE, LA RÉVOLUTION LITURGIQUE


gallicanes et dans une partie des liturgies orientales, sert de transition entre le Sanctus et le récit de l’institution, indique aussi que notre anaphore appartient à la liturgie alexandrine qui présente, comme on le voit, de nombreuses et frappantes analogies avec la liturgie romaine.

Plus caractéristique encore est la suite de la prière. Elle s’appuie sur les derniers mots du trisagion pour introduire l'épiclèse Reple nos. Cette formule d'épiclèse, si intéressante déjà par ses termes mêmes, l’est peut-être encore davantage par la place qu’elle occupe avant la consécration. On sait en effet que dans les liturgies l'épiclèse vient après le récit de l’institution et elle est conçue en de tels termes, qu’il semble souvent que le mystère de la transsubstantiation n’a lieu qu'à ce moment. Ce fut là depuis des siècles, un sujet de controverse entre l'Église latine et l'Église grecque. Le canon romain en effet suppose que les paroles de l’institution ont produit tout leur effet. On est même de plus en plus disposé aujourd’hui à reconnaître qu’il n’y a pas d'épiclèse proprement dite dans le canon romain (voir plus loin messe bans la LITVRGIE romaine et art. Épiclèse). Or cette anaphore, témoin si précieux et si vénérable des liturgies égyptiennes, contient l'épiclèse avant la consécration. Ainsi se trouve confirmée, par un document d’une authenticité incontestable, l’hypothèse déjà émise par le D r Baumstark, que le rit alexandrin primitif devait posséder l'épiclèse avant la consécration. Lilurgia romanae liturgia del l’Esarchato, Rome, 1904, p. 46-47. C’est plus tard, et sans doute pour se conformer aux usages byzantin et syrien, que le rite alexandrin rejeta son épiclèse à la suite des paroles de l’institution. Ces fragments sont en tout cas une nouvelle preuve des relations étroites entre le canon romain et le canon alexandrin. Dom de Puniet en conclut que l'épiclèse romaine doit être cherchée plutôt dans la formule Quam oblationem que dans le Supplices. Fragments inédits d’une liturgie égyptienne, p. 389 sq.


VI. La révolution liturgique du iv » siècle. —

La victoire de Constantin et la paix rendue aux chrétiens ouvraient pour l'Église une ère nouvelle.

Les conséquences s’en firent immédiatement sentir dans le culte et dans la liturgie, comme dans la discipline générale et l’administration. Jusque-là et presque dans toutes les provinces, les chrétiens étaient traités en proscrits ou en suspects. S’ils purent jouir parfois d’une certaine tolérance, ils ne devaient jamais oublier que leur droit à l’existence et à la liberté n'était pas reconnu, et cette hostilité de l'État écartait de la profession du christianisme un nombre considérable de gens qui, portés peut-être vers la nouvelle religion par leurs sympathies, n’entendaient pas compromettre pour s’y agréger leur position ou leur sécurité. Le jour où Constantin se déclara ostensiblement pour l'Église, le nombre des chrétiens décupla, et l'État permit à l'Église de s’afficher librement. Elle n'était plus le pusillus grex des origines, ni même la société qui ne s’ouvrait qu'à des recrues de choix, à des initiés connus pour leur moralité et leur ferveur. La crainte de la persécution et des apostasies possibles supprimée, on reçut les candidats en plus grand nombre, et beaucoup qui redoutaient les obligations qu’entraînait le baptême, ou retardaient par calcul la date de sa réception, se contentèrent du titre de catéchumène, et jouirent ainsi, sans aucun risque et sansde trop pénibles devoirs, de la plupart des avantages de la société chrétienne. Le culte fut ouvert au grand public et prit une solennité inconnue jusque-là.

Une des conséquences de cette révolution fut que l’on s’appliqua à réglementer avec plus de précision les fonctions du culte, à les adapter aux nouvelles circonstances, et, tout en donnant plus d'éclat à cer taines cérémonies, à abréger certains rites et par exemple celui de la messe. Probst l’a démontré longuement. Mais ceci n’intéresse pas directement l’histoire dogmatique et nous pouvons le laisser de côté.

Mais une autre révolution se produisit en Occident à cette époque sur laquelle nous devons nous arrêter un peu plus longuement, parce qu’elle eut au contraire une portée considérable sur la théologie liturgique.

Jusqu’ici tous les documents que nous avons étudiés nous décrivent une même messe, un type unique. L’anaphore peut varier dans sa teneur, et même d’une façon assez importante, comme on peut le voir en comparant celle d’Hippolyte aux formules de Sérapion ou des Constitutions apostoliques. La liberté d’improvisation est encore laissée à l’officiant, mais elle s’exerce toujours sur le même thème.

C’est, sauf la liberté d’improvisation qui a été depuis longtemps limitée et même abolie, le système qui s’est maintenu en Orient pendant tout le Moyen Age et jusqu'à nos jours. Ainsi par exemple dans l'Église de Byzance, il y a deux types de messe : celle de saint Basile et celle de saint Jean Chrysostome, mais pas d’autre.

Au contraire, que l’on étudie les liturgies latines : romaine, gallicane ou mozarabe, les prières de la messe, collecte, préface, secrète, postcommunion, changent presque tous les jours, surtout les jours de fête ; les chants, introït, graduel, trait, alléluia, offertoire, communion, suivent la même loi. Le Communicantes lui-même admet des rédactions différentes, et ces variations dans les prières de la messe étaient encore beaucoup plus fréquentes du vi° au ixe siècle et même au delà.

Cette différence entre l’Orient et l’Occident est de telle importance qu’elle peut fournir une base selon nous, pour la classification des liturgies en deux familles distinctes, celles d’Orient et celles d’Occident, et relègue au second plan les autres différences que l’on a pu relever entre les unes et les autres, comme la place à la messe de la lecture des diptyques ou du baiser de paix.

Cette révolution s’opéra, semble-t-il, vers la fin du iv 8 siècle, et eut peut-être à Rome son centrefou du moins son premier foyer. Les Gaules et l’Espagne suivirent sans retard.

Si nous y insistons, encore une fois, c’est qu’elle eut des conséquences théologiques assez importantes.. A partir de ce moment, on se mit en Occident à composer des oraisons, des préfaces, d’autres pièces liturgiques. C’est une page nouvelle qui s’ouvre dans l’histoire de la liturgie, et ce développement ne fut pas sans conséquence dans l'éclosion des familles liturgiques latines en Gaule, en Espagne ou ailleurs. Il donna naissance à des ouvrages liturgiques nombreux, les Sacramentaires léonien, gélasien, grégorien, pour l'Église de Rome, les autres recueils des liturgies gallicane, mozarabe, ambrosienne ou celtique. Pendant ce temps l’Orient restait stationnaire ; il gardait ses anciennes formes et n’admettait de variété que dans les leçons ou dans les compositions des mélodes.

Ces recueils liturgiques occidentaux sont d’ordinaire anonymes. On signale bien des recueils de prières par Musée, par Voconius, par Damase, par Maximin de Ravenne. Mais que sont devenus leurs ouvrages ? Quel est l’auteur des messes gallicanes, du Missel de Bobbio et des autres Sacramentaires ? Ceux même attribués à saint Léon, à Gélase, à Grégoire sont encore contestés ; en tout cas ils ont reçu de nombreuses additions ou modifications de la part d’auteurs inconnus pour la plupart.

Il fallait signaler cette situation avant d’entrer dans l'étude de ces liturgies.