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MITIGATION DES PEINES DE LA VIE FUTURE


damnation des réprouvés, la miséricorde apparaît non par mode de relaxation totale, mais sous forme d’allégement, en ce sens que la punition demeure en deçà de ce qu’on aurait mérité. » Sum. theol., I", q. xxi, a. 4, ad lum ; In /Vum Sent., dist. XLVI, q. ii, a. 2, ad lum.

Saint François de Sales n’est pas d’un autre avis : « Chose estrange, mais véritable, Théotime ; si les damnés n’estoient aveuglés de leur obstination et de la haine qu’ilz ont contre Dieu, ilz trouveraient de la consolation en leurs peines, et verroient la miséricorde divine admirablement meslée avec les flammes qui les bruslent éternellement ; si que les saintz considerans d’une part les tormens des damnés si horribles et effroyables, ilz en louent la justice divine… mais voyans d’autre part que ces peines, quoyque éternelles et incompréhensibles, sont toutefois moindres de beaucoup que les coulpes et crimes pour lesquelz elles sont infligées, ravis de l’infinie miséricorde de Dieu : O Seigneur, diront-ils, que vous estes bon, puisque au plus fort de votre ire vous ne pouvés contenir le torrent de vos miséricordes, qu’elles n’escoulent leurs eaux dans les impiteuses flammes de l’enfer. » Traité de l’amour de Dieu, t. IX, c. i.

Saint Thomas pense que Dieu accordera cette diminution de peine surtout à ceux qui auront fait eux-mêmes miséricorde aux autres sur la terre. Suppl., q. xcix, a. 5, ad lum.

2. Opinion de Scot.

Un certain nombre de théologiens affirment que les péchés véniels et les péchés mortels, déjà pardonnes quant à la coulpe, ne seront pas punis éternellement en enfer, parce qu’ils ne méritent pas par eux-mêmes les peines éternelles. Il arriverait donc un moment où la peine temporelle due à ces péchés étant accomplie, les damnés éprouveraient une diminution de souffrance, proportionnée à l’importance de la peine temporelle à laquelle, en plus de la peine éternelle immuable, ils étaient soumis. Telle est l’opinion de Scot, In 7Vum Sent., dist. XXI, à laquelle on n’accorde pas grande probabilité. Elle se heurte à des difficultés qu’aucune subtilité de raisonnement ne parvient à dissiper complètement. Elle suppose, en particulier, la possibilité d’une satisfaction pour les fautes commises, chez ceuxlà qui s’obstinent dans le péché mortel. Toutefois, parce qu’elle n’enseigne pas la mitigation des peines dues aux péchés qui, par eux-mêmes, méritent un châtiment éternel, parce que la mitigation qu’elle propose n’est qu’accidentelle, elle a droit de cité parmi les opinions soutenables.

3. Les théolog ens cont(mporains sont assez sévères à l’endroit de la doctrine de la mitigation des peines. Le cardinal Mazzella fait sienne la sentence portée par saint Thomas d’Aquin : « opinion présomptueuse, vaine, sans fondement sérieux, inacceptable au point de vue de la raison. » De Deo créante, n. 1311. Même note chez Perrone, De Deo créante, n. 779 ; Palmieri, De novissimis, § 69 ; Billot, De novissimis, th. in ; Lépicicr, De nouissimis, q. iv, a. 7 ; Hugon, Tr. de novissimis, q. viii, a. 2, n. 7 ; Hervé, Manuale, t. iv, n. 693. Ch. Pesch conclut qu’il est tutius simpliciter negare sufjragia ullo modo prodesse damnatis, Prælectiones, t. ix, n. 635, et Tanquerey, qui accepte sans discussion l’interprétation des textes patristiques dans un sens favorable à la mitigation des peines, conclut comme Pesch, Synopsis theologiæ dogmaticæ, t. iii, n. 935.

Mais cette unanimité morale dans le rejet d’une doctrine jugée peu conforme à l’orthodoxie, admet des nuances diverses. Nous nous contenterons de signaler ici les deux principales :

a) La doctrine de la mitigation des peines de l’enfer, eu égard aux suffrages des fidèles, n’envisage pas et

ne peut envisager une diminution de peines se prolongeant après le jugement dernier. « Opinion présomptueuse, vaine, sans fondement sérieux, inacceptable au point de vue de la raison théologique » ; ainsi avons-nous entendu saint Thomas la qualifier. Or, cette théorie ne propose, en définitive, qu’une mitigation strictement limitée à la durée de l’Église sur la terre ; les prières des fidèles cessant, cesserait aussi l’allégement apporté aux souffrances des réprouvés. Néanmoins, il faut constater que la prière pour les défunts damnés est contraire aux usages de l’Église, et réprouvée par l’ensemble des théologiens. Cf. S. Grégoire le Grand, Moral., t. XXXIV, c. xvi, n. 38, P. L., t. lxxvi, col. 739 ; Dial., t. IV, c. xuv, t. lxxviii, col. 404-405. Cette opinion est dangereuse, parce qu’elle attaque le principe même de la fixité substantielle du châtiment éternel. Elle impliquerait, en certains cas exceptionnels, l’hypothèse, d’une intercession suffisante et suffisamment prolongée pour obtenir de Dieu la suppression progressive et totale de la peine de certains réprouvés. Une fois, en effet, le principe de la fixité substantielle révoqué en doute, où placera-t-on la limite des effets de la miséricorde divine sur les damnés ?

b) Et c’est précisément à cette libération éventuelle des damnés qu’en sont arrivés certains partisans de la mitigation progressive et indéfinie, même se prolongeant après le jugement. Cette doctrine, propre à certains protestants, se retrouve, avec plusieurs autres opinions hasardées, dans The happiness in Bell (Le bonheur dans l’enfer), Nineteenth Centurij, n. 190, 192, 194 ; elle renouvelle, en l’aggravant, l’hypothèse de Gilbert de la Porrée, puisqu’à la diminution progressive et indéfinie des peines, elle ajoute l’évolution et la transformation morale des damnés qui, en fin de compte, doivent devenir des bienheureux. Le cardinal Billot, la qualifie de téméraire, scandaleuse et erronée.

Téméraire : elle va, en effet, contre la doctrine communément admise dans l’Église sans pouvoir alléguer d’autorité sérieuse. Les textes patristiques invoqués en sa faveur n’ont pas la portée ou la signification qu’on veut leur attribuer. Voir ci-dessus. Scandaleuse : en ouvrant des perspectives inattendues sur une diminution lente et progressive des châtiments éternels, elle favorise les mauvaises passions et énerve la crainte des jugements divins. Erronée : elle contredit positivement des conclusions théologiques certaines. Du dogme de la vie éternelle découle logiquement que la peine est aux damnés ce que la gloire est aux élus. Matth., xxv, 46. Les élus, comme les damnés sont donc dans un état fixe et immuable quant à la substance de leur bonheur ou de leur malheur ; s’il en était autrement, la sentence de Dieu ne serait pas irréformable ; l’éternité ne serait plus l’éternité. D’ailleurs, la privation de la vue de Dieu, la peine du dam, la plus terrible des peines de l’enfer, ne saurait admettre de mitigation : elle est ou elle n’est pas. Quant à la peine des sens, le Christ n’a-t-il pas dit : vermis non moritur, ignis non exlinguitur. Que serait, dans l’hypothèse d’une mitigation indéfinie, ce ver qui ne meurt point, mais qui s’alanguit sans cesse, ce feu qui ne s’éteint point, mais dont l’ardeur se ralentit toujours ?

4. Faut-il ajouter que les textes scripturaires invoqués à l’appui de la mitigation des peines n’offrent aucun sens susceptible de corroborer cette opinion insoutenable ?

Le ps. lxxvi, 10, invoqué par les « miséricordieux » doit être ainsi traduit : « Ou Dieu oubliera-t-il d’avoir pitié ? Ou retirera-t-il, dans sa colère, ses miséricordes ? ». Mais il faut se souvenir, comme l’observe saint Augustin, De civilate Dei, t. XXI, c. xxiv, n. 3,