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    1. MIRACLE##


MIRACLE, DÉFINITION THÉOLOGIQUE

1808

C’est un miracle quoad modum quo fit, si ce miracle est un fait que peut produire la nature même dans le

sujet où il est réalise, mais non pas d ? la façon dont Dieu le produit : guérison subite d’un malade.

Les éclaircissements apportés par les théologiens postérieurs à saint Thomas concernent deux points :

a) Les deux classifications sont-elles réductibles l’une à l’autre ? —

On le pense ordinairement. Cf. Garrigou-Lagrange, De révélation’, t. ii, p. 47. En réalité les exemples que nous avons donnés montrent qu’il n’en est pas tout à fait ainsi : la première classification est plus complète, les miracles contra naturam n’ayant pas d’équivalent dans la deuxième. Il vaut donc mieux affirmer que les deux classifications se réduisent à p.-u près l’une à l’autre, mais que la coïncidence n’est pas universelle. Cf. card. Lépicier, Del miracolo, Rome, 1901, p. 98 ; G. Sichirello, Nomenclatura tomistica nella teoria del miracolo, Rovigo, 1909, p. 4244. D’ailleurs la chose est de peu d’importance. En se reportant aux endroits indiqués, ou constatera que saint Thomas lui-même ne s’est pas servi d’une terminologie bien fixe : on n’a ici que des divisions couramment acceptées dans l’École, comme aide-mémoire. Cf. Alexandre de Halès, Sum. theol., part. II, q. xlii, memb. 2 ; Albert le Grand, In I / : lm Sent., dist. XVI II, a. 7 ; Sum. theol., part. I, tract, xix, q. lxxviii, memb. 2 ; part. II, tract, viii, q. xxxi, memb. 2, a. 2 : q. xxxii, memb. 2, ad q. iv.

b) Faut-il admettre que la classification de la Somme théologique comporte un progrès et des corrections sur celle du De potentia ? —

Dans sa Logique surnaturelle objective, p. 137-138, note, J. Didiot le suggère en raison de la division contra naturam, qui aurait paru peu exacte à une réflexion plus mûre. Il est toutefois peu probable qu’il en soit ainsi, car on trouve indifféremment des allusions ou des emprunts aux deux classifications dans des œuvres de différentes époques. De veritale, q.xii, a. 14, ad 3um, et Sum. contra Génies, t. III, c. ci, qui se réfèrent à la Somme théologique sont antérieures au De potentia. Il sciait néanmoins hasardeux d’exclure tout changement dans la façon d î s’exprimer de saint Thomas, comme semble le supposer le P. Folghera, Le miracle d’après S. Thomas d’Aquin, dans la Revue thomiste, 1904, p. 321. Il faut reconnaître que le contra naturam a été employé par saint Thomas en divers sens. Cf. Garrigou-Lagrange, op. cit., p. 47. Saint Thomas lui-même avertit que le contra naturam ne pouvait être entendu au sens de contra raliones séminale*, Dieu ne faisant jamais qu’une cause naturelle active produise un effet essentiel opposé à celui qu’elle doit naturellement produire ; que, par exemple, le feu puisse Jamais refroidir. In /"" Sent., dist. XI, II, q. ii, a. 2, ad 4um. D’où il est possible qu’il ait été amené finalement à abandonner, eu partie du moins, une expression prêtant à confusion. De fait, on ne rencontre pas dans la Somme l’expression d" miracle contre la nature.

2. L’expression qui prête à confusion a été étudiée, approfondie, expliquée par la théologie postérieure.

Les adversaires du surnaturel se sont emparés de la formule contra naturam, pour représenter le miracle comme, une dérogation aux lois de la nature, el montrer ensuite l’absurdité d’une telle not ion. « 1)ieu peut-il faire des miracles ? se demande J.-.I. Rousseau. C’est-à-dire peut-il déroger aux lois qu’il a établies ? Cette question sérieusement traitée sciait impie, si « Ile n’était ahsurd’. i Lettres écrites de la Montagne, mlettre..Iules Simon, voyant lui aussi d ms les miracles « une volonté capricieuse, des mouvements désordonnés, dïs dirogations perpétuelles à la loi, déclarait dans ces conditions le miracle impossible. La religion naturelle, 8’éd., Paris, 18K3, II’partie, t. iv, p. 28 1. - Ci. Séailles présente les miracles comme de petits accrocs faits arbitrairement dans la trame des phénomènes », comme « des coups d’JÏtat minuscules en un point dî l’espace et du temps. comme « un procédé puéril, enfantin, indigne d’une haute intelligence à laquelle il ne saurait convenir de troubler le règne des lois qu’elle a établies », comme < une déchirure dans la trame dis phénomènes. » Les affirmations de la conscience moderne, 4e éd., Paris, 1909, p. 32-34. — Plus récemment, M. E. Le Roy déclare que, s’il faut entendre par miracle une dérogation aux lois de la nature, le miracle apparaît… comme une sorte de création ex nihilo survenant en plein milieu de la série phénoménale », et qu’ainsi on fait du miracle « une sorte de monstre impensable ». Essais sur la notion du miracle, i, dans Annales de philosophie chrétienne, oct. 1906, t. cliii, p. 7-8 ; cf. Le problème du miracle, dans le Bulletin de la Société française de philosophie, mars 1912, p. 98-99.

— - Pour T. H. Huxley, le concept de suspension de l’ordre ou de dérogation à l’ordre de la nature serait contradictoire, parce que tout ce que nous connaissons de cet ordre dérive de notre observation du cours d ! S événements dont le soi-disant miracle fait partie.

— Beaucoup de savants contemporains, considérant les lois de la nature, non comme des vérités expérimentalement découvertes, mais comme des principes plus ou moins hypothétiquement décrétés, sortes de définitions préalables, n’hésitent pas à affirmer que. dans ces conditions, l’expression « dérogation, exception aux lois » n’a plus la moindre signification.

Devant ces assertions, nombre d." théologiens catholiques rappellent fort sagement qu’il importe « de ne pas introduire djns la notion du miracle une idée qui semblerait impliquer le désordre, comme ces formules mises en vogue par l’apologétique du xviiie siècle : « violation des lois de la nature » ; « fait contraire aux lois naturelles ». Définitions imprudentes et qui compromettraient le miracle au regard d’une saine raison, sous prétexte d’en accentuer le caractère divin. J. Rivière, art. Miracle, dans le Dictionnaire pratique des connaissances religieuses, t. iv, col. 1015. Cf. Sortais, La Providence et le miracle devant la science moderne, Paris, 1905, p. 77 ; de Bonniot, Le miracle et ses contrefaçons, 5e éd., Paris, 1895, p. 23 ; J. Didiot, Logique surnaturelle objective, p. 125. Et pourtant, nombre de théologiens et d’apologistes catholiques considèrent encore le miracle comme une dérogation aux lois de la induré, el le considèrent comme un fait produit par Dieu contrairement à la nature, Billuarl définit le miracle : Effcclus omnipotentiiv divins contra leges communes et supra omnes vires totius naturte. Tract. De fuie. a. 2, § 1, D’après les Wirccburgenses, Dieu peut ordincm causarum secundarum immntare, suspendere. inlcrrumpere et effcclus ab eodem independentes prodUCere. Dr rcligione. Paris, 1852. p. 105. An mol Miracle, Bergier écrit dans son Dictionnaire que « le miracle est un événement contraire au. t lois dla nature et qui ne peut être L’effet d’une cause naturelle. » Le Cursus theologise d’Migne, t. xi, col. lo : >7. approuve la définition suivante qu’il attribue à des théologiens et philosophes sensés : Efjectus sensibilis, consueto nature corporciv ordini derogans. Au lieu de voir d ms le miracle un effet qui dépasse l’ordre de toute la nature créée, il le considère comme un elïel qui dépasse les forces d In nature corporelle. Dans son récent livre. Introduction à l’étude du merveilleux et du miracle, le P. de Tonquédec laisse passer et parfois même emploie les expressions d > « dérogation à la loi », d’ « exception à un ordre régulier ». Il déchire toutefois, appendice III, n’entendre par là quc l’inlcrven lion extraordinaire dla liberté divine dans le monde sensible i, el reconnaît que l’expression dérogation peut être critiquée comme prêtant à confusion.