Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/248

Cette page n’a pas encore été corrigée
1789
1790
MINISTRE DES SACREMENTS, ROLE


Mea sententia hœc est ut hæretici ad Ecclesiam venientes baptizentur, eo quod nullum foris apud peccatores remissionem peccatorum consequantur. P. L., t. ta, col. 1055 et 1059.

La uérité.

- A cette conception qui exagérait le

rôle du ministre pour exiger de lui des conditions excessives, Rome, ou plutôt l’Église, a constamment opposé une doctrine plus large et finalement l’a fait prévaloir. Les sacrements sont, par eux-mêmes, ex opère operato, diront les théologiens, efficaces de la grâce ; Dieu leur a tellement attaché une vertu sanctificatrice que, dès qu’ils sont correctement accomplis et reçus en dispositions convenables, ils produisent leur effet. Quelle que soit donc la valeur ou l’indignité du ministre, serait-il hérétique, schismatique, excommunié, pécheur public, pourvu qu’il accomplisse le rite sacramentel tel qu’il a été déterminé par le Christ ou par l’Église, avec l’intention de faire ce que fait l’Église, le sacrement existe et il produit la grâce si rien dans le sujet ne le rend incapable de la recevoir. Le rôle du ministre se borne donc à accomplir le rite prescrit avec l’intention voulue ; il est simplement celui qui pose le rite producteur de la grâce, et qui par son acte déclenche l’action sanctificatrice de Dieu.

Cette doctrine se trouve déjà implicitement dans la réponse du pape saint Etienne aux arguments des rebaptizants : dans le baptême, dit-il, il ne faut pas considérer la valeur du ministre, mais la puissance de l’invocation de la Trinité, S. Cyprien, Epist., lxxv, 9 (lettre de Firmilien de Césarée), Hartel, p. 815 ; le nom du Christ, dit-il encore, est de toute efficacité pour sanctifier dans le baptême, à tel point que, quel que soit le baptisé ou l’endroit où on le baptise, si on le baptise au nom du Christ, il reçoit aussitôt la grâce du Christ, Ibid., 8, col. 1169. C’était déjà affirmer l’efficacité objective du baptême, indépendamment de la foi du ministre ; c’était réduire le rôle du ministre à accomplir le rite essentiel.

La pleine lumière n’était cependant pas faite, et, tout en acceptant le principe, plusieurs n’osaient l’interpréter avec la parfaite largeur qu’il comportait. Nous avons vu que saint Athanase, qui expliquait par l’invocation de la Trinité l’efficacité du rite baptismal, concluait qu’il fallait croire à la Trinité pour baptiser, Orat. 7/ a cont. arian., 42, P. G., t. xxvi, col. 237 ; et que saint Basile, qui croit de même que la vertu du baptême tient à la puissance des trois personnes et particulièrement du Saint-Esprit présent dans l’eau baptismale, refuse aux marcionites le droit de baptiser, parce qu’ils considèrent Dieu comme auteur du mal, et aussi aux montanistes qui tiennent le Saint-Esprit pour une créature, Epist., clxxxviii, can. 1, et cxctx, can. 47, P. G., t. xxxii, col. 667 sq., 731. Il fallut que l’hérésie donatiste réveillât la question et la fît résoudre par le clair génie de saint Augustin.

Déjà saint Optât pose nettement le principe. Il y a, dit-il, trois facteurs qui interviennent dans le baptême : la Trinité, la foi du croyant, le ministre. La Trinité demeure toujours la même, et aussi la foi de celui qui croit à la Trinité. Seule la personne du ministre est variable. Le sacrement n’est pas pour autant sujet à variation, car le ministre n’est pas le maître du sacrement, il n’en est que l’ouvrier : Dieu seul est le maître à qui le ministre ne fait que prêter son concours. Operarii mutari possunt, sacramentel mutari non possunt. Cum ergo videatis omnes qui baptizant operarios esse, non dominos, et sacramenta esse sancta, non per homines, quid est quod vobis lantum vindicalis ?… Concedite Deo pneslare quæ sua sunt. Non enim potest id muniis ab homine dari quod divinum est… Dei est mundare, non hominis. De sehism. dormi., t. V, 4, P. L., t. xi, col. 1052-1053.

Mais personne n’a dépassé la clarté et la vigueur avec

lesquelles saint Augustin reprend et applique ce principe. S’il défend contre les donatistes la validité du baptême catholique, il accepte aussi bien le baptême donné par les hérétiques, quels qu’ils soient, parce que, dans le baptême, ce n’est pas le ministre apparent qui agit, c’est Jésus lui-même, et l’action du Christ garde son efficacité malgré l’indignité de ceux qui la déclenchent en accomplissant le rite sacramentel. C’est surtout dans ses traités sur saint Jean qu’il donne à sa pensée sa plus parfaite expression : postérieurs à la polémique donatiste, ils revêtent de ce fait une sérénité plus grande et une importance plus considérable. Dictum est de Domino… quia baptizabat plures quam Joannes ; deinde adjunctum est : Quamvis ipse non baplizaret, sed discipuli ejus. Ipse et non ipse ; ipse potestate, itli ministerio ; servitutem ad baptizandum illi admovebant, potestas baptizandi in Christo permanebat. Ergo baptizabant discipuli cjus, ct ibi adhuc crat Judas inter discipulos ejus. Quos ergo baptizavii Judas, non strnt iterum baptizati…, quos baptizavii Judas, Christus baptizavit. Sic ergo quos baptizavit ebriosus, quos baptizavit homicida, quos baptizavit adulter, si baptismus Christi erat, Christus baptizavit. Non timeo adulterum, non ebriosum, non homicidam ; quia columbam altendo, per quam mihi dicitur : Hic est qui baptizat. Tract, in Joan., v, 18, P. L., t. xxxv, col. 1424. Quamvis multi ministri baptizaturi essent, sive justi, sive injusli, non (tribuitur) sanctitas baptismi nisi illi super quem descendit columba, de quo dictum est : Hic est qui baptizat in Spiritu Sancto. Petrus baptizat, hic est qui baptizat, Paulus baptizat, hic est qui baptizat ; Judas baptizat, hic est qui baptizat. Ibid., vi, 7, col. 1428.

Sans doute, les sacrements sont biens d’Église ; c’est elle qui par eux continue l’œuvre de sanctification commencée par le Christ. Mais il n’en résulte pas que hors de l’Église ils n’aient aucune valeur. On doit dire bien plutôt que l’acte du ministre, même hérétique ou pécheur, qui confère un sacrement, devient vraiment un acte de l’Église, un acte du Christ. Secura Ecclesia spem non ponit in homine…, sed spem suam ponit in Christo… de quo dictum est : Ipse est qui baptizat. Proinde homo quilibet minister baptismi ejus, qualemcumque sarcinam portet, non iste, sed super quem columba descendit, ipse est qui baptizat. Epist., lxxxv, 5, P. L., t. xxxiii, col. 311.

Ainsi se trouvait résolue la difficulté qu’avait dressée devant saint Cyprien sa théorie trop étroite de l’Église. Celle de saint Augustin est autrement large, car au fond de sa doctrine sacramentaire, il y a toute la théorie de l’âme de l’Église, théorie qu’il n’a pas formulée, mais qui évidemment est dans sa pensée. L’Église seule héritière des pouvoirs donnés par le Christ et des moyens de sanctification apportés par lui au monde, c’est l’Église catholique. Mais, par delà l’Église visible, il y a une foule d’âmes auxquelles s’étendent les bienfaits du Christ et l’action sanctificatrice de l’Église. La voie du salut et de la grâce n’est pas tellement enserrée de murs et de fourrés impénétrables que les âmes soient condamnées sans rémission si elles ne sont pas de l’Église ; aux âmes de bonne volonté à qui il ne manque que la lumière, le salut est possible. Bien plus elles ont même à leur disposition les canaux de la grâce que le Christ a donnés à son Église et qui sont les sacrements ; l’erreur involontaire où elles se trouvent, l’égarement ou l’indignité des ministres n’empêchent pas la divine efficacité de ces sacrements, et ainsi, éloignées de l’Église extérieurement, elles ne sont pas totalement soustraites à son action de salut.

Doctrine la plus large, elle est aussi la plus sage. Faire dépendre l’efficacité des sacrements de la valeur de celui qui les confère, ce serait jeter les âmes dans