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MILLENARISME


où les élus vivront éternellement avec Dieu. Apoc., xix-xxii. Sans doute, toutes ces descriptions de saint Jean sont-elles à entendre comme des symboles : l’auteur inspiré, afin de se faire mieux comprendre de ses lecteurs, a emprunté au monde où il vivait ses images et ses expressions favorites, mais il n’a pas voulu enseigner expressément le millénarisme grossier et matériel où se complaisaient un trop grand nombre d’imaginations. Il était pourtant facile de se tromper sur sa véritable pensée, et l’on s’y trompa, au point que des âmes très sincères regardèrent le millénarisme comme une croyance des plus assurées de la révélation chrétienne.

Tel est, au début du ii° siècle, le cas de l’auteur inconnu de la lettre de Barnabe. Celui-ci annonce que le monde doit durer six mille ans. Le septième jour, c’est-à-dire au début du septième millénaire, apparaîtra le Fils de Dieu, qui détruira le temps de l’impie et jugera les méchants ; il renouvellera le soleil, la lune et les étoiles, et il régnera avec les justes pendant mille ans. Cette période achevée, aura lieu la transformation de toutes choses : le huitième jour marquera l’avènement d’un monde nouveau, Epiai. Bain., xv, 4-9.

Peut-être est-ce vers le même temps que l’hérétique Cérinthe se plaît à décrire les joies matérielles et grossières dont profiteront ceux qui auront part au règne des mille ans. Eusèbe, H. E., III, xxviii, 2 ; VII, xxv, 2, P. G., t. xx, col. 273 C et 697 A. Ses descriptions réalistes devaient contribuer pour leur part à discréditer la croyance chiliaste. Un peu plus tard Papias d’Hiérapolis raconte ce qu’il a appris des presbytres sur cette époque glorieuse du millénaire : la fertilité de la terre y sera incomparable ; on verra des vignes qui porteront dix mille ceps, chaqne cep portera dix mille branches, chaque branche dix mille rameaux, chaque rameau dix mille grappes, chaque grappe dix mille grains, et ces grains se disputeront l’honneur de devenir la nourriture d’un élu. Il en sera de même pour les autres plantes ; et tous les animaux vivront en paix les uns avec les autres. Irénée, Cont. hæres., V, xxxiii, 3 sq., P. G., t. vii, col. 12131214. La complaisance que prend Papias à ces description est peut-être la marque d’un esprit assez naïf ; mais des intelligences plus pénétrantes que la sienne croient, tout comme lui, au règne des mille ans, et font de cette croyance un des dogmes essentiels de la foi chrétienne. Tel est, par exemple, saint Justin, qui, tout en écartant de ce temps les jouissances sexuelles, déclare que la ville de Jérusalem sera rebâtie et agrandie, et que le peuple chrétien s’y rassemblera pour jouir de mille ans de bonheur avec le Christ, dans la compagnie des patriarches et des prophètes. Dial., lxxx, P. G., t. vi, col. 664. L’apologiste connaît, il est vrai, des chrétiens d’un sentiment pur et pieux qui ne partagent pas ses opinions sur ce point, mais il pense en parfait accord avec un grand nombre de ses frères, et paraît indiquer qu’il garde une doctrine plus entièrement orthodoxe.

Saint Irénée est plus affirmatif sur ce dernier point : pour lui le millénarisme fait partie de l’enseignement traditionnel. De ceux qui pensent que les âmes des justes remonteront immédiatement auprès de Dieu après la mort, il écrit : Qaoniam autem quidam ex lus qui puiantur recte credidisse superyrediuntur ordinem promolionis justorum et motus medilationis ad incorruptelam ignorant, luvreticos sensus in se habentes… Cont. hwres., V, xxxi, 1, P. G., t. vii, col. 1208 A ; de ceux qui interprètent allégoriquement les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament : Si autem quidam lenlaverint allegorizare. hsee quæ ejusmodi sunt, neque de omnibus polerunt consonanter sibimetipsis inveniri el coiwincentur ab ipsis diclionibus differenlibus. Id.,

V, xxxv, 1, col. 1218 B. Cf. E. Buonaiuti, Il millenarismo di Ireneo, dans Saggi sul cristianesimo primitivo, Rome, 1923, p. 79-96.

Le millénarisme semblait nécessaire à saint Irénée si l’on voulait expliquer correctement l’Écriture. Tertullien, en s’en faisant à son tour le défenseur, obéissait à l’influence de l’évêque de Lyon, en même temps qu’il prenait à son compte l’attente exaspérée des montanistes. Nous avons perdu les deux ouvrages De spe fidelium et De paradiso, où il développait ses conceptions eschatologiques, mais les descriptions du IV livre Contre Marcion nous renseignent assez sur les espérances millénaristes du prêtre africain. Adv. Marc, IV, xxxix, P. L., t. ii, col. 455-160.

Le iiie siècle voit pourtant se produire le déclin du millénarisme, que tant de bons esprits avaient défendu au n siècle. Il est vrai qu’en Afrique Commodicn, Carm. Apolog., 975 sq. ; Instr., II, iii, 39 (cf. L. Atzberger, Gcsch. der clirisll. Eschatologie, p. 555-566), puis Lactance, Inst. divin., VII, xxii-xxiv, en Styrie, Victorin de Pettau, Di Apocal., éclit. Hausslciler (du Corpus de Vienne), p. 138-154 (cf. Atzberger, op. cit., p. 566-573) cf. S. Jérôme, De uir. ill., 18, en Egypte l’évêque Népos et Corakion, en Lycie, saint Méthode d’Olympe, Sympos., IX, v, Bonwetsch, p. 119-120, le soutiennent encore. Mais déjà à Rome le prêtre Caius s’en montre l’adversaire décidé : en vain saint Hippolyte, dans son commentaire sur Daniel et dans son traité De Christo et antechristo, expose-t-il, avec de longs détails, la thèse millénariste ; en vain écrit-il les Capita adversus Caium, il ne parvient pas, semblet-il, à convaincre son adversaire, qui nie absolument l’authenticité de l’Apocalypse et de l’Évangile de saint Jean pour venir à bout du millénarisme. Cf. A. d’Alès, La théologie de saint Hippolyte, Paris, 1906, p. 198 ; A. Donini, Ippolito di Roma, Rome, 1925, p. 81-121.

La lutte est surtout ardente en Egypte. Origène condamne en termes sévères le chiliasme : Ce sont là, dit-il, de folles inepties, des conceptions chimériques, œuvre d’esprits simples qui se refusent au travail intellectuel et préfèrent rêver de joies et de plaisirs, qui interprètent les Écritures à la façon des Juifs. De princ, II, xi, 2, P. G., t. xi, col. 241. Après lui, son disciple saint Denys a affaire aux disciples de l’évêque Népos qui avait rédigé tout un traité intitulé Réfutation des allégoristes, pour démontrer que l’Apocalypse doit être interprétée au sens le plus littéral. Une longue discussion de trois jours met aux prises l’évêque d’Alexandrie et Corakion, le chef des millénaristes, qu’assistent des prêtres et des docteurs : finalement les chiliastes s’avouent vaincus, et Denys complète son triomphe en écrivant un traité en deux livres De repromissionibus. Ce traité constituait une réfutation en forme du millénarisme et, pour empêcher les tenants de cette opinion de s’appuyer sur l’Apocalypse de saint Jean, n’hésitait pas à déclarer que l’ouvrage ne pouvait pas être authentique. Eusèbe, H. E., VII, xxiv-xxv, P. G., t. xx, col. 692704.

Il n’était pas besoin d’aller jusque-là pour réfuter le millénarisme. Au iv » siècle, les traces s’en font de plus en plus rares : seul, à notre connaissance, Apollinaire de Laodicée en prend la défense dans un traité perdu en deux livres ; cf. S. Basile, Epist., ccLXin, 4, P. G., t. xxxii, col. 9X0 ; S. Jérôme, In Is., t. XVIII, P.L., t. xxiv, col. 027 ; et ses disciples le suivent, mais les Cappadociens, fidèles en cela aux traditions d’Origenc, rejettent [es doctrines millénaristes. En Occident saint Jérôme les condamne également, bien que parfois il semble témoigner quelques égards pour les orthodoxes qui lesonl défendues. In Is., l. XVIII, P.L., t. xxiv, col. 627 ; cf. In Ezech., xxxvi, P. I.., t. xxv, col. 336 339. Saint Augustin enfin, après