Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/202

Cette page n’a pas encore été corrigée
1697
1698
MICHEL CÉRULAIRE, LA RUPTURE


pour déchaîner la fureur populaire : Humbert ne semble pas s’en être douté. Quant au plan machiavélique prêté à Michel d’attirer les légats dans un guet-apens, il est absolument impossible d’en démontrer l’existence. Humbert est trop passionné pour que son témoignage puisse emporter pièce.

Et voici, nous semble-t-il, comment on pourrait reconstituer les événements. La sentence d’excommunication a été déposée à Sainte-Sophie le samedi matin ; les légats ont pris congé de l’empereur le dimanche, et sont partis le lundi de grand matin. Ce même jour le patriarche fait tenir au basileus le texte de l’excommunication ; les griefs énoncés paraissent si vains à l’empereur qu’il ne désespère pas de voir les choses s’arranger par une entrevue pacifique ; il dépêche un courrier à la suite des légats qui peuvent être rentrés à Byzance le mercredi dans la matinée. Mais au patriarcat on a perdu tout sang-froid. La sentence a été publiée, et l’animosité dans toute la journée du mardi a grandi contre ces Latins qui sont venus insulter les Grecs jusque chez eux. Quand leur retour est annoncé, l’effervescence ne fait que grandir ; il serait de la dernière imprudence pour les légats de quitter le palais suburbain de Pégès et de se risquer à Sainte-Sophie. D’ailleurs ce n’est plus seulement devant la Basilique patriarcale que la foule devient houleuse, c’est le Palais-Sacré lui-même qui est assiégé, et, dans le tumulte, des voix se font entendre qui réclament la tête des Romains. On a tout juste le temps d’expédier à ceux-ci un ordre de partir précipitamment, et pour calmer la foule Constantin Monomaque n’a plus que la ressource de sévir contre des comparses ; en même temps il donne ordre de brûler la sentence. Tous ces événements ont pu se dérouler dans la soirée du mercredi.

11° La rupture de Michel avec Rome. — Il restait à donner un caractère officiel et public aux décisions rapides de ce mercredi. Le dimanche suivant, 24 juillet, dans les galeries supérieures de Sainte-Sophie se réunissait le synode permanent, aùvoSoç èvSrjuoûaa, comprenant une douzaine de métropolites et deux archevêques sous la présidence du patriarche œcuménique. Il rendit un Édit synodal, qui condamnait les agissements des légats romains. Texte dans P. G., t. cxx, col. 736, -748.

Reprenant en partie les idées et même les expressions de Photius dans sa fameuse encyclique aux évoques d’Orient (cf. P. G., t. en, col. 721 sq.), ce document racontait comment des hommes venus de l’Occident, la région des ténèbres, en la cité « gardée de Dieu » d’où jaillissent les sources de la vraie foi, avaient tenté d’y pervertir l’orthodoxie. Entre beaucoup de griefs qu’ils faisaient aux Grecs, ils leur avaient reproché de ne point souffrir la coutume romaine de se raser la barbe, de rester en communion avec des prêtres mariés, de ne pas accepter l’addition du Filioque, par laquelle ils avaient eux-mêmes frelaté le symbole. Aux deux premiers griefs l’édit opposait les raisons topiques, en insistant quelque peu sur la vieille législation canonique relative au célibat ecclésiastique, puis s’étendait davantage sur la délicate question de la double procession du Saint-Esprit. Avec beaucoup d’habileté, le texte continuait en discutant les titres de créance de l’ambassade. Tous ces gens, qui s’étaient présentés comme des envoyés du pape, n’étaient en réalité que les envoyés d’Argyros et leurs lettres en témoignaient abondamment. Suivait l’histoire de la bulle d’excommunication, de son dépôt à Sainte-Sophie et des événements qui s’étaient ensuite déroulés. Pour terminer VÉdit donnait le texte de la lettre adressée par l’empereur dans la soirée du mercredi. Une addition au protocole indique que ce n’est pas en réalité l’exemplaire

même de la bulle qui fut brûlé ce jour-là, mais seulement une copie, car il convenait de conserver l’authentique aux archives « pour le perpétuel déshonneur et la condamnation permanente de ceux qui ont ainsi blasphémé contre notre Dieu ».

On remarquera que VÉdit synodal évite de mettre directement en cause le Siège apostolique ; les vives critiques qu’il contient sont exclusivement dirigées contre l’ambassade dont Humbert était le chef, et on affecte de dire que l’on n’est pas du tout certain des titres de créance des légats. Était-ce un moyen de laisser la porte ouverte à des négociations ultérieures avec Rome ? La chose ne paraît pas impossible et nous entendrons tout à l’heure le patriarche d’Antioche s’exprimer, comme si cette perspective n’était pas encore exclue. Il semble donc que, d’un bout à l’autre de cette affaire, Michel Cérulaire ait tout fait pour qu’il n’y eût, en apparence, aucun tort de son côté.

Il ne négligeait pas néanmoins de tenir l’Église grecque au courant des événements, et s’arrangeait pour présenter les choses de manière à se donner le rôle d’un pacificateur dont les intentions ont été méconnues ; bien plus il tournait son récit de façon à mettre tous les torts au compte, non pas même du Saint-Siège, mais de l’ambassade d’Humbert. Tout ceci éclate dans les deux lettres adressées, peu après les affaires du mois de juillet, au patriarche d’Antioche. De ces deux pièces la plus courte est la première en date. (Elle est d’ordinaire donnée dans les recueils comme la iie lettre à Pierre d’Antioche ; texte dans P. G., t. cxx, col. 816-820.) Elle a été rédigée très rapidement, Cérulaire laissant au porteur de la lettre le soin d’ajouter les détails nécessaires. En termes très brefs elle fait le récit de la légation d’Humbert, du coup d’éclat qui y a mis fin. La querelle que l’ambassade a faite à Cérulaire, c’est à toute l’Église orientale qu’elle est faite ; il est donc nécessaire que tous les patriarches orientaux en soient informés, comme aussi de la condamnation que Constantinople a prononcée contre eux. Le titulaire d’Antioche voudra donc bien transmettre la pièce à ses collègues d’Alexandrie et de Jérusalem. De la sorte, au cas où Rome les interrogerait, tous sauront ce qu’il convient de répondre pour la défense de l’orthodoxie.

Beaucoup plus explicite est la lettre expédiée un peu plus tard au même Pierre d’Antioche (= i rc lettre des divers recueils, ibid., col. 781-796). D’abord la discussion des titres de créance de l’ambassade y est plus longuement présentée, et Michel ajoute que l’archevêque de Trani, présent alors à Constantinople, a contribué pour sa part à éventer la machination d’Argyros, 8, col. 788. Mais beaucoup plus importantes que tous ces détails sont les questions d’ordre général que développe Cérulaire. Il entend préciser et faire préciser par les autres patriarcats la situation de l’Église grecque en face de l’Église romaine. Il veut faire admettre par tous qu’il y a, depuis très longtemps, rupture entre l’Orient et l’Occident. Avec une ignorance qui déconcerte, il fait remonter cette rupture au VIe concile et au pape Vigile (sic), qui pour lors se sépara de l’Église grecque : « J’entends raconter, écrit-il, que Votre Béatitude fait mention du pape actuel aux diptyques, et qu’il en serait de même à Alexandrie et à Jérusalem. Je ne puis vraiment le croire », 9, col. 788. Plus extraordinaire encore lui a paru cette rumeur d’après laquelle les patriarches d’Alexandrie et de Jérusalem communiqueraient avec les mangeurs d’azyme et, qui pis est, emploieraient parfois eux-mêmes les azymes dans le service divin. Antioche est priée de faire une enquête sur ce point et d’en communiquer à Constantinople les résultats. Mais il n’y a pas que la question des azymes à séparer