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MICHEL CERULAIRE, LA RUPTURE

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sévériens, pneumatomaques, manichéens, nazaréens et tous les hérétiques, bien mieux avec le diable et ses anges déchus, si toutefois ils ne viennent à résipiscence. Amen, Amen, Amen ! »

Il valait la peine de transcrire ce texte en entier, puisqu’il exprime la liste des griefs accumulés par l’ambassade romaine contre Michel. De ces griefs les uns ne sont que trop réels et que trop sérieux ; mais ici encore Humbert a cédé à sa fâcheuse tendance de faire étalage d’érudition et d’entasser des accusations plus ou moins véri fiables. C’est hélas ! d’après ce document, si dépourvu de sérénité, que les Églises orientales jugeront désormais des réclamations de l’Église romaine. Il est le digne pendant des textes plus ou moins officiels, où les Églises orientales ont accumulé leurs griefs, importants ou menus, contre l’Église romaine !

Leur manifestation terminée à Sainte-Sophie, les légats avaient fait leurs préparatifs de départ, en mettant ordre aux atïaires des Églises de rit latin de la capitale (ordinatis Ecclesiis Latinorum intra ipsarn Constantinopolim, qu’il ne faut pas se hâter de traduire : « après avoir consacré les dites églises » ). Ils publièrent un texte plus court, frappant d’anathème quiconque recevrait la communion de la main d’un Grec hostile aux azymes (anathemale dato cunctis qui deinceps communicarent ex manu Greeci romanum særiflcium vituperantis), puis se présentèrent à l’audience impériale pour prendre congé du basileus. La séparation fut cordiale ; le baiser de paix fut échangé et des présents remis aux apocrisiaires, tant pour eux-mêmes que pour Saint-Pierre. Le 18 juillet l’ambassade quittait la ville « gardée de Dieu », où elle avait, en somme, si malencontreusement échoué.

10° La vengeance de Cémlaire. — Ce n’était pourtant qu’une fausse sortie. Humbert et ses compagnons étaient à peine arrivés à Salymbria, sur le bord de la Marmara, à 70 kilomètres environ de Constantinople, qu’un courrier impérial les rejoignait, les priant de rentrer d’urgence dans la capitale ; ils étaient revenus au palais de Pégès le 20 juillet.

Que s’était-il passé ? Se ravisant soudainement, Cérulaire au dire d’Humbert, avait déclaré au basileus qu’il était prêt à discuter avec les Romains, .se conflicturum cum eis. Etait-ce désir sincère d’aboutir à une entente et d’éviter l’irréparable ? Etait-ce au contraire le commencement d’exécution d’un plan machiavélique ? C’est cette dernière hypothèse que suggère la Commemoratio brenis : Cérulaire préparait en somme un guet-apens aux légats : il les ferait venir à Sainte-Sophie sous prétexte de discussion, et la foule, ameutée par une fausse traduction de la bulle, ne manquerail pas de leur faire un mauvais parti. Défiant, le basileus déclara que la réunion projetée n’aurait lieu qu’en sa présence. Michel voulut détourner le souverain de venir ; alors celui-ci ordonna aux légats de repartir sur-le-champ, estimant sans doute leur vie en danger. Michæl quasi ad concilium conabatur adducere (cas) in ecclesiam Sanctæ Sophiæ, ut, ostensa charta quam omnino corruperat transferendo, obruerentur ibidem a populo. Quod prudens impenilor præcavens noluit haberi aliquod concilium nisi et ipse adesset prtesens. Cumque hoc ci omnimodis Michæl contradicercl, jussil Augusius ipsos nuntios confestim arripere iler. La Commemoratio ajoute que Michel, furieux de voir sa vengeance s’échapper, souleva contre l’empereur une émeute, dont celui-ci ne put avoir raison qu’en livrant au patriarche, qui les lit châtier, les interprètes des Latins. P. /-., I. CXLIII, col. 1002.

Celte reconstitution des événements par Humbert n’a rien « pic de i il a lisible ; il convient néanmoins avant de l’accepter d’entendre la déposition de Cérulaire. (/est dans VÉdit synodal « pie le patriarche s’explique

le plus clairement. Texte dans P. G., t. cxx, col. 745. Ayant pris connaissance de la sentence d’excommunication, qu’il avait fallu traduire en grec, le patriarche en avait référé au basileus, lequel fit revenir de toute urgence les légats déjà partis. Ils revinrent, mais refusèrent absolument de se présenter devant Michel et le saint synode, et d’y rendre raison des graves accusations qu’ils avaient avancées ; ils avaient d’ailleurs bien d’autres griefs, à formuler contre les Grecs, mais ils préféraient mourir (Cérulaire dit ailleurs : se donner la mort, u* lettre à Pierre d’Antioche, ibid., col. 817 C) que de paraître devant le synode. C’est ce que des fonctionnaires impériaux vinrent signifier à Cérulaire. Le basileus toutefois ne voulut pas que les choses en restassent là ; sans doute il se refusa à sévir contre les légats, protégés par leur caractère d’ambassadeurs, mais il fit transmettre au patriarche une lettre dont il espérait qu’elle donnerait satisfaction à l’irascible prélat : Sa Majesté, disait-elle, avait fini par découvrir que toute la brouille venait et des interprètes et des partisans d’Argyros ; il avait donc fait châtier les premiers et les envoyait au patriarche pour s’entendre anathématiser, eux et ceux qui avaient publié ou écrit la sentence d’excommunication. Quant au document lui-même, il serait lui aussi anathématisé et brûlé publiquement. Le gendre d’Argyros et son fils étaient, par ailleurs, condamnés à la prison perpétuelle.

On voit immédiatement les points où les deux récits s’accordent : rappel des légats déjà partis, vains efforts pour amener une entrevue entre eux et le patriarche, nouveau départ très précipité des légats, capitulation finale du souverain qui abandonne des personnages de second plan à la fureur de Cérulaire. Il y a un point encore sur lequel les deux textes ne diffèrent pas sensiblement : les légats éprouvent une très vive crainte de paraître devant Cérulaire et son synode ; sous les termes un peu réticents de VÉdit synodal, on retrouve en somme cette même agitation populaire dont la Commemoratio déclare que Michel l’a créée. Reste un point, mais d’importance, où les deux récits diffèrent profondément. C’est la date du revirement impérial : Suivant VÉdit, il s’est placé dès le premier départ des légats, quand le basileus a eu connaissance de la sentence d’excommunication. S’il fait revenir les légats, c’est moins pour tenter une impossible réconciliation que pour leur demander des explications sur leur acte. S’il se refuse à sévir contre eux, c’est uniquement à cause de leur qualité d’ambassadeurs ; il se contentera de faire châtier des comparses. Tout ceci, à vrai dire, ne paraît pas très vraisemblable ; si c’était pour aboutir à ce résultat, il était bien inutile de faire revenir les Romains ; on avait sous la main, à Constantinople, ceux que l’on voulait rendre responsables, et cette injure gratuite au Saint-Siège ne servait en rien les plans de Monomaque.

Reste donc l’autre version, celle de la Commemoratio : le revirement de l’empereur se place après le retour des légats, et il a été causé par l’émeute. I lumberl déclare de plus que cette émeute a été excitée sous main par Cérulaire, et qu’après avoir menacé les seuls Romains elle s’est attaquée au basileus lui-même, « ’.'est devant l’excitation populaire que celui-ci a dû céder en faisant fuir précipitamment les

ambassadeurs et en sacrifiant des personnages subalternes. Quand on se remémore l’action de Cérulaire en d’autres journées tragiques, au moment par exemple de la révolution (lu 30 août 10. r >7.on est bien forcé de conclure que tout ceci n’a rien d’invraisemblable. On fera seulement remarquer quc, pour exciter la foule, il n’était pas nécessaire de recourir à une falsification de texte : la traduction littérale de la sentence d’excommunication était largement suffisante