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MICHEL CÉRULAIRE, LES POLÉMIQUES


celle-ci les premières marques de respect, d’attachement, de repentir. Ambassadeurs du pape, Humbert et ses compagnons avaient le droit d’être prévenus par le patriarche. A s’en tenir au simple protocole byzantin, le patriarche de Rome passait avant celui de Constantinople, et les envoyés du Siège apostolique participaient à la dignité de celui qu’ils représentaient. Un esprit plus souple qu’Humbert aurait trouvé le moyen de concilier les intérêts de la paix et les exigences du protocole. L’entrevue se borna à la remise de la lettre pontificale, la deuxième selon toute vraisemblance.

Cérulaire comprit de suite qu’il s’était fait illusion en envoyant ses premières propositions de paix. « Donnant, donnant. » Il avait offert au pape de le faire reconnaître en Orient, si Rome, de son côté, voulait le reconnaître lui-même. Il traitait avec Léon IX d’égal à égal. C’était de tout autre chose qu’il s’agissait dans le document qu’on lui remettait. Était-ce donc là cette douceur que l’on avait vantée devant lui comme la qualité maîtresse du pape de Rome ; était-ce là cet esprit d’entente, dont on lui avait dit au Palais-Sacré qu’il saurait aplanir les difliultés ? Au vrai ces soi-disant ambassadeurs ne lui avaient point présenté leurs lettres de créance ; qui étaient-ils ? n’arrivaient-ils pas en droiture de chez Argyros ? La lettre qu’ils apportaient émanait-elle directement de la cour pontificale ? Elle répondait si peu à ce qu’on savait de Léon IX ; elle portait si clairement les traces de l’intervention d’Argyros ; elle reproduisait quelques-uns de ses arguments mêmes, jadis produits à Constantinople. Plus ou moins sincère avec lui-même Cérulaire se fit toutes ses réflexions. L’amenèrent-elles à la certitude que les lettres étaient falsifiées, c’est peu vraisemblable ; du moins, c’est l’opinion qu’il cherchera à faire prévaloir dans son milieu, celle qu’il s’clTorcera d’accréditer par la suite dans tout l’Orient : L’ambassade de Humbert ne venait pas de la cour même de Léon IX ; elle était une machination montée de toutes pièces par Argyros ; les légats étaient sans pouvoirs, comme leur lettre sans autorité. Il n’y avait plus qu’à les ignorer eux-mêmes, qu’à laisser tomber leur document.

Nous ignorons la date de cette entrevue des apocrisiaires romains et du patriarche ; ce devait être au printemps de 105-1, sans qu’on puisse préciser davantage. Or Léon IX mourait à Rome le 13 avril et Cérulaire ne tarda pas à l’apprendre, il sut encore que le remplacement du défunt se ferait, comme précédemment, à la cour de Germanie, et que toute ces allées et venues demanderaient du temps. Et, de fait, c’est seulement en septembre que Gebhard d’Eichstâdt est désigné par Henri III, et il ne prendra possession de Rome que le 3 avril de l’année suivante. Si jamais les légats avaient eu des pouvoirs, ceux-ci ne prenaient-ils pas fin par la mort de leur maître ? Le temps contribuait à fortifier la position de Cérulaire, à rendre plus étrange la situation des légats.

8° Les polémiques. - D’autant que l’humeur batailleuse d’Humbert trouvait l’occasion de se donner carrière. Ne pouvant discuter avec le patriarche, il utilisait en d’autres joutes théologiques les armes qu’il avait apportées. Il dut à ce moment répai dre dans la capitale le Dialogue d’un Romain et d’un Constantinopolitain. Cela amena une réplique d’un moine du Stoudion, nommé Nicélas Slétathos (Pectoratus), qui s’est conservée en latin, P. L., t. cxi.in, col. 973-984, et P. G., t. cxx, col. 1011-1022, et en grec, dans A. Démétracopoulos, Bibliotheca ecclesiaslica, Leipzig, 1800. t. i, p. 18-36. L’inspiration générale de ce petit traité est la même que celle de la lettre de Léon d’Achrida, S’adressant à la noble et très sage nation des Romains, le moine studile lui demandait de vouloir bien (’couler et s’humilier. Il commençait aussitôt

la critique de l’usage des azymes, accumulant contre celui-ci des raisons fort diverses et fort inégales en valeur. La meilleure était encore celle qu’il tirait de la pratique du Christ à la dernière cène. Adoptant la donnée johannique, il concluait que le dernier souper n’avait pas été un repas pascal, que donc le Seigneur y avait fait usage de pain fermenté. L’Église grecque restait dès lors fidèle à la tradition évangélique. Les Latins, qui s’en écartaient, tombaient d’ailleurs sous le coup tant des canons apostoliques hostiles aux usages judaïsants que des règles du VIe concile (en réalité le Quini-Sexte). Plus surprenantes étaient les déductions qui lui permettaient de découvrir dans l’usage des azymes un avatar des hérésies trinitaires. iv, col. 1014. Quant au jeûne du samedi, il était condamné soit par les Constitutions apostoliques, soit par les Canons des Apôtres, soit par les dispositions du Quini-Sexte. Mais, par voie d’association d’idées, un autre grief s’ajoutait à celui-ci : les Latins pendant le carême célébraient la messe chaque jour, et à une heure assez matinale pour que la communion constituât une rupture du jeûne ; les Grecs, au contraire, à cette époque de l’année, ne célébraient que la liturgie des présanctifiés, sauf le samedi et le dimanche, et à une heure tardive de la soirée. Enfin un grief singulièrement plus grave était fait aux Latins concernant leur manière de comprendre le célibat ecclésiastique. Avec violence Nicétas s’élevait contre elle : Quis ille est qui tradidit vobis prohibere et abseindere nuptias sæerdolum ? Quis ex docloribus Ecclesiæ hanc vobis tradidit pruvitatem ? xv, col. 1019. Cette pratique abominable allait contre la vieille législation des Constitutions apostoliques et les règles du Quini-Sexte. D’où avaient pu venir aux Romains ces horribles maladies ? Ce ne pouvait être que par l’introduction chez eux d’ouvrages apocryphes et de personnes judaïsantes. Que l’Eglise romaine, donc, s’armât de courage et rejetât ces mensonges. Elle était l’Église de Dieu, l’œil de tout l’univers (èxxX^alai Ôvteç 0eoû xal rcâcr/jç TTJç oïxouuivyjç à.ei’kor.y.Kzïç, 6cp0aXu.o[, Démet., p. 35 ; P. (}., t. cxx, col. 1022). Qu’elle s’unît à ses frères d’Orient dont ces désordres l’avaient séparée (oijç Sià tûv eïpTjuivtov sayj.oat.Ts) ; ainsi dans l’unité de la foi orthodoxe serait rétablie l’unité du corps de l’Église. L’opuscule se terminait par une invitation aux Romains à discuter les points de vue exposés et les témoignages qui les appuyaient.

Rien qu’il charge encore la liste des gravamina faits par Constantinople à la vieille Rome (la question du célibat ecclésiastique est de capitale importance), le livre de Nicétas laisse néanmoins une impression irénique. Il contient une invitation à discuter ; il justifie ou tente de justifier par un appel à la vieille législation canonique les griefs des Byzantins : il use à l’usage des Occidentaux de quelques précautions oratoires et même d’épithètes bien propres à les concilier. En particulier l’allusion que nous avons soulignée à la fonction de Rome, « œil de l’Église », se rapporte à cette théorie, rappelée au même moment par Pierre d’Antioche à Dominique de Grado, qui assimile les cinq patriarcats aux cinq sens du corps humain. Le rôle de Rome, qui est de voir, et d’éclairer le corps entier de l’Église, n’y est certes pas le deri ier. Malgré tout, ce livre ne pouvait faire à Humbert et à ses compagnons qu’une impression très pé ible. Le fougueux cardinal en ei trepril immédiatement une réfutation. Texte latin da s P. L., t. cxi.m.col. 983-1000 ; P. (, ’., t. cxx, col. 1021-1038.

Ce n’est pas à coup sûr le meilleur de ses ouvrages. Bien qu’il cherche à faire montre de son érudition canonique et patristique, Humbert n’arrive pas toujours à fournir aux arguments de Nicétas la réponse topique. Les calculs par lesquels le Studite a tenté de