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MICHEL CERULAIRE, LA LEGATION D’HUMBERT


minait par un vif appel à la résipiscence : Re.sipisce ergo, rogamus, ab hac insania ne illius consors tu quoque, quod absit, fias. Mais il était un grief qui avait pardessus tout blessé la curie romaine, l’attaque violente faite par Michel contre l’usage des azymes. Rapidement la lettre indiquait les raisons de fait et de droit qui militaient contre cette condamnation sommaire. Elle enregistrait ensuite la promesse faite par le Constantinopolitain de contribuer à faire rétablir par tout l’Orient le nom du pape, dans les diptyques, mais c'était sans aucune satisfaction. Cette pratique n’allait-elle pas de soi ? et une Église qui, en la négligeant, se séparait de l'Église romaine était-elle autre chose qu’un conciliabule d’hérétiques, un conventicule de schismatiques, une synagogue de Satan ? Il fallait donc faire cesser au plus tôt les hérésies et les schismes. Quiconque se prétendait chrétien devait cesser d’attaquer l'Église romaine, l'Église apostolique. La lettre se terminait sur des paroles d’espoir : l’enquête des légats montrerait sans doute que Michel était innocent de plusieurs de ces griefs, leur action par ailleurs le ramènerait au droit chemin. Confidimus …quod cib his innoxius aut correctus ihuenieris, ctut certe admonitus cito corrigeras. La prière mutuelle du pape et de l’archevêque l’un pour l’autre ne pourrait que contribuer à ce pacifique résultat.

Tout cela était infiniment juste, et Rome n’avait contre l’attitude des chefs religieux de Constantinople que trop de sujets de plainte. S’exprimant néanmoins sous une forme aussi peu nuancée, ces gravamina de de l'Église romaine ne risquaient-ils pas d'élargir la déchirure que l’on se proposait de réparer ? Cérulaire se présentait le rameau d’olivier à la main ; on lui montrait la férule. Quels que fussent ses desseins cachés, il consentait sous la pression du basileus à prendre une attitude pacifique : peut-être eût-il été plus habile d'éviter jusqu’aux apparences de la raideur. Si l’on voulait négocier une paix durable, il ne fallait pas, dès l’abord, commencer par humilier celui avec qui l’on tentait de se réconcilier. Une attitude plus souple n’aurait peut-être pas empêché Cérulaire d’aller jusqu’au bout de ses desseins : du moins, en l’adoptant, on laissait au patriarche l’entière responsabilité de la rupture. Peut-être si Léon IX, dont la bonté était proverbiale, avait lui-même tenu la plume, les revendications si justes de l'Église romaine auraient-elles pris un autre tour. Le fait qu’Humbert les rédigea, et qu’il se chargea de les développer oralement à Constantinople ne permettait guère d’augurer le succès de sa mission. A coup sûr on pouvait compter, du moins pour l’instant, sur le concours du basileus ; mais Constantin Monomaque voudrait-il aller à rencontre de celui, derrière qui marchait toute l'Église byzantine et toute la plèbe de la capitale ? Et s’il le voulait, le pourrait-il ?

7° L’ambassade d' Humbert et les premiers contacts. — Outre les deux lettres dont nous venons de parler, l’ambassade pontificale emportait encore le texte original d’une lettre arrivée (depuis combien de temps, on ne le dit pas) de Jérusalem, et dont Humbert qui la traduisit en latin nous a laissé un fragment. Adu. Grœcorum calumnias, xxxiii, P. L., t. cxliii, col. 951952. Elle montrait que les usages liturgiques de l'Église hiérosolymitaine, se rapprochaient davantage de ceux de Rome que des pratiques de Constantinople. A cette pièce on avait joint aussi la première lettre de Léon IX à Cérulaire et les deux documents qui 1 : devaient renforcer. Voir ci-dessus, col. 1684. On avait ainsi tout un arsenal de preuves, si la discussion s'établissait entre Crées et Latins, soit sur la question générale de la primauté romaine, soit sur les divers points en litige.

Nous sommes mal renseignés sur les premières dé marches de l’ambassade. La Commemoratio brevis eorum qiuv gesserunt apocrisiarii sanctæ romanæ Sedis in regia urbe, P. G., t. cxliii, col. 1001-1004, ne donne un récit (et combien sommaire) des événements qu'à partir du 24 juin 1054. C’est d’elle que dépend la narration qu’en fait l’archidiacre Wibert dans sa Vie de saint Léon IX, t. II, c. ix, ibid., col. 498, et cette Vie servira de source aux divers auteurs latins qui parlent de la question. Du côté grec nous avons le récit que fait le patriarche Cérulaire lui-même dans une encyclique adressée, par l’intermédiaire d’Antioche, aux deux autres patriarches orientaux, P. G., t. cxx, col. 816-820, et dans une lettre plus longue écrite à Pierre d’Antioche, ibid, col. 781-796. Ces deux documents ont été écrits à l’automne de 1054 ; émanés de Michel, ils tentent évidemment de rejeter sur les Romains toute la responsabilité de la rupture ; il ne faut donc les utiliser qu’avec précaution. Toutefois nous ne pensons pas qu’il faille qualifier sans plus de « roman » la présentation qu’ils donnent des faits.

Et c’est pourquoi, confiant dans ces textes, nous ne mettons pas en doute que les légats romains, en quittant Bénévent, ne se soient dirigés vers I’Apulie pour se rencontrer avec Argyros. C’est par lui, en somme, que s'étaient nouées les premières négociations avec Constantinople ; il convenait de prendre langue avec lui et de s’assurer amplement des dispositions qu’on allait rencontrer là-bas. On a dit, il est vrai, que les Normands auraient dû s’opposer à cette collusion entre Romains et Byzantins qui était dirigée contre eux, et l’on a imaginé de faire embarquer les légats à Naples pour éviter la suspicion des Normands. Mais il faut concevoir avec plus d'élasticité la « captivité » de Léon IX à Bénévent. Elle ne l’avait pas empêché de recevoir par l’intermédiaire d’Argyros les dépêches de Constantinople ; elle ne l’empêcha pas de tenir à Bari, vers ces mêmes moments, un concile dont la trace vient de se retrouver, cf. A. Michel, loc. cit., p. 49, 79, 88 ; elle ne pouvait guère l’empêcher de nouer avec le catapan des négociations que les Normands auraient eu en elïet toutes raisons d’empêcher, s’ils en avaient connu l’objet. Nous conclurons donc avec M. J. Gay : « Quand les trois légats partis de Bénévent, en janvier 1054, avec le consentement des Normands qui respectent en eux les représentants du Saint-Siège, gagnent la côte apulienne, Argyros s’entretient avec eux et joint ses instructions personnelles à celles qu’ils ont reçues du pape. Comme il connaissait fort bien, par sa propre expérience, l'état des partis dans la capitale de l’Empire, il a dû faire savoir au cardinal Humbert et à ses compagnons que le patriarche avait de nombreux adversaires, sur lesquels il leur serait facile de s’appuyer pour mettre le basileus de leur côté. Ainsi s’explique l’altitude des légats qui, dès le début, ont pu s’entendre avec le basileus avec une décision singulière, comme des hommes déjà bien informés et sachant qu’ils peuvent braver en face les prétentions de Cérulaire. Dès lors il est naturel que le patriarche ait vu surtout en eux les amis et les émissaires de son rival, de son adversaire, aussi habile qu’obstiné, le duc byzantin d’Italie. » J. Gay, L' Italie méridionale et l’Empire byzantin, p. 199.

Arrivés à Constantinople, en elïet, les légats affectèrent visiblement de n’avoir de mission que pour le basileus. C’est seulement après quelque temps qu’ils se présentèrent au patriarche. Cérulaire, dans sa lettre à Pierre d’Antioche, se plaint vivement des manques d'égard qu’ils se seraient permis à son endroit. P. G., t. cxx, col. 785 B. L’attitude des légats ne traduisait que trop bien les sentiments dont témoignaient les papiers qu’ils apportaient. Puisque l'Église romaine se considérait par rapport à celle de Constantinople comme une mère offensée par sa fille, elle attendait de