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MÉTEMPSYCOSE, HISTOIRE


et rendre consciente cette continuité entre les vies disparates qui, pour le commun des mortels, demeurent isolées et indépendantes.

Donc Aithalidès devint Euphorbe, celui qui blessa Ménélas, lequel Euphorbe affirme avoir été Aithalidès et avoir reçu d’Hermès la précieuse mémoire. Il peut raconter, en effet, toutes les pérégrinations de son âme. A Euphorbe succède Hermotime ; et celui-ci a d’autres choses que son affirmation pour garants de ses merveilleux récits. Dans le temple d’Apollon, chez les Branchides, il sait retrouver la lance à figurine d’ivoire qu’y avait déposée Ménélas. Enfin, après Pyrrhus de Délos, la chaîne des personnalités s’arrête à Pythagore, dont le souvenir peut parcourir à son gré toutes les vies précédentes et dont la pensée, comme dit Empédocle, Kalharmoi, fr. 129, n’a qu'à se tendre pour embrasser, d’un seul effort, toutes les choses qui existent, une à une, jusqu'à dix et vingt générations d’hommes.

Xénophane prenait moins au sérieux cette multiplication de consciences de son contemporain, et racontait plaisamment que le Maître, voyant battre un chien qui hurlait de douleur, s'était écrié : « Arrête, ne frappe pas ; c’est l'âme d’un de mes amis que j’ai reconnu à sa voix. » Diogène Laërce, viii, 36.

On dit généralement, à la suite de Diogène Laërce, vin, 13, que de la métempsycose dérive l’interdiction faite aux pythagoriciens de toute nourriture animale, viande, poisson, œufs. Si cette règle d’abstinence est vraie, ce serait un nouveau rapprochement avec la vie orphique qui interdisait toute nourriture vivante. Platon, De legibus, vi, 782. Par ailleurs, Aristoxène, d’après Diogène, viii, 20, dit que Pythagore avait permis toute espèce de nourriture animale, à l’exception du bélier et du bœuf qui laboure. Suivant d’autres relations, les pythagoriciens n’excluaient de leur alimentation que les bêtes mortes de maladie, ou déjà entamées par d’autres bêtes ; en outre certains poissons, les œufs et les espèces ovipares, les fèves et les autres aliments interdits par ceux qui confèrent l’initiation aux mystères. Diogène, vin, 33.

Il serait plus intéressant de Savoir s’il y avait au cycle décrit par Eudème un arrêt pour les âmes, qui rentreraient ainsi au sein de la divinité sans recommencer la série des existences. Nous n’avons, pour l’affirmer, que des renseignements très postérieurs et dépourvus de toute autorité. A. Diès, Le cycle mystique, p. 61. Il serait pourtant étrange, scmble-t-il, que les pythagoriciens, tout en regardant la naissance comme une peine, n’aient pas entrevu, au moins pour le sage et l’initié, l’heure de la libération définitive. Comme le dit Rohde, Psyché, t. ii, p. 166 : « Ce serait un bouddhisme sans promesse de Nirvana. »

4. Empédocle.

La métempsycose est le point sur lequel la doctrine composite d’Empédocle d’Agrigente vient rejoindre celle des pythagoriciens. Le démon qui souille ses mains dans le meurtre ou se parjure par un faux serment se voit banni de la divinité. Il tombe dans l’existence terrestre, il arrive pleurant et criant dans cette demeure sans joie qu’habitent le meurtre et la haine et la légion entière des Kères. Là, il doit revêtir les corps les plus divers et, pendant trente mille saisons, parcourir, l’un après l’autre, les douloureux sentiers de la vie, fr. 115, 7. Le poète lui-même n’a-t-il pas été autrefois garçon et fille, arbrisseau, oiseau, poisson muet dans la mer, fr. 117. Ainsi l’inexorable métempsycose emprisonne l'âme jusque dans les plantes, et l’homme peut devenir ou lion qui dort dans la montagne ou laurier au beau feuillage, fr. 127. La vie des animaux sera donc sacrée au disciple d’Empédocle. L’homme ne

s’exposera pas à participer aux œuvres de haine et à répandre un sang qui vraiment est le sien, fr. 136. A cette condition il pourra, délivrant peu à peu son âme de l’iniquité, remonter l'échelle des naissances. A la fin de cette ascension, il deviendra devin, poète, médecin, chef des hommes sur la terre. Plus haut encore le place l’ultime métamorphose : dieu riche en honneurs, il viendra s’asseoir à la table des autres dieux, pour y oublier à jamais soucis, souffrance et mort, fr. 144. Ainsi le démon rentre au sein de la divinité, d’où le péché l’avait banni. Empédocle en est lui-même à la dernière période de la vie humaine. La tête couronnée de bandelettes, il va, partout admiré, enseignant, aux milliers d’hommes et de femmes qui le suivent, la voie du salut. Et déjà, aux yeux de tous comme à ses propres yeux, il est entré vivant dans la divinité : « Je suis parmi vous comme un dieu immortel », fr. 112. A. Diès, Le cycle mystique, p. 85-87.

5. Platon.

Platon apporte en ces questions de

prudentes réserves : « En pareille matière, il est impossible, ou du moins très difficile d’arriver à l'évidence… Parmi les raisonnements humains, il convient de choisir le meilleur et le plus solide et de s’y risquer, comme sur une nacelle, pour faire la traversée de la vie ». Phédon, 85 cd. ; 114 d ; cf. Piat, Platon, Paris, 1906.

Les âmes en quittant leur corps partent pour l’Hadès avec leur degré de valeur morale, et ce degré de valeur morale est si personnel et tellement fixe que nul ne peut ni l’augmenter ni l’amoindrir. Phédon, 107 d ; Lois, xii, 959 bc. Une fois arrivées dans le séjour des enfers, les âmes se rendent d’elles-mêmes vers ce qui leur ressemble et se font ainsi leur propre sort. Phédon, 80 d-81e ; République, x, 613 b ; Lois, iv, 716 cd ; v, 728 ac ; x, 904 ce ; Timée, 90e. Celles des sages gagnent la société des dieux avec lesquels elles doivent passer l'éternité. Gorgias, 526 c ; Phédon, 81a, 114 e.

D’après le Phèdre, 249 ab, le sort du sage lui-même n’est définitivement fixé dans la félicité qu’au bout de trois mille ans d'épreuve ; encore faut-il que, pendant ce temps, il soutienne trois fois de suite la vie dont il a déjà donné l’exemple. Platon devient plus austère en vieillissant.

Les âmes des tyrans et des autres criminels incorrigibles se dirigent vers les méchants de même ordre, attirées vers eux par le charme de leur dépravation ; et c’est là, dans ce milieu de corruption radicale, qu’elles vivront à jamais, éternellement malheureuses, éternellement incapables de rompre avec la perversité qui fait leur malheur. Gorgias, 525 ce ; Phédon, 113e ; République, x, 613 ce.

Le châtiment qu’elles endurent ne leur est d’aucune utilité, puisqu’elles sont incapables de guérison ; mais il est utile à ceux qui le voient. Gorgias, 478 d ; 479 a ; 504 c ; 525 ad ; République, i, 337 d ; ix, 591 b ; Lois, v, 730 de ; ix, 854 de, 862 de ; xi, 934 ab.

Quant aux âmes qui peuvent encore guérir de leurs vices, elles s’en vont vers les groupes des trépassés qui ont eu le même genre de vie et commis les mêmes fautes. Mais leur épreuve n’est que temporaire. Au bout d’un certain stage, elles peuvent s’incarner derechef. Georgias, 525 e-526 b ; Phédon, 114 ab ; République, x, 614 e-625a ; Phèdre, 249 a b ; Théétèle, 177 a ; et cette permission d’un sage destin suffit à provoquer leur exode. Emportées par le désir d’habiter un corps, elles choisissent alors le mode de vie qui s’adapte le mieux à leurs dispositions, Phédon, 81 b82 b ; République, x, 617 e-618e ; Phèdre, 249 b ; Lois, x, 904e ; Timée, 42 be.

Au cours de ces palingénésies, Timée, 91 d, les âmes humaines peuvent se réincarner dans des corps de