Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/137

Cette page n’a pas encore été corrigée
1567
1568
MESSIANISME, RÉALISATION DANS LE N. T.


avaient été présagés par tel type ou tel oracle. Du temps des apôtres les rabbins attribuaient précisément aux moindres indications des textes prophétiques une valeur exagérée et en attendaient la réalisation littérale ; au surplus ils mettaient en relation avec le Sauveur futur des paroles et des épisodes de l’Ancien Testament, qui n’avaient aucune portée messianique ; c’est pourquoi il n’est pas étonnant que ces procédés d’exégèse en vigueur dans la théologie rabbinique se rencontrent également chez les apôtres. Après en avoir fait une étude détaillée dans la Revue pratique d’apologétique, M. Touzard, les résume dans le Dictionnaire apologétique, t. ir, col. 1647, de la façon suivante : « Tantôt on attribue à un détail du texte une précision qu’à l’origine il ne comportait pas (cf. Matth., xxi, 4-5, et Zach., ix, 9, à propos de l’ànesse et de l’ànon). Tantôt le texte n’est en rapport avec le fait que grâce à une leçon particulière aux Septante (cf. Matth., ni, 3, et Is., xl, 3 ; Matth., xiii, 35, et Ps., lxxviii, 2 ; Matth., xxi, 16, et Ps., viii, 3). On voit encore des textes d’une portée générale restreints à une signification très particulière (cf. Matth., iv, 6, et Ps., xci, 11, 12) ; des textes relatifs à Jahvé qui sont appliqués au Messie (cf. Matth., ni, 3, et Is., xl, 3) ; des textes relatifs à Israël qui sont interprétés du Messie (cf. Matth., ii, 13-15, et Ps., xi, 1) ; des rapprochements beaucoup plus artificiels (cf.Matth., xxvii, 9, 10, et Zach., xi, 13) ; c’est surtout dans saint Paul que de telles explications abondent. » « On doit, conclut l’auteur, col. 1648, regarder comme purement accommodatices les applications que, peut-être sous l’influence du milieu ambiant, les apôtres font à Notre-Seigneur et à son œuvre de paroles qui ne serapportent à ce sujet, ni au sens littéral ni au sens spirituel. »

Non moins frappant que la diversité des perspectives messianiques est leur caractère matériel et national, qui devient à son tour une cause d’apparent désaccord entre les prophéties et les faits du Nouveau Testament. En effet, le messianisme a comporté de tout temps presque autant d’aspirations vers la gloire d’Israël que vers la gloire de Jahvé. L’établissement du règne de Dieu est presque toujours conçu comme identique à l’établissement du royaume des Juifs. Le Messie est prévu en premier lieu comme un roi puissant qui rétablira la puissance de son peuple. Les voyants promettent non seulement des bénédictions spirituelles mais aussi des biens matériels. Ils annoncent pour la plénitude des temps tout ce que l’homme peut rêver en fait de bonheur terrestre, et ils ne parlent jamais explicitement du salut et du bonheur ultraterrestres. Toujours ils envisagent l’ère messianique comme l’état définitif de l’humanité ; ce n’est que dans les deux dernières apocalypses, toutes deux composées à l’époque chrétienne, que le temps messianique est considéré comme intermédiaire entre la vie actuelle de l’humanité et la vie transcendante.

Quel contraste entre ces vues des prophètes et la manière dont le Christ a conçu son œuvre 1 II ne s’occupe que du salut spirituel des hommes sans prendre en considération leur nationalité. Il a décliné toute aspiration politique et purement terrestre par cette déclaration : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » L’union avec lui n’assurera un bonheur immuable à l’individu que dans l’autre vie et à l’humanité qu’à la suite de son second avènement.

Pour expliquer ce contraste il ne suffit naturellement pas de dire que les promesses temporelles axaient été données à condition qu’Israël restât fidèle a son Dieu. Sans doute les Juifs par leur endurcissement ont perdu ses faveurs et le droit de voir se réaliser l’espérance en un bonheur terrestre. Cependant les prophètes avaient annoncé l’arrivée du salut matériel d’une façon aussi certaine que celle du salut spirituel.

Non moins artificielle est l’exégèse de ceux qui supposent que les prédictions d’un paradis terrestre aménagé au temps messianique ne doivent pas être prises au pied de la lettre, mais dans un sens métaphorique, c’est-à-dire que sous un langage symbolique ces promesses de bonheur matériel seraient l’annonce d’une félicité spirituelle. Ce principe d’interprétation a été récemment recommandé par Diirr, Ursprung und Ausbau der Heilandserwartung, 1925, p. 74 sq. ; N. Peters, Welt/riede und Propheten, 1917, p. 46 sq., partiellement et avec beaucoup de réserve par Touzard, Diction, apol., t. ii, col. 1641 sq. Certes les descriptions parfois si exubérantes du bonheur matériel et de la gloire nationale dont les Israélites jouiront un jour ne sont pas à prendre dans un sens strictement littéral. Si en général, comme il vient d’être dit, il faut mettre bien des phrases au compte de l’imagination poétique et du goût personnel des prophètes, il faut d’autant plus le faire en face de ces tableaux de prospérité temporelle. Mais bien qu’ils exagèrent et qu’ils emploient des locutions métaphoriques, quand par exemple ils décrivent la santé admirable et la longévité des élus, la fertilité prodigieuse du sol, la prédominance d’Israël dans le monde, etc., les voyants ne veulent promettre au total que du bonheur matériel ; car les biens spirituels sont prédits par eux, presque toujours simultanément et en des termes non moins clairs. Celui qui cherche dans ces passages uniquement un sens allégorique spirituel, méconnaît un des principes les plus élémentaires de l’interprétation philologique et exégétique. Il méconnaît surtout le cadre si terrestre de l’espérance messianique ; car, puisque le messianisme ne visait pas l’au-delà, mais une félicité accordée sur cette terre en des conditions améliorées mais analogues à celles de maintenant, quoi de plus naturel que les Juifs aient attendu un bien-être pour l’âme et pour le corps, un prestige pour la nation et pour l’individu I

Mais alors comment comprendre ces oracles au contenu matériel et terrestre en face du caractère exclusivement spirituel du Nouveau Testament ? Il n’y a qu’un seul moyen. C’est de les concevoir comme des éléments secondaires du messianisme qui devaient un jour, comme le judaïsme lui-même, devenir caducs. Ils furent longtemps indispensables comme enveloppe de l’attente du salut spirituel : ce n’est que par eux que Dieu a pu rendre cette sublime perspective accessible à l’esprit charnel et temporel des Juifs. Ils entouraient comme une gaine ce noyau précieux. Aussi longtemps que celui-ci n’était pas mûr, la gaine lui était inséparablement liée ; mais elle devait tomber au moment où les révélations du Nouveau Testament sur l’autre vie faisaient apparaître comme in lime toute aspiration nationale et matérielle. Ceci prouve une fois de plus que la relation entre les prophéties de l’Ancien Testament et les faits du Nouveau n’est pas seulement extérieure, et pour ainsi dire mécanique, mais surtout intérieure et organique. Le messianisme était la meilleure orientation de l’humanité vers le salut qui devait venir du Christ, et la religion chrétienne est l’épanouissement complet des éléments spirituels qui sont l’essentiel de l’espérance messianique. Malgré le désaccord extérieur, il y a donc, au fond, l’accord le plus parfait entre l’attente des Israélites et le salut des chrétiens : les oracles messianiques se sont réellement accomplis. I.a vraie portée du messianisme n’est saisissable qu’à la lumière

de la révélation du Christ.

E. Iliihn, Die mess. Weissagungen, t. n. Die A. T. Zitate und Remintszensen im N. T. 1900 ;.T. Richtcr, Die mess. Weissagimg und ihre Erfûllung, 1905 ; Lias, The évidence o/ fulftlled prophecg, dans Btbliotheca sacra, 1920.

L. Dennefeld.