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MESSIANISME, PRÉTENDUES ANALOGIES

meut avant ce triomphe final vient un héros fort et sage, semblable à Zoroastre. Il surgira du sperme de celui-ci, qui en attendant repose dans le lac de Hamun. Il sera le vrai Sauveur = Saoschyant. Par son regard plein de bénédiction il rendra toutes les créatures immortelles et ressuscitera tous les morts. Tandis que dans les Gâtha il n’est pas question du sort des défunts mais seulement des vivants, qui après avoir passé par un jugement général seront ou bien éternellement heureux avec Ormudz et ses anges, ou éternellement malheureux avec Ahriman et ses démons, l’Avesta postérieur et le Bundahisch enseignent que les hommes seront jugés immédiatement après leur mort et introduits au paradis ou jetés dans l’enfer en passant le pont Cinvat, et qu’à la fin du monde après la résurrection un second jugement aura lieu. Ce jugement sera inauguré par un incendie immense qui brûlera et purifiera le monde. Par suite de l’énorme chaleur tous les métaux se fondront et formeront une lave brûlante que les hommes auront à traverser. Pour les justes elle sera aussi agréable que du lait tiède, les pécheurs y souffriront les plus grandes douleurs ; mais, après avoir essuyé cette dernière peine, ils prendront part comme les justes au bonheur définitif. En même temps Ormudz et sa suite céleste vaincront Ahriman et ses démons, qui seront brûlés et anéantis dans le feu qui embrase l’univers. Alors le royaume de Dieu sera complètement établi.

Il y a donc dans le mazdéisme une eschatologie messianique et transcendante, et aussi la croyance en un sauveur qui inaugurera l’ère définitive de l’histoire de l’humanité. Pour cette raison on conçoit que tous ceux qui cherchent à réduire autant que possible l’originalité des croyances religieuses d’Israël, aient particulièrement recours au parsisme pour expliquer l’espérance messianique. Mais, pour que leur hypothèse fût recevable, il leur faudrait prouver que tous les textes des livres israélites préexiliens qui mentionnent le Messie et le salut final ont été interpolés après coup, pendant ou après l’exil — on avoue qu’avant l’exil aucune infiltration du parsisme n’a été possible — et que les doctrines communes aux deux religions, sont dues à une dépendance effective de la Bible par rapport à l’Avesta. Or la majeure partie des exégètes récents reconnaît, comme nous l’avons vu, l’authenticité ou tout au moins l’origine préexilienne de la plupart des passages messianiques en question, et un nombre toujours croissant d’auteurs, par exemple Wellhausen, Marti, Söderblom, Schürer, König, Sellin, Albert, Bertholet, Scheftelowitz, Hölscher, restreignent à un minimum et reculent à une date tardive l’infiltration du parsisme. A côté des affinités ils relèvent de grandes différences entre les deux religions. Ils observent que les idées nouvelles propres au judaïsme postexilien peuvent très bien être le résultat d’un développement autonome de l’Ancien Testament. Pour ce qui regarde les ressemblances considérables qui rapprochent l’eschatologie de l’Avesta de celle de la Bible, ils font valoir avec raison, surtout König, Messianische Weissagungen, p. 21, et Böklen, Verwandtschaft der jüdisch-christlichen mit der persischen Eschatologie, 1902, que les deux religions, partant du même fond monothéiste, ont pu évoluer parallèlement et aboutir à des conceptions non moins homogènes sur l’issue de l’ordre actuel. Il ne faut pas oublier non plus qu’il y a dans les conceptions et coutumes des différents peuples beaucoup d’éléments communs qui expliquent des coïncidences parfois surprenantes, que « le principe de conformité » s’applique surtout en matière religieuse. Voir de Broglie, Problèmes et conclusions de l’histoire des religions, 8e édit., p. 242-284 : les ressemblances entre le christianisme et les autres religions ; K. Marbe, Die Gleichförmigkeit in der Welt. Untersuchungen zur Philosophie und positiven Wissenschaft, i-ii, 1916-1919.

Il est donc très étonnant que la dernière étude sur l’eschatologie de l’Ancien Testament : Gall, Βασιλεία τοῦ Θεοῦ, 1926, ne soit pas autre chose qu’une entreprise de large envergure pour rattacher celle-ci au parsisme. G. Hölscher avait raison de dire, un an auparavant, Die Ursprünge der jüdischen Eschatologie, 1925, p. 11, en parlant d’avance de cette publication que, malgré les matériaux nombreux et détaillés qu’on pouvait en attendre, il serait impossible de faire dériver l’eschatologie juive du mazdéisme. En effet, dans son large exposé de l’espérance du royaume de Dieu chez les Perses, p. 83-163, Gall n’a fourni aucun élément nouveau à l’appui de cette dérivation. Dans les chapitres suivants il lui faut recourir à la critique la plus subjective et la plus radicale, pour rapporter toutes les prophéties messianiques au temps exilien et postexilien, et ce n’est qu’en multipliant les comparaisons et les identifications les plus hardies qu’il arrive à mettre Deutéro-Isaïe et Zacharie à la remorque de l’Avesta.

Carter, Zoroastrianism and Judaism, 1918 ; John A. Maynard, Judaism and Mazdayasna, a studg in dissimilarities, dans Journ. of Bibl. Lit., 1925, p. 63 sq.

Perspectives eschatologiques des Grecs et des Romains.

Dans les temps anciens ces deux peuples n’avaient aucune conception ou espérance comparable au messianisme. Pour l’antique Grèce, Gall, p. 447, relève expressément que l’eschatologie y était inconnue. Hésiode, en effet (vers 800 av. J.-C), dans son poème ἔργα καὶ ἡμέραι, tout en concevant le développement de l’humanité suivant un schéma de quatre périodes déterminées, n’en connaît aucune qui soit définitive et qui clôture l’histoire du monde. Il distingue l’âge d’or, d’argent, de fer et d’airain — l’âge des héros intercalé entre les deux derniers est secondaire — et décrit comment de l’un à l’autre la situation de l’humanité empirait progressivement, depuis l’état paradisiaque qui régna durant l’âge d’or jusqu’à l’état malheureux et mauvais des temps actuels qui représentent l’âge de fer. Il ne prévoit véritablement aucune modification essentielle : l’avènement d’un temps tout à fait heureux lui est étranger. Tout au plus s’attend-il à une amélioration de l’état actuel, v. 273.

Ovide, au commencement de ses Métamorphoses, i, 89-150, a repris cette division de l’histoire humaine en quatre périodes sans nourrir non plus l’espoir d’une ère de salut. Cependant, à la fin du même ouvrage, xv, 858 sq., il glorifie, déifie l’empereur Auguste à tel point qu’il semble prendre son règne pour un temps de bonheur extraordinaire, pour une époque nouvelle. Ovide est loin d’être le seul dans le monde gréco-romain à exalter un prince et à le saluer comme inaugurant une nouvelle période de bonheur. Cette coutume que nous avons constatée chez les Assyro-Babyloniens et les Égyptiens se rencontre également en Grèce et en Italie. En Grèce d’abord, surtout à partir du moment où l’ancienne croyance aux dieux commençait à chanceler, on donnait à de grands hommes le titre de sauveur, σωτήρ, réservé jadis aux divinités. C’est ainsi qu’en 307 av. J.-C, les Athéniens appelaient Antigone et Démétrios Poliorcète « dieux sauveurs ». Plus tard cette glorification fut surtout en usage sous les Ptolémées et les Séleucides. Voir l’inscription trilingue de Rosette, Dittenberger, Orientis græci inscriptiones selectæ, t. i, n. 90, et encore davantage sous les empereurs romains.

Aucun n’a été autant qu’Auguste exalté comme le sauveur du monde. Dans l’inscription d’Halicarnasse,