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MESSIANISME, PRÉTENDUES ANALOGIES


en trois directions. Ceux qui nient l’existence des prophéties messianiques au temps préexilien affirment que l’idée d’un Sauveur aurait été empruntée au parsisme avec lequel les Israélites auraient pris contact à Babylone. Cette tendance à rejeunir ainsi les oracles messianiques a, comme nous l’avons vii, provoqué une forte réaction : aujourd’hui beaucoup d’auteurs reconnaissent que le messianisme n’appartient pas seulement à l’époque prophétique, mais qu’il précède même les prophètes. Une de leurs principales raisons est le fait que les germes de l’espérance messianique se rencontreraient déjà dans les antiques religions égyptienne et babylonienne.

Tandis que ces religions auraient fourni à Israël ses idées messianiques, d’autres sont présentées comme renfermant des conceptions similaires pour lesquelles, par suite de la distance dans l’espace et le temps, il ne saurait être question de dépendance, mais qui n’en mériteraient pas moins d’être prises en considération à titre d’analogie. Dans cette seconde catégorie entrent les croyances des Grecs, des Romains, des Hindous et des Germains.

Prétendu messianisme des Babyloniens.

 Dans

aucun pays la prédiction de l’avenir n’a joué un aussi grand rôle qu’en Mésopotamie. C’est sur les bords de l’Euphrate et du Tigre que se trouve le berceau de l’astrologie et de presque tous les autres genres de divination. La classe la plus noble des prêtres avait la charge de présager les événements futurs au moyen des phénomènes qu’ils observaient au ciel et sur la terre, voir L. Dennefeld, Die babylonische Wahrsagekunst, 1919. Rien d’étonnant à ce que les panbabylonistes, dominés par l’idée préconçue que toutes les conceptions et institutions de l’Ancien Orient et en particulier de l’Ancien Testament remontent plus ou moins à une source assyro-babylonienne, aient tenté l’impossible pour en faire dériver aussi le messianisme.

Mais, tout d’abord, la littérature proprement divinatoire, qui se compose d’innombrables présages — en voir le groupe le plus curieux dans L. Dennefeld, Babylonisch-assyrische Geburtsomina, 1914 — n’a absolument rien de commun avec les oracles messianiques. Car les prédictions y sont tirées d’ordinaire de constatations futiles et ne se rapportent qu’aux choses de la vie publique ou privée. Aucune perspective eschatologique ne s’y rencontre et le point de vue moral y est tout à fait secondaire. Aussi les panbabylonistes les plus convaincus n’ont-ils pas osé mettre les présages babyloniens en parallèle direct avec les prophéties bibliques. Ils ont cependant essayé d’y découvrir des éléments eschatologiques, au moins sous forme embryonnaire. Parce que les augures prédisent au pays et à ses habitants tantôt une ère de bonheur et de paix, tantôt une ère de malheur et de révolte, on a prétendu qu’ils auraient connu et appliqué le schéma caractéristique de l’eschatologie, d’après lequel une époque de salut suivra et remplacera un jour la présente époque de malheur. Ainsi surtout H. Zimmern, Die Keilinschrijten und das Aile Testament, von Eberhard Schrader, 3e éd., 1903, p. 381, 393, Zum Streitum die Christusmythe, 1910, p. 19-20. Une telle interprétation des présages babyloniens ne tient pas compte du fait que rien n’est plus naturel pour un devin que de prédire le bonheur ou le malheur. Voir en de telles prédictions des germes du messianisme est la pire manière d’employer la méthode comparative. W. Eichrodt, Die Hofjnung des ewigen Friedens im alten Israël, 1922, p. 142, écrit avec raison : « Ni les innombrables oracles de l’hépatoscopie ni les autres… ne contiennent des éléments d’une espérance semblable à celle de l’ancien Israël. »

A côté de ces produits inférieurs de la divination assyro-babylonienne, d’autres textes cunéiformes ont été allégués comme sources plus directes du messianisme. Ce sont en premier lieu les passages des inscriptions historiques où tel roi est décrit comme un prince qui rend son peuple particulièrement heureux. On en rencontre déjà dans les inscriptions des plus anciens princes sumériens, tels que Urukagina, cône B et C, iii, 2 sq., et Gudea de Lagasch, cylindre B, xvii, 17 sq., voir Fr. Thureau-Dangin, Die sumerischen und akkadischen Kônigsinschriften, 1907, qui se vantent d’avoir établi l’ordre et que sous leur gouvernement la justice brille et l’injustice disparaît. De même Hammurabi, au prologue, i, 32 sq., et à l’épilogue, xxiv, 30 sq., de son code, prétend avoir subjugué tous ses ennemis et rendu heureux tous ses sujets. Même note dans les annales des Sargonides comme dans celles de Nabuchodonosor.

Zimmern, Keilinschrijten, p. 380 sq., Christusmythe, p. 16 sq., cite comme particulièrement caractéristique les éloges que le roi Assurbanipal, le troisième des Sargonides (668-626), fait de son règne : « Depuis que Asur, Sin, Schamasch… dans leur bienveillance m’ont mis sur le trône de mon père, Adad laisse tomber la pluie, Éa ouvre les abîmes qui contiennent les sources ; le blé atteint une hauteur de cinq coudées, les épis sont longs de cinq sixièmes de coudée… Les vergers produisent avec abondance les fruits, le bétail met bas avec succès. Durant mon règne, la surabondance est descendue et il y a profusion de richesses », Cylindre de Rassam, i, 41 sq., voir M. Streck, Assurbanipal und die letzten assyrischen Kônige, t. ii, 1916, p. 6-7. « Sur l’ordre des grands dieux je me mis sur le trône de mes pères… Les grands, les généraux désiraient mon gouvernement. Parce que mon nom fut prononcé… les quatre coins du monde se réjouirent. .. les armes des révolutionnaires dormirent… Dans la ville et dans les maisons personnne ne prit le bien de l’autre. » Tablette L, 4, ii, 5 sq., Streck, ibidem., p. 259-261. Dans le même sens un courtisan écrivait à Assurbanipal qu’il y a sous son règne « des jours de justice et des années de droit, des pluies abondantes et des prix modérés… les dieux sont respectés… les vieillards sautent, les enfants chantent, les femmes et les jeunes filles s’adonnent avec plaisir à leur devoir de femme et donnent la vie à des garçons et à des filles… » R. F. Harper, Assyrian and babylonian letters, i, 1892, n. 2.

Ces compliments montreraient qu’on avait eu la coutume en Chaldée de saluer les rois, non seulement comme des chefs puissants, mais aussi comme des sauveurs inaugurant une ère de prospérité. Ces éloges ne seraient pas uniquement des formules flatteuses, mais l’écho de l’espérance répandue dans tout l’ancien Orient qu’après l’époque actuelle de malheur un sauveur du monde viendrait pour réaliser enfin le bonheur. Chaque roi juste et puissant aurait été salué comme un type de ce roi idéal. En définitive ces formules auraient donc un sens eschatologique et messianique. Zimmern, Keilinschriften, p. 381, 394, Christusmythe, p. 15, 21, 28 sq. ; H. Lietzmann, Der Weltheiland, 1909, p. 21 ; H. Gressmann, Messias und Erlôser, dans Geisteskultur, 1924, p. 96 sq.

Pour justifier cette interprétation, il faudrait préalablement prouver que l’espérance en un sauveur a réellement existé en Orient dès les temps les plus anciens indépendamment de la Bible. Or aucun témoignage direct n’a pu en être allégué. Quant à ces éloges dithyrambiques, ils sont d’autant moins aptes à figurer comme témoignages indirects, comme reflets d’une prétendue espérance messianique, qu’ils sont dépourvus de toute perspective eschatologique. Il ne faut y voir que l’expression des prétentions vaniteuses des