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MESSIANISME, PRÉTENDUES ANALOGIES


sera dévasté », vii, 16, n’a-t-il pas indiqué une date de la vie de Messie comme terme du désastre ? C’est pourquoi M. van Hoonacker, La prophétie relative à la naissance a" 1 mmanu-El, dans Revue biblique, 1909, p. 223, a pu écrire : « Le salut messianique, à raison de la garantie qu’il offre du triomphe final de la nation, se confond, dans l’attente d’Israël et dans les oracles qui s’en font l’écho, avec la victoire sur les ennemis du présent, avec la fin des épreuves sous lesquelles le peuple gémit actuellement. Le phénomène se constate en particulier pour Emmanuel lui-même qui est salué par Isaïe comme le sauveur qui repoussera le flot de l’invasion assyrienne. » Cette conception de M. van Hoonacker a été acceptée par le P. Lagrange, Revue biblique, 1905, p. 280, qui, non content d’y voir « la solution définitive » de la difficulté que présente Is., vii, 14 sq., ajoute : « Le cas d’Emmanuel n’est pas isolé… Ce sont tous les prophètes qui ont envisagé le salut comme prochain. » M. Tobac, art. Isaïe, t. viii, col. 4, et le P. Calés, Les trois discours prophétiques sur Emmanuel, dans Recherches de science religieuse, 1922, p. 174, ont également donné leur pleine adhésion à cette opinion. « L’apparente proximité de l’avènement d’Emmanuel, écrit ce dernier, n’est qu’un exemple plus frappant et plus corsé, si l’on veut, d’un phénomène ordinaire dans les prophéties messianiques, le défaut de perspective : Le Messie apparaît toujours plus ou moins sur le prochain horizon. .. De quelle efficace eût bien pu être, en effet, son annonce s’il eût été prédit explicitement que la réalisation aurait lieu après plus d’un demi-millénaire ? »

De même à la fin de sa carrière, lors de l’invasion de Sennachérib, Isaïe rapprochait encore la réalisation du bonheur messianique de la défaite de ce roi assyrien : Dès que le cycle des fêtes d’une année se sera encore une fois reproduit, donc dans un an, Jérusalem sera assiégée, xxix, 1 ; mais tout à coup Jahvé la délivrera ; « sous peu », xxix, 17, la situation sera changée du tout au tout, et la sainteté ainsi que le bonheur lui seront accordés dans la plus haute mesure et pour toujours, xxix, 16-24. L’attente de la félicité messianique qui va venir incessamment forme le fond de tous les oracles isaïens de cette époque.

Sophonic, i, 7, Abdias, 15, Joël, i, 15 ; ii, 1, présentent tous le jour de Jahvé comme imminent : « Le jour de Jahvé est proche. » Au sujet de Sophonie, M. van Hoonacker, Les douze petits prophètes, p. 502, s’exprime ainsi : « Comme le jour de Jahvé, c’est-à-dire le jour du bouleversement des nations et du châtiment des coupables en Israël, est imminent, et que ce même jour doit avoir comme conséquence immédiate, qu’il a même pour but la constitution du reste d’Israël dans la possession des gloires et des bienfaits messianiques, il s’ensuit que, d’après les vues dont s’inspire notre livre, l’avènement du règne messianique, est considéré comme prochain. Il coïncide avec l’issue de la catastrophe que présage la situation politique troublée de l’Asie. Cette manière d’envisager les conditions dans lesquelles se réalisera le salut final n’est du reste nullement propre au livre de Sophonic ; voir par exemple, Michée, v, 5 b (6 b). »

Par rapport à Jérémie le P. Condamin fait la même constatation : « Jérémie comme plusieurs autres prophètes paraît attendre l’ère messianique aussitôt après le retour de l’exil », Le livre de Jérémie, p. 217. Cela est aussi vrai pour Ézéchiel. Ces deux prophètes ont toujours présenté la fin de l’exil comme le début du temps messianique. C’est encore davantage le cas pour l’Isaïe de l’exil : » Chez le prophète de l’exil, c’est le rétablissement des tribus après la captivité qui est le signal de la restauration universelle, Is., xux, 5 sq. » A. van Hoonacker, Revue biblique, 1904, p. 223.

Aux Juifs rapatriés Aggée et Zacharie font savoir que, la reconstruction du temple une fois achevée, il n’y aura plus d’empêchement pour la réalisation du salut définitif ; surtout les promesses faites à Zorobabel montrent qu’ils rattachaient l’ère messianique à leur temps.

Dans le livre de Daniel l’établissement de l’empire de Dieu est censé devoir se faire aussitôt après la disparition du quatrième empire païen dont le dernier roi est Antiochus Épiphane. « Le prophète qui a écrit notre livre, dit le P. Bayer, loc. cit., p. 79, voit l’avènement du salut messianique coïncider avec la fin de l’opposition de la religion au temps des Machabées. »

Les livres apocryphes eux aussi décrivent toujours l’ère messianique comme imminente, de même d’ordinaire les écrits rabbiniques.

Il ne peut donc y avoir de doute que les prophètes semblent présenter leurs promesses comme destinées à se réaliser bientôt. Leurs oracles se caractérisent par un manque absolu de perspective. Ce fait est aujourd’hui, comme on vient de le voir, reconnu par les meilleurs exégètes catholiques pour une des lois du genre prophétique. Au milieu du siècle dernier Schegg, Die kleinen Propheten, 1854, p. 168, l’avait déjà très bien formulée en ces termes : « Les prophètes se représentent toujours la période messianique comme proche ; ils tiennent chaque catastrophe pour la dernière. L’Assyrie tombe et, pour le prophète, l’époque messianique suit aussitôt ; Babyïone tombe et les mêmes attentes se placent au premier plan ; et ainsi de suite jusqu’aux jours de l’accomplissement ». Au Moyen Age même, ainsi que le P. Lagrange, Revue biblique, 1905, p. 289, le relève dans la biographie de sainte Catherine de Sienne, composée par le B. Baymond de Capoue, on reconnaissait sans le moindre scrupule que les prophètes de l’Ancien et du Nouveau Testament annoncent comme très prochains des événements dont ils étaient séparés par des centaines d’années. Ce manque de perspective ainsi que le nationalisme exclusif font partie des contingences dans lesquelles se présente le messianisme en Israël. Voir plus bas. col. 1565 sq.


III. Comparaison entre les idées messianiques d’Israël et les idées analogues ou prétendues analogues d’autres peuples. —

Malgré la trame nationale, le messianisme est l’épanouissement le plus merveilleux du monothéisme israélite, la création la plus noble du génie juif fécondé par la révélation divine. Aussi a-t-il excité l’admiration unanime des siècles passés.

De nos jours cependant, à en croire certains exégètes et historiens, cette admiration devrait se réduire de beaucoup, parce que la comparaison avec les religions d’autres peuples anciens prouverait que l’espérance messianique est loin d’être le privilège d’Israël. On trouvera la somme des prétentions de cette école comparative dans le livre récent d’Alfred Jeremias, Die ausserbiblische Erlôser-Erwarlung, 1927, où l’auteur réunit en quatre cents pages les textes d’une douzaine de littératures différentes sur l’aspiration vers un sauveur du monde. Cette publication forme le point culminant d’un mouvement qui se produit depuis que les fouilles faites en Orient, et le déchiffrement des textes trouvés, ont permis de replacer l’Ancien Testament dans son milieu hislorique et de faire le parallèle entre les idées et institutions d’Israël, et celles des peuples avec lesquels celui-ci fut en rapport. En ce qui concerne le messianisme, il résulterait de cette comparaison qu’il y eut chez d’autres nations des prophéties et des espérances analogues ; bien plus, que ces dernières seraient le prototype et formeraient la source des prédictions bibliques.

Cette prétendue dépendance a été cherchée surtout