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MESSIANISME, ORIGINE


ment épurée par les prophètes au point de vue moral.

Cette théorie est une pure chimère ; car, d’abord, les prémisses en sont absolument fausses : il n’y a pas d’eschatologie babylonienne (voir plus loin) et ensuite l’eschatologie biblique n’est pas en premier lieu, comme le supposent Gunkel et Gressmann, l’attente d’un cataclysme cosmique, mais l’espérance en une intervention extraordinaire du Dieu tout-puissant. Aussi ce système, malgré la manière vraiment spécieuse dont ses auteurs l’ont présenté, n’a-t-il pas trouvé beaucoup d’adhérents ; parmi eux il faut surtout nommer W. Stærk, Das assyrische Wcltreich im Urteil der Propheten, 1908. Cependant ceux qui l’ont élaboré ont le grand mérite d’avoir porté des coups décisifs à celui de Wellhausen.

3. Ces deux systèmes étant aussi discrédités l’un que l’autre, on cherche depuis quelques années à leur en substituer un troisième, d’après lequel l’origine de l’eschatologie de l’Ancien Testament ne devrait plus être cherchée ni dans les mythes babyloniens, ni dans les pronostics et désirs de la politique nationale des Israélites, mais dans la liturgie du culte de Jahvé. L’auteur de cette théorie est S. Mowinckel, Psalmenstudien, n. Das Thronbesteigungsfest Jahvàs und der Ursprung der Eschatologie, 1922.

Partant du principe établi par Grônbech que le culte formait le centre de toutes les religions antiques et qu’on croyait Dieu présent dans le lieu de culte pour y accorder le salut à ses fidèles, il prétend que les Israélites avaient, au moins dès le temps royal, une fête particulière pour célébrer Jahvé comme leur roi tout-puissant : la fête de l’intronisation. Cette fête était identique au jour du nouvel an et coïncidait avec celle des Tabernacles. En dernier lieu elle était une copie de la fête babylonienne du nouvel an. De même qu’en ce jour les Babyloniens glorifiaient Mardouk comme le grand protecteur dont dépend le destin du monde, ainsi les Israélites, en appliquant les anciens mythes de Mardouk à Jahvé, l’exaltaient comme leur sauveur. A cet effet ils l’intronisaient, année par année, par des cérémonies somptueuses, par une procession solennelle, par un vrai drame liturgique, comme le maître du monde et d’Israël qui abat tous ses ennemis et procure puissance et bonheur à ses fidèles. Au temps glorieux de David et de Salomon, cette fête de l’intronisation correspondait tout à fait à la situation brillante de l’État israélite, elle était la reconnaissance officielle de la royauté réelle et sensible de Jahvé. Après le schisme, la réalité contrasta bientôt et grandement avec le sens de cette fête. Précisément parce qu’elle faisait éclater ce contraste, la fête de l’intronisation a fait surgir la croyance eschatologique : les Israélites dont la foi fut de tout temps invincible se disaient que Jahvé, qui ne se montrait plus comme autrefois maître absolu de l’univers et protecteur infaillible de son peuple, se manifesterait dans l’avenir comme tel : ce serait le jour de Jahvé qui inaugurerait son empire absolu et le bonheur définitif d’Israël.

Telle est la manière dont Mowinckel dans sa très vaste étude essaie d’expliquer l’origine du messianisme. Hôlscher, plein d’admiration — il nomme le livre de Mowinckel la publication la plus géniale qui ait été faite durant ces dernières années dans le domaine de l’Ancien Testament — l’a reproduite dans sa conférence, Die Urspriinge der jùdischen Eschatologie, 1925 ; il l’approuve complètement à l’exception de la date où la célébration de la fête de l’intronisation aurait ouvert la perspective de l’avenir ; Mowinckel est pour le temps d’Amos, Hœlscher pour l’exil : « l’exil seul a séparé le culte de l’espérance », p. 14. Hans Schmidt, dans le compte rendu qu’il donne de l’ouvrage de Mowinckel dans la Theologische

Literalurzeitung, 1924, p. 77-81, accepte à peu près toutes ses idées ; depuis il les a développées dans une étude spéciale : Die Tronfahrt Jahves am Fesle der Jahreswende im alten Israël, 1927.

Il faut avouer que cette nouvelle explication a sur les deux autres l’avantage de replacer l’attente du royaume futur de Jahvé au centre de l’eschatologie juive, et il faut rendre hommage à la manière ample et suggestive dont elle est exposée. Mais l’hypothèse elle-même nous paraît dénuée de tout fondement. Car, d’abord, aucun texte n’atteste l’existence d’une fête d’intronisation en Israël : elle n’est mentionnée ni dans les parties législatives ni dans les livres historiques de l’Ancien Testament, et les prétendus psaumes d’intronisation (voir col. 1458 sq.), pour quelques versets qui s’y rapportent à des cérémonies cultuelles, ne peuvent pas davantage être allégués comme preuves de la célébration d’un tel jour. Le sens des passages bibliques dont on veut déduire l’existence de cette fête est tellement vague que personne ne l’y aurait soupçonné, si on n’avait su qu’une fête de ce genre était célébrée à Babylone, voir H. Zimmern, Das babylonische Neujahrsfest, 1926. Or la célébration d’une fête religieuse sur les bords de l’Euphrate ne saurait être un indice certain qu’il en ait existé une semblable en Palestine.

Si donc, au point de vue historique et exégétique, le système de Mowinckel est déjà bien invraisemblable, il ne l’est pas moins au point de vue psychologique : même si une fête d’intronisation avait existé, elle n’aurait jamais pu provoquer l’espérance messianique. Une fête peut bien ranimer les croyances déjà existantes, mais jamais elle ne les crée ; elle rend des idées religieuses plus intenses, mais elle ne les transforme pas. Aussi l’exposé, si vaste et si ingénieux qu’il soit, par lequel Mowinckel, dans le dernier chapitre de son livre : Vom Erlebnis zur Hofjnung, de l’expérience à l’espérance, p. 315-324, essaie de rendre plausible la façon dont l’expérience religieuse de la fête d’intronisation aurait amené les Juifs à attendre pour l’avenir une grande manifestation de Jahvé, n’est-il pas capable de rendre sa thèse psychologiquement probable. D’autant qu’il est lui-même loin de faire entrer en ligne de compte uniquement cette fête. Il dit très bien que par leur passé glorieux, l’exode, la législation au Sinaï, les victoires des Juges, de David et de Salomon, les Israélites étaient amenés à nourrir de grandes attentes et que les déceptions qui suivirent le règne de Salomon dirigeaient leurs espérances vers l’avenir. Et l’on comprend qu’il ajoute que ces faits favorisaient la naissance de l’eschatologie. Mais l’on ne comprend absolument pas que l’expérience cultuelle de la fête de l’intronisation ait pu faire naître cette eschatologie ; car l’influence plus ou moins magique et hypnotique que cette fête aurait exercée dans ce sens nous semble tout à fait imaginaire.

Cette explication est beaucoup trop artificielle pour être exacte. Aussi, dès qu’on admet, avec Mowinckel, que le contenu principal de l’eschatologie juive est la réalisation complète du royaume de Dieu sur la terre, dès qu’on est convaincu avec lui que l’espérance en la venue de Jahvé doit avoir son origine au sein d’Israël même, on rencontre dans l’histoire du peuple de Dieu, même en faisant abstraction de la révélation directe des idées messianiques, des faits autrement aptes que la « fête de l’intronisation » à figurer comme sources de l’eschatologie.

4. Sous ce rapport on pense spontanément à la manifestation de Jahvé au Sinaï. En effet, dix ans avant Mowinckel, peu satisfait lui aussi du système évolutionniste et mythique, un autre exégète, Sellin, a eu recours à cet événement primordial de l’histoire juive pour expliquer la genèse du messianisme.