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MESSIANISME, LA LITTÉRATURE RABBINIQUE


P. Lagrange.) C’est le texte le plus complet relatif au règne actuel et futur de Dieu.

Le Messie.

Les rabbins concevaient le temps

du salut, non seulement comme l’époque du règne de Dieu, mais aussi comme l’époque du règne du Messie. Ils l’appelaient même de préférence « les jours du Messie ». Il en résulte que « l’attente du Messie au temps de Jésus était, sinon un dogme tel que nous l’entendons, du moins une espérance absolument ferme », Lagrange, Messianisme, p. 216. Il est pourtant très difficile de déterminer exactement le rôle que le Messie a joué dans les perspectives eschatologiques des rabbins. La meilleure preuve en est la différence des opinions émises à ce sujet par les auteurs. Tandis que d’après les uns, par exemple V. Baldensperger, Die messianisch-apocalyptischen Hofjnungen des Judentums, 1903, p. 82, le Messie aurait formé le centre des espérances de l’époque rabbinique, il y aurait d’après d’autres, par exemple, E. Schurer, Geschichte desjùdischen Volkes, t. ii, 3e édit., p. 504 sq. ; W. Bousset, Die Religion des Judentums…, 2° éd., 1906, p. 255, occupé une place secondaire.

Ce sont les docteurs de la loi qui, plus qu’on ne l’avait fait auparavant, ont désigné le libérateur de la fin des temps par le terme de Messie. A ce titre ils aimaient ajouter celui de Roi : « le roi oint » : Textes dans G. Dalman, Die Worte Jesu, 1870, p. 240 sq. ; Lagrange, Le messianisme, p. 215. Ils lui assignaient encore beaucoup d’autres noms, suivant leurs conceptions variées sur la personne et l’œuvre du Messie, par exemple celui de fils de David, voir Dalman, ibidem ; Lagrange, p. 216.

Par rapport à la nature du Messie il faut relever que, d’après les maîtres en Israël, celui-ci sera un homme et non un Dieu. Surtout en face du christianisme ils soulignent de plus en plus son origine humaine. Dans le dialogue de Justin avec Tryphon, c. xlix, celui-ci dit catégoriquement : tzolmtsq tjp-eïç tôv Xpta-6v (5cvGpco ; rov èZ, àv6po>Tccov 7rpocr80xiï>[i.ev yev^aec 60a. R. Abahon, Talmud Jer., 65 b, pour polémiser contre le Christ qui dans un sens transcendant s’appliquait le titre de « fils de l’homme » de Dan., vii, 13, disait : « Si quelqu’un te dit : Je suis Dieu, il ment, s’il te dit : Je suis le fils de l’homme, il s’en repentira ; s’il te dit : Je monte au ciel, il le dit, mais ne le fera pas. » Mais les rabbins contestent également au Messie la divinité pour des raisons indépendantes de cette oppo : sition aux doctrines du Nouveau Testament. A cette fin, par exemple, ils le distinguaient expressément du Verbe (mêmra) de Dieu, Targum Jonathan, Is., ix, 7 ; xlii, 1.

D’autre part ils relèvent bien au-dessus des autres hommes. C’est ainsi qu’ils lui attribuent une certaine préexistence céleste. D’après la baraïtha, Talmud Bab., Pesahim, 54 a, le nom du Messie a été avec six autres choses (la Loi, le Paradis, l’Enfer, etc.) créé avant la création du monde. D’après d’autres textes, le Messie lui-même a existé avant la création, Pesikta Rabbathi, 152 b, avant les montagnes, Midrasch Tehillim, lxxxvii, 4. Dans le Midrasch Rabbot, Gen., ii, 1, il est enseigné que l’esprit de Dieu qui au commencement flottait sur les eaux, a été l’esprit du Messie. Comme le Sauveur a préexisté auprès de Dieu, ainsi il aura dans l’autre monde après son ministère terrestre une place particulière à côté du Très-Haut. Celui-ci lui donnera une partie de sa gloire, Midrasch Tehillim, xxi, 1, son habit, sa couronne, ibiil., xxi, 2 ; il le mettra à sa droite au-dessus d’Abraham, Ibid., xvin, 36.

La vie du Messie commencera comme chez les autres mortels par la naissance qui ne sera ni virginale ni caractérisée par d’autres faits extraordinaires : Tryphon se montre scandalisé par la conception vir ginale, et Aquila dans sa traduction d’Is., vii, 14, a remplacé la vierge des Septante par une jeune personne (Lagrange, p. 223). Se fondant sur Michée, les rabbins font naître le Messie à Bethléem, Targum Michée, v, 2 ; Talmud Jer., berak 5*-. A ce dernier endroit du Talmud on lit qu’il naquit le jour même de la destruction du temple. Cette opinion correspond à cette autre qu’il mènera avant son apparition comme Sauveur une vie cachée. Il développera entre temps sa connaissance de Dieu et de la Loi ; il ne connaîtra pas encore le rôle qu’il doit jouer et ne sera pas davantage connu comme libérateur futur, Tryphon dans Justin, Dialog., ex, Midrasch Tanhuma schemoth, 8. Comme Moïse a été élevé à la cour païenne d’Egypte, le Messie séjournera avant son ministère à Rome, la capitale de l’empire qu’il doit détruire, ibidem.

Le Messie se manifestera subitement, Talmud Bab., Sanh., 97, sur les nuées (Dan., vii, 13), « si les Juifs ont acquis des mérites », sur une ânesse (Zach., ix, 9), « s’ils n’ont pas acquis de mérites », ibid, 98 a. Son œuvre principale sera la délivrance et la restauration d’Israël, il l’accomplira en faisant des miracles semblables à ceux de l’Exode, Targum Jon., Num., xxii, 7 ; Is., x, 27 ; un, 8. Il établira en outre sa domination sur tous les peuples et tous les royaumes, Targum Onk., Num., xxiv, 17. Dans ce but il livrera des combats sanglants aux nations, Targum Jon., Zach., x, 4. Son ennemi le plus redoutable sera l’Empire romain dont il tuera le chef par le souffle de ses lèvres, Targum Jon., Is., xi, 4. Dans h nouveau royaume ainsi fondé il exercera, assis sur le trône de David, le gouvernement le plus juste et le plus prospère. En récompense de son ministère, le Messie prendra part dans l’autre monde à la gloire divine, Midrasch Tehillim, xxi, 1-2. Il y sera le premier parmi les patriarches et les grands d’Israël, Talmud Bab., Sanh., 102 a, Kalla, r. vii.

Les rabbins se sont donc imaginé le Messie surtout comme un roi puissant qui protégera son peuple, et qui le mènera à la gloire en subjuguant les autres. Mais jamais ils n’ont pensé à lui attribuer le pouvoir surnaturel de remettre les péchés, comme le soulignent Dalman, p. 215 et Lagrange, p. 229. Ils ne l’ont pas non plus conçu comme méritant et procurant le salut par ses souffrances. L’idée d’une passion douloureuse leur semblait incompatible avec le rôle glorieux du Roi-Messie. Comme il y a pourtant dans la littérature prophétique des textes qui parlent clairement des souffrances expiatoires du Sauveur : Is., lui ; Zach., xii, 10 sq. ; Ps., xxi, les docteurs, ne pouvant pas nier la portée messianique de ces passages, ont entrepris de véritables tours de force exégétiques pour leur donner un autre sens. Ils ont surtout paraphrasé Is., lui, de telle façon que la passion du Serviteur de Jahvé se transforme en une supplique, Targum Jon., Is., lui, 2-12. A la longue ils ne pouvaient cependant pas se dérober au sens obvie des textes ; par suite aussi de la controverse avec les chrétiens, ils ont attribué au Messie au moins quelques souffrances en le nommant d’après Is., lui, 4, le lépreux, Talmud Bab., Sanh., 98 b, ou en leprésentant pendant sa vie cachée assis aux portes de Rome au milieu des misérables et dos malades. Ibid., 98 a. Ils ont finalement inventé un second Messie de rang inférieur, appelé fils de Joseph ou fils d’Éphraïm, qui souffre et qui meurt, Talmud Bab., Succa, 52° : Il est le Sauveur des dix tribus ; il semble précéder le vrai Messie ; il aura à se soumet Ire à des douleurs et même à la mort qu’il trouvera dans la guerre contre Gog et MagOg. Israël prendra sur lui le deuil. Le fils de David voyant la mort du fils de Joseph demandera la vie. Cependant à la mort de ce Messie de second ordre, les sentences les plus anciennes n’imputent aucune valeur rédemptrice. Voir Lagrange. p. 236-256.