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1213 MESSE. LE SACRIFICE-OBL ATION : L'ÉCOLE FRANÇAISE 1214

la totalité du sacrifice du Christ : 11/ tolum exprimatur Christi særiflcium ; ou plutôt, comme représentant ses trois parties principales : praripuasacrifiai partes. Car, dans le sacrifice du Christ, comme dans ceux de la Loi ancienne, on distingue : la séparation ou sanctification de la victime, qui a lieu à l’incarnation ; l’oblation de la victime, qui a lieu dès sa naissance : son immolation, réalisée à la croix : son inflammation ou consomption, réalisée dans la résurrection et l’ascension au ciel ; enfin la communion du peuple à la victime qui se fait en la Pentecôte. » Lepin, op. cit., p. 557, citant Benoît XIV, op. cit., t. II, c. xi, n. 5. On retrouve en ces assertions comme un écho de la doctrine du P. de Condren ; mais, nous l’avons dit, à cette doctrine Benoît XIV superpose, comme de Condren lui-même, la thèse de l’immolation mystique du Christ dans la double consécration : « La consécration d’une seule espèce forme un sacrement, mais non un sacrifice ; car Jésus-Christ a institué l’eucharistie comme sacrement en forme de victime égorgée, et cette forme ne se trouve que dans la consécration de l’une et l’autre espèce. Car, comme parlent les théologiens, dans la consécration du pain, par la vertu des paroles, le corps est mis séparé du sang et, dans la consécration du viii, le sang est mis séparé du corps ; et par là est représenté le sacrifice sanglant que Jésus-Christ a olîcrt sur la croix par l’effusion de son sang et par la séparation d’avec son corps… » Op. cit., t. II, c. xvi, n. 83.

2° Un excès dans la théorie du sacrifice simple oblation : l’erreur du P. François Le Courrayer († 1776). — Vers 1716, quelques théologiens français et anglais tentèrent un rapprochement entre l'Église catholique et l'Église anglicane. En 1723, sans doute en vue de favoriser cette union, parut à Nancy, sans nom d’auteur, un livre, imprimé à Bruxelles, Dissertation sur la validité des ordinations des Anglais et sur la succession des évoques de l'Église anglicane. L’auteur était le P. Le Courrayer, chanoine régulier de SainteGeneviève. Deux idées fondamentales sont à retenir de cet ouvrage : 1° les évêques actuels d’Angleterre remontent sans interruption aux évêques du temps de la Réforme, lesquels ont été tous régulièrement ordonnés ; 2° la différence de croyance relative au sacerdoce et au sacrifice n’est pas suffisante pour infirmer la validité des ordinations. Cette double thèse, et principalement la deuxième relative au sacrifice de la messe, trouva de nombreux contradicteurs parmi les théologiens de l'époque. Il faut citer dom Gervaise, abbé de la Trappe, Hardouin, mais surtout le P. Michel Lequien, O. P., Nullité des ordinations anglicanes ou Réfutation du livre intitulé : Dissertation, etc., Paris, 1725, et Vivant, docteur en Sorbonne et chancelier de l'Église de Paris, Dissertation contre les erreurs du P. Le Courrayer, Paris, 1728. En 1726, Le Courrayer avait répondu au P. Lequien, par une Défense -de la Dissertation sur la validité des ordinations des Anglais, Bruxelles, 1726. Les manuels théologiques de l'époque consacrent un chapitre à la controverse. Voir Collet, Traclatus de eucharistiu, part. II, c. iii, § 1 ; Billuart, De sacramento ordinis, dissert, iii, a. 2, appendice, etc. Voir ici art. Le Courrayer, t. ix, col. 113. De cette controverse, nous ne retiendrons ici que ce qui concerne l’essence du sacrifice de la messe. Le Courrayer la place dans l’oblation de la mort sanglante de Jésus-Christ, à l’exclusion d’une immolation mystique actuelle sur l’autel. Sur les rapports de la question du sacrifice eucharistique et de la validité des ordinations anglicanes, voir De la Taille, The eucharistie Sacrifice in ihe light of a récent document, dans Gregorianum, 1926, p. 97.

1. Thèse de Le Courrayer.

« Saint Ignace, Tertullien. saint Cyprien, et tant d’autres ne reconnaissent

point de sacrifice dans la célébration de nos mystères, dans un autre sens que celui du sacrifice représentatif et commémoratif …

  • Les catholiques, autorisés par l’usage perpétuel

de l'Église, soutiennent que l’immolation réelle n'étant point nécessaire au sacrifice, on doit reconnaître dans l'Église le sacrifice propre de Jésus-Christ, et que ce nom lui convient en rigueur. Les protestants, au contraire, accoutumés de régler le langage des Églises sur une logique plus scrupuleuse, prétendent que n’y ayant de sacrifice, à parler exactement, qu’où se trouve une immolation réelle, on ne doit point qualifier ainsi l’eucharistie, quoiqu’ils y reconnaissent, comme nous, la représentation et. la mémoire de la mort de Jésus-Christ, l’oblation de son sacrifice et l’application de ses mérites. Ils reconnaissent donc, au fond, la même chose que nous. « Les Anglais pourraient reconnaître le même sacrifice que nous dans la célébration de l’eucharistie, quand bien même ils rejetteraient la réalité de la présence. Je soutiens que ce n’est pas sur cette présence de Jésus-Christ dans l’eucharistie, qu’est fondée l’idée du sacrifice… On peut admettre le sacrifice sans admettre la présence… Nos meilleurs controversistes n’ont jamais tiré l’idée de sacrifice dans l’eucharistie que de la mémoire et de la représentation de la mort de Jésus-Christ. » Propositions censurées par l’Assemblée du clergé de 1728.

Quelques explications tirées de la Défense… préciseront encore la pensée de Le Courrayer :

Le concile (de Trente) appelle la célébration de l’eucharistie un sacrifice, ut Ecclesiæ relinqucrct sacri/icium parce que, le sacrifice consistant dans l’offrande d’une victime immolée, et la passion de Jésus-Christ demeurant toujours présente, toutes les fois qu’on offre cette victime, autant de fois offre-t-on le sacrifice de JésusChrist… Mais ce sacrifice n’est pas un sacrifice renouvelé, puisque JésusChrist ne meurt qu’une fois. Ce n’est pas un sacrifice continué ou suppléé, puisqu’il a eu toute sa perfection et son complément dans la mort de Jésus-Christ. C’est seulement un sacrifice représenté quo eruentiini illud semel in critee peragendum reprœsentarctur ; un sacrifice rappelé, ejusque memoria in Imetn usque sœc.uli permaneret ; et un sacrifice appliqué, alque illius salutaris uirlus applicaretur. On trouve donc dans l’eucharistie un vrai sacrifice, en ce sens qu’on y fait à Dieu l’oblation d’une morl toujours présente, mortem annnnliabitis. Mais comme cette mort ne se réitère point, ce sacrifice n’est que la représentation d’un autre, Hoc / « cite in meam commemoralioncm. Défense de la Dissertation, I. IV, c. iv, p. 157-158. « Si le concile ajoute que ce sacrifice n’est point une commémoraison toute nue, ce n’est point pour établir l’essence du sacrifice sur la présence de Jésus-Christ : c’est pour marquer qu’il ne s’agit pas ici d’un simple rappel de la mort de Jésus-Christ à notre souvenir, mais de l’offrande que nous faisons à Dieu de ce souvenir, afin qu’en faveur de ce qu’il a souffert il ait pitié de nous, comme l’explique le cardinal Du Perron. Ibid., p. 148. Le Courrayer conclut : « L’offrande de la mort étant tout ce qu’il y a de réel dans le sacrifice, cette offrande est aussi réefle sans aucune présence physique du corps, comme avec cette présence, parce que la mort de Jésus-Christ ne se trouve pas moins réellement olîerte dans la supposition d’une absence physique, que dans la présence : et, l’objet étant aussi réel, le sacrifice subsiste également avec les deux opinions. Toute l’erreur du P. Lequien vient de ce qu’il confond le sacrement avec le sacrifice. Le sacrement à la vérité est fondé sur la présence ; mais le sacrifice ne l’est que sur la mort. » Ibid., p. 18'.). Donc, « si la reconnaissance du sacrifice de Jésus-Christ n’est fondée que sur l’offrande de sa mort, représentée par la consécration des symboles, il s’ensuit que les Anglais, qui admettent comme nous cette offrande et cette représentation, et qui l’ont toujours admise, pourraient reconnaître le même sacrifice que nous dans la célébration de l’eucharistie quand bien même ils rejetteraient la réalité de la présence. Ibid., p. 162.

On le voit, la thèse de Le Courrayer, quant à l’essence du sacrifice eucharistique, revient essentielle-