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MESSE, LE SACRIFICE-OBLATION : L'ÉCOLE FRANÇAISE


encore présentée à son Père, comme le prix de l’expiation de nos crimes, et parce que cette mort nous y est représentée par la consécration qui se /ait séparément deson corps et de son sang ». Ibid., n. 15, Lepin, op. cit., p. 514. Donc, l’immolation.à la messe consiste uniquement pour les Conférences, dans la représentation du corps et du sang consacrés séparément sous les espèces ; mais ce qui fait l’essence du sacrifice, c’est l’oblation présente de la victime autrefois immolée. A « ette doctrine fondamentale, se joignent dans les Conférences d’autres considérations fort justes, que nous avons déjà recueillies de la bouche de Bossuet et rencontrées dans la théologie des Oratoriens : commencement du sacrifice de Jésus-Christ au premier instant de l’incarnation ; continuation du sacrifice de la croix dans l'éternité par l’oblation que le Christ renouvelle sans cesse devant Dieu de sa personne et de sa mort ; union de l'Église à son chef dans l’offrande du sacrifice de la messe. Ibid., n. 23, 25, 22. L’affirmation principale des Conférences fut, au début du xviii » siècle, l’objet de vives critiques ; elle fut attaquée par de la Broue, éveque de Mirepoix, Sixième instruction pastorale sur le sacrifice de la messe, 1710, p. 46 : « Il n’est nullement nécessaire, écrit le prélat, que la mort de la croix intervienne autrement qu’en représentation dans le sacrifice de l’eucharistie ; et vouloir l’y rappeler en l’unissant par le sacrifice intérieur à l’oblation extérieure qu’on y fait de Jésus-Christ, sous prétexte qu’il n’est pas toujours nécessaire que l’immolation de la victime soit faite en même temps que l’offrande, pourvu qu’elles soient réunies l’une avec l’autre par le sacrifice intérieur du prêtre et du peuple, comme ont fait dans ces derniers temps de très habiles théologiens (en marge : Conférence de La Rochelle, n. 23), c’est non seulement faire dépendre le sacrifice extérieur de l'Église d’un sacrifice intérieur, dont il peut n'être pas accompagné, mais encore confondre « n quelque sorte dans la manière d’offrir, contre la décision du concile de Trente, les deux sacrifices de l’eucharistie et de la croix, sans autre avantage que de pouvoir trouver dans le sacrifice de l’eucharistie une destruction réelle qui n’y doit pas être. »

2. Nicole.

Cette critique de l'évêque de Mirepoix atteint aussi Pierre Nicole. Au texte rapporté par M. Lepin, op. cit., p. 515, on ajoutera ce passage bien plus expressif : « Il n’est pas nécessaire que l’immolation et l’oblation de la victime se fassent en un même temps ; et la diversité des temps auxquels les actions se passent ne fait pas que ce soient de différents sacrifices. Le Grand-Prêtre, après avoir égorgé le victime, emportait le sang dans le sanctuaire où il entrait une fois l’an. Cette oblation et cette immolation ne composaient qu’un même sacrifice, quoique faites en des temps différents. Et c’est ce qui arrive dans le grand sacrifice, dont tous les autres ne sont que des figures. L’immolation de la victime s’est faite une fois sur le Calvaire, mais l’oblation de la victime a commencé, dès l’entrée de Jésus-Christ au monde, et continuera dans toute l'éternité. C’est aussi ce qui se fait dans le sacrifice de l’autel. Car on y offre, à la vérité, Jésus-Christ présent sur nos autels ; mais on l’y offre comme immolé sur la croix, passio est Domini, dit saint Cyprien, sacrificium quod offerimus. C’est une continuation de l’oblation que Jésus-Christ y a commencée. Ainsi, c’est le même sacrifice, comme il est très bien expliqué dans les Conférences de la Rochelle. Ce seraient deux sacrifices, s’il y avait deux immolations ; mais n’y ayant qu’une même immolation et une même victime, quoique l’oblation soit faite par diverses personnes, et en divers temps, ce n’est qu’un même sacrifice ; ce qui fait dire au concile de Trente, qu’il n’y a que la manière d’olîrir Jésus-Christ qui soit différente : sola offerendi ratione diversa. » Instructions théologiques et

morales sur les sacrements, Paris, 17C7, t. i-, 6° Instruction : Du sacrifice de l’eucharistie, p. 12 sq.

Sans doute, dans son Explication du Pater, Nicole enseigne que Jésus-Christ s’immole sur nos autels, mais cette expression, jetée en passant, doit être comprise comme celle des Conférences de la Rochelle et expliquée selon les exigences du contexte. « Le sacrifice de la messe est en même temps une commémoration et une continuation du sacrifice de la croix. C’est une commémoration, parce que l’immolation de la victime n’y est pas actuellement faite, mais seulement représentée par la distinction des espèces du pain et du vin, dont l’une représente le corps de Jésus-Christ mort, et l’autre son sang comme séparé du corps. La messe est une continuation du sacrifice de la croix, parce qu’on y offre le même corps de Jésus-Christ immolé sur la croix, comme Jésus-Christ l’offre dans le ciel. » Instructions théologiques et morales sur l’oraison dominicale, etc., Paris, 1708, p. 123-124.

/II. au xviii° siècle. — 1° Continuation de la théologie de l’Oratoire. — 1. Gaspard Juenin († 1713). On peut rattacher au P. de Condren cette pensée exprimée par Juenin : « Le corps et le sang de JésusChrist ne sont pas changés intrinsèquement dans l’eucharistie ; mais ils sont changés extrinsèquement, c’est-à-dire relativement au lieu… Ce changement extrinsèque suffit pour un sacrifice proprement dit, car le Christ ne saurait être présent quelque part, sans s’offrir à Dieu le Père, sans se présenter pour nous devant sa face. » Est-ce suffisant pour affirmer que Juenin place au premier plan du sacrifice eucharistique l’idée d’oblation, laissant l’idée d’immolation au second ? Juenin est en réalité un disciple de Lessius, avec, en ce qui concerne la nécessité de la double consécration pour le sacrifice, une légère teinte de lugonisme.

A la suite du texte qu’on vient de rapporter, cet auteur écrit en effet : « Par la consécration, le corps et le sang sont séparés mystiquement, puisque par la force des paroles le corps seul est mis sous l’espèce du pain, et le sang seul sous l’espèce du vin. » Institut, theologicæ, Lyon, 1705, t. vii, p. 348. Cette séparation mystique est comme un état de mort -pour JésusChrist : « Il y est, en effet, comme mort, au moins extérieurement. » Mais encore, ce n’est point là le dernier mot de l’explication de Juenin. Nous le trouvons dans sa Théorie et pratique des sacrements, Paris, 1713, t. i, c. iii, p. 406 : « On veut bien supposer (ce qui néanmoins n’est pas) qu’il faut que la victime meure dans un sacrifice parfait ; mais il n’est pas nécessaire que cette mort soit réelle et véritable, il suffit au contraire qu’elle soit mystique et représentative. C’est aussi ce qui se fait dans l’eucharistie, dans la consécration de laquelle le corps de Jésus-Christ serait séparé de son sang, si l'état d’immortalité où JésusChrist est dans le ciel le permettait, car par la vertu et par la force des paroles, vi verborum, par lesquelles l’eucharistie est consacrée, le seul corps du Sauveur est rendu présent sous les espèces du pain, et le seul sang sous les espèces du vin. Cependant, par accident, ce même corps et ce même sang se trouvent réunis sous chacune des deux espèces, parce qu’ils sont réellement unis dans le ciel, et… qu’ils sont inséparables ; et c’est ce que les théologiens appellent être présent par concomitance. » Cf. Commentarius historiens et dogmaticus de sacramentis, Lyon, 1717, dissert. V, q. ii, c. ii, p. 285.

Juenin est toutefois quelque peu infidèle à la pensée, de Lessius, dans la question de la nécessité des deux consécrations. Toujours dans la Théorie et pratique des sacrements, t. i, p. 412 : « Il n’est pas certain, dit-il, de certitude de foi catholique, que la consécration des deux espèces soit requise pour l’essence du sacrifice.