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MESSE, LE SACRIEICE-OBLAÏION : L’ÉCOLE FRANÇAISE


pensée. Thomassin, plus théologien que ces deux auteurs, insiste formellement sur l’idée traditionnelle d’immolation invisible, mystérieuse, qui à la messe, affecte le Christ lui-même, et dont la séparation sacramentelle du corps et du sang est la manifestation. Telle est exactement la thèse de Thomassin : « Que le sacrifice de l’eucharistie soit un seul et même sacrifice avec celui de la croix, c’est ce qu’a parfaitement établi saint Grégoire de Nysse, établissant que les trois jours passés par le Christ dans la mort, doivent être comptés à partir du sacrifice de la cène. Car alors, Jésus-Christ en se sacrifiant et s’immolant à son Père comme victime, et se donnant lui-même à manger, est mort par avance d’une manière ineffable, plus conforme que toutes les autres à sa puissance et à sa dignité. Il convenait à ses perfections que ce ne fussent pas les bourreaux, ni la force des douleurs, ni la nécessité, de la nature, qui lui arrachassent une vie divine qu’il ne pouvait pas perdre malgré lui ; mais que par sa propre volonté, par sa charité toute-puissante, il se hâtât de l’immoler à son Père, comme une victime propre à apaiser sa colère et à sauver le monde. Jésus-Christ est donc mort mystérieusement dans la cène, et c’est de cet instant qu’on doit compter les trois jours de sa mort. » Dogmata theologica, Paris, 1868, t.iv, De incarnatione Verbi Dei, t. X, c. xvii, n. 1. — Thomassin rapporte ensuite le passage de saint Grégoire de Nysse, Orat., i, In resurrectionem, P. G., t. xlvi, col. 611, et continue ainsi : « Ce seul texte de saint Grégoire de Nysse fournit plusieurs preuves de la vérité de notre sentiment : 1° La mort de Jésus-Christ sur la croix commence véritablement dans l’eucharistie, et l’eucharistie est pour ainsi dire une croix et une mort prématurée, puisque c’est de là qu’on commence à compter le temps de la mort ;. 2° Dans l’eucharistie, on mange la chair de la victime et on boit son sang : ce qu’on ne peut faire à moins que la victime n’ait été mise à mort. Il y a donc dans l’eucharistie une anticipation de la mort et de la croix, 3° Il est de la dignité de Jésus-Christ de donner sa vie par son choix et sa propre volonté, et par conséquent d’accélérer lui-même sa croix, de prévenir sa mort et d’aller en quelque sorte au-devant d’elle, parce qu’elle est trop lente au gré de ses désirs ; 4° … ; 5° Il y a donc eu dans la suite une croix, une mort, une immolation visible ; mais tout cela se trouvait auparavant dans l’eucharistie d’une manière invisible. Si donc on demande laquelle des deux croix, des deux morts, des deux immolations, a été plus précieuse pour nous, plus utile à notre salut, je répondrai que cette mort et cette immolation visibles sur la croix n’ont dû être accomplies qu’une fois ; que cette mort et cette immolation invisible (dans l’eucharistie ) a dû nécessairement être accomplie une fois auparavant, et qu’elle doit l’être continuellement jusqu’à la fin des siècles dans l’Église de Jésus-Christ, comme étant la source inépuisable de toute sainteté. » Ibid., n. 2.

Commentant un texte de saint Cyrille d’Alexandrie, Homil., x, In myslicam cœnam, P. G., t. lxxvii, col. 1018, qu’appuie Prov., ix, 2, Thomassin conclut encore : 1° … que Jésus s’immole lui-même dans l’eucharistie par anticipation et qu’il y prévient la mort qu’il devait subir sur la croix ; 2° que cette mort donnée par le pontife lui-même à sa victime convient mieux au sacrifice que celle qui serait donnée par un bourreau, parce qu’elle annonce mieux la liberté de la charité ; 3° que, suivant l’Apôtre, Jésus-Christ n’est mort qu’une seule fois ; c’est donc la même mort qu’il a soufferte dans l’eucharistie et sur la croix, mais sur celle-ci d’une manière visible, et dans l’autre, d’une manière invisible. Sur la croix, il a été mis à mort par son ennemi ; dans l’eucharistie, il s’immole lui-même. Ibid., n. 2. Plus loin, Thomassin, de saint Jean Chry sostome, In Epist. ad Hebr., hom. xvii, n. 2, 3, P. G., t. lxiii, col. 130-131, tire plusieurs conséquences, entre autres : 4° « On offre le sacrifice de l’eucharistie en mémoire de la croix ; ce n’est donc pas un sacrifice différent de celui de la croix ; c’est le renouvellement mystérieux de ce sacrifice. Il ne faut pas croire que le sacrifice eucharistique soit une commémoraison stérile et sans effet du sacrifice de la croix ; c’est une réitération véritable et réelle du sacrifice de la croix, dont on a seulement retranché tout ce qui paraît étranger à un sacrifice religieux… Dans l’eucharistie, la mort est cachée, et tout découvre, tout annonce un sacrifice religieux. A la croix et à l’autel, il y a une victime immolée et offerte ; mais sur la croix, elle est égorgée publiquement et offerte en secret… ; dansl’eucharistie, Jésus-Christ est immolé en secret et il est offert publiquement. » Ibid., n. 3.

En réalité, si Thomassin d’une part couvre de son patronage la thèse oratorienne des Bérulle et des Condren, et d’autre part insiste avec tant de force sur l’idée d’immolation réelle dans le sacrifice eucharistique, c’est que la thèse oratorienne accueille, comme toute la théologie du xviie siècle, cette idée. A cela rien d’étonnant.

2° Autorités certaines en faveur de la thèse du sacrificeeucharistique simple oblation. — Nous trouvons l’indication de cette thèse très nettement marquée par L. Habert († 1718), docteur et professeur de Sorbonne : « Deux choses, dit-il, sont essentielles à un sacrifice proprement dit, l’immolation d’une victime extérieure et sensible, et l’oblation de la victime immolée. Tous les théologiens conviennent qu’il y a, dans le sacrifice de la messe, une véritable oblation, puisque Jésus-Christ s’y offre comme réellement présent à la majesté de son Père. Mais ils se partagent quand il s’agit de trouver l’immolation, qui n’est pas moins essentielle à un vrai sacrifice. Un grand nombre (alii bene multi) soutiennent que Jésus-Christ s’y immole, quoique sans effusion de sang, et que cette immolation mystérieuse et non-sanglante consiste en ce que les paroles de la consécration, par la vertu qui leur est propre, ne mettent sous l’espèce du pain que le corps et sous l’espèce du vin que le sang de Jésus-Christ… Quelques théologiens rejettent cette explication, comme plus subtile que solide… Ils nient qu’aucune immolation ait lieu à la messe, et disent qu’on y offre seulement, sous les espèces du pain et du viii, Notre-Seigneur autrefois immolé sur la croix, et que cela suffit pour l’essence d’un sacrifice commémoratif. » De eucharistia ut sacrificio, Paris, 1704 ; Venise, 1770, p. 506 sq.

Ces » quelques auteurs » sont Les Conférences de La Rochelle, et surtout Pierre Nicole.

1. Les Conférences ecclésiastiques du diocèse de La Rochelle, publiées en 1676, après l’Exposition de la doctrine catholique, mais avant l’Idée du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ, tout en reconnaissant que « Jésus-Christ est immolé sur l’autel », et qu’ « il y paraît dans un état de mort », s’expriment de, façon à éliminer du sacrifice eucharistique toute immolation même simplement mystique, différente de la simple séparation sacramentelle des espèces. Après avoir mis en principe que le sacrifice requiert « quelque changement ou destruction de la chose offerte », n. 2 et 13, les Conférences reconnaissent, en fait, qu’il n’est pas besoin d’une destruction actuelle et effective, mais qu’il suffit d’un « changement d’état ou de condition », qui soit un rappel de l’immolation passée, avec une oblation présente de la victime, immolée. « mystiquement et par représentation », n. 23. Ainsi, « Notre-Seigneur Jésus-Christ est véritablement offert au sacrifice de la messe… d’une manière non sanglante… en tant que la mort, qu’il a une fois soufferte, es