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MESSE, L’IMMOLATION MYSTIQUE : BOSSUET


vclle et perpétue en quelque sorte la mémoire de son obéissance jusqu’à la mort de la croix, si bien que rien ne lui manque pour ôtre un véritable sacrifice. On ne peut douter que cette action, comme distincte de la manducation, ne soit d’elle-même agréable à Dieu et ne l’oblige à nous regarder d’un œil propice, parce qu’elle lui remet devant les yeux la mort volontaire que son Fils bien-aimé a soufferte pour les pécheurs, ou plutôt elle lui remet devant les i/eux son Fils même, sous les signes de cette mort, par laquelle il a été apaisé.

Tous leâ chrétiens confesseront que la seule présence de Jésus-Christ est une manière d’intercession très puissante devant Dieu pour tout le genre humain, selon ce que dit l’Apôtre, que Jésus-Christ se présente et paraît » our nous devant la face de Dieu, Hebr., xi, 24. Ainsi nous croyons que Jésus-Christ présent sur la sainte table en celle figure de mort intercède pour nous et représente continuellement à son Père lamort qu’il a soulferte pour son Église.’C’est en ce sen ? que nous disons que Jésus-Christ s’offre à Dieu pour nous dans l’eucharistie ; c’est en cette manière que nous pensons que cette oblalion fait que Dieu nous devient plus propice, et c’est pourquoi nous l’appelons propitiatoire.

Lorsque nous considérons ce qu’opère Jésus-Christ dans ce mystère, et que nous le voyons par la foi présent actuellement sur la sainte table avec ces signes de mort, nous nous unissons à lui en cet état, nous le présentons à Dieu, comme notre unique victime et notre unique propitiateur par son sang, protestant que nous n’avons rien à offrir à Dieu que Jésus-Christ et le mérite infini de sa mort. Nou.-> consacrons toutes nos prières par cette divine offrande et, en présentant Jésus-Christ à Dieu, nous apprenons en même temps à nous offrir à la Majesté divine en lui et par lui comme des hosties vivantes. Exposition, n. U, Œuvres, édit. Outhenin-Chalamlre, Besançon, 1836, t. viii, p. 639.

Encore que dans les formules oratoires dont Bossuet enveloppe ailleurs l’exposé de la même doctrine, voir Explication de quelques difficultés sur les prières de la messe, n. 17, t. ix, p. 332, on croirait retrouver quelque concession faite à l’explication de Bellarmin, il faut néanmoins tenir que Bossuet n’a pas fait d’éclectisme. Il rejette d’ailleurs expressément la thèse bellarminienne dans la Lettre IX au ministre Ferri, t. ix, p. 400. Tout le monde connaît le magnifique passage des Méditations sur l’évangile, La cène, I r » partie, 57e jour, où Bossuet condense sa pensée. « Pour imprimer sur ce Jésus qui ne meurt plus le caractère de la mort qu’il a véritablement soulferte, la parole vient qui met le corps d’un côté, le sang de l’autre, et chacun sous des signes différents. Le voilà donc revêtu du caractère de sa mort, ce Jésus autrefois notre victime par l’effusion de son sang, et’encore aujourd’hui victime d’une manière nouvelle par la séparation mystique d3 ce sang d’avec ce corps. » T. iii, p. 354. On trouvera la même doctrine dans V Explication de quelques difficultés sur les prières de la messe, n. 8, et surlout n. 17, où l’auteur touche de plus près à l’exposé du dogme. « Ce sacrifice est dans les paroles par lesquelles le pain est changé au corps, et le vin au sang avec une image de séparation et une espèce (apparence) de mort… D’où il résulte que l’essence de l’oblation est dans la présence même de Jésus-Christ en personne, sous cette figure de mort, puisque cette préseice emporte avec elle une intercession aussi efficace que celle que fait Jésus-Christ dans le ciel même, en offrant les cicatrices de ses plaies. Je ne prétends pas nier par là que l’oblation ne soit aussi expliquée par d’autres actions du sacrifice… (élévation, fraction de l’hostie) : surtout la consomption du sang présente à l’esprit une idée de sacrifice… C’est tout cela joint ensemble qui consomme notre sacrifice, très réel par la présence de lu victime actuellement revêtue des signes de mort, mais mystique et spirituelle…, où le glaive c’est la parole, où la mort ne se rencontre qu’en mystère… » Œuvres, t. ix, p. 332.

b) La doctrine de Bossuet a été, au xviii » siècle et de

nos jours, mal interprétée. Il convient d’insister ici sur son véritable sens.

a. Premièrement, Bossuet affirme, sans aucun doute possible, avec toute la théologie catholique, que l’immolation mystique de la messe est l’image très expressive de l’immolation réelle du Calvaire..Mais il affirme également que cette immolation n’est pas simplement une image ; car elle suppose la présence actuelle de Jésus sous l’hostie et sous le viii, et elle place actuellement Jésus sous des signes de mort. Ainsidonc, les termes : le Fils de Dieu revêtu des signes qui représentent sa mort ; le Fils de Dieu sous les signes de cette mort ; Jésus-Christ présent sur la sainte table en celle figure ou avec ces signes de mort… ne doivent pas s’entendre de la simple séparation des espèces sacramentelles, séparation qui représenterait d’une manière vive et efficace la mort violente soufferte au Calvaire, et ferait paraître Jésus devant Dieu, en état, en figure sous des signes de mort : c’est le corps, c’est le sang, mystiquement séparés, qui portent en eux l’image de la mort endurée sur la croix.

b. Deuxièmement, en plaçant « l’essence du sacrifice dans la présence même de Jésus-Christ en personne, sous une figure de mort », Bossuet n’entend pas nier que l’essence du sacrifice soit primordialement dans l’acte de séparation mystique du corps et du sang : « L’essence de l’oblation, dit M. Lepin commentant Bossuet, est, non précisément dans l’acte de séparation mystique du corps et du sang, mais dans la présence même de Jésus Christ en personne sous cette figure de mort. » L’idée du sacrifice, p. 509. On met ainsi dans la pensée de Bossuet une opposition que contredit le contexte, puisque quelques lignes plus haut, l’illustre évêque a écrit cette phrase significative : « Et vous voyez que… ce sacrifice est dans les paroles par lesquelles le pain est changé au corps et le vin au sang avec une image de séparation et une espèce de mort. » Et si quelque doute pouvait encore subsister sur la vraie pensée de Bossuet, il suffirait de se reporter à d’autres passages parallèles de ses œuvres polémiques contre les protestants : « Jésus-Christ a fait consister ce sacrifice de l’eucharistie dans la plus parfaite expression qu’on pût imaginer du sacrifice de la croix. C’est pourquoi il a dit séparément : Ceci est mon corps et Ceci est mon sang, renouvelant mystiquement par des paroles, comme par un glaive spirituel, avec toutes les plaies qu’il a reçues dans son corps, la totale effusion de son sang, et encore que ce corps et ce sang, une fois séparés, dussent être éternellement réunis dans sa résurrection…, il a voulu néanmoins que cette séparation faite une fois à la croix, ne cessât jamais de-paraître dans le mystère de la sainte table. C’est dans cette mystique séparation qu’il a voulu faire consister l’essence du sacrifice de l’eucharistie. » Traité de la communion sous les deux espèces, II » partie, n. 2. Et qu’on n’objecte pas qu’il s’agit de l’état où se trouve Jésus, non de l’action qui le place en cet état. Car, dans l’Explication, Bossuet identifie expressément » cette immolation », « cette consécration », « ce sacrifice », qui est dans les paroles, etc., et au n. 20, il dit explicitement de la cène qu’il s’agit de l’action, où Jésus-Christ « mettant son corps d’un côté et son sang de l’autre, par la vertu de sa. parole, s’exposa lui-même aux yeux de Dieu sous une image de mort et de sépulture ». Et enfin, pour dissiper les derniers scrupules, il suffira de citer ce passage de la lettre ix au ministre Ferri, t. ix, p. 400 : « L’essence du sacrifice consiste précisément dans la consécration, c’est-à-dire dans l’action par laquelle le ministre, ou plutôt Jésus-Christ même, - rend son corps et son sang présents, etc. »

c. Troisièmement, il n’est pas exact d’identifier, dans la pensée de Bossuet, « présence réelle » et « sacri-