Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/586

Cette page n’a pas encore été corrigée

1157

MESSE. L’IMMOLATION MYSTIQUE : BOSSUET

I I 58

uilières distinguent cotte théorie des précédentes.

D’abord, la séparation sacramentelle n’est pas seulement un symbole de la mort passée du Christ ; elle place actuellement le Christ sous une apparence externe de mort et, de ce chef ; cette explication ajoute quelque chose à la thèse de Salmeron et de Jean de Saint-Thomas. Ensuite, l’action qui place ainsi le Christ sous une apparence externe de mort, réalise actuellement en lui l’immolation mystique, laquelle ne peut être entendue d’une simple représentation de l’immolation réelle de la croix, mais constitue le sacrifice offert sur l’autel, et, de ce chef, cette explication précise et complète celle de Vasquez. Enfin, si les paroles de la consécration, par leur force propre, séparent sacramentellement le sang du corps et réalisent ainsi dans le Christ-hostie l’habilum externum mortis, elles n’iraient point cependant, par elles-mêmes, jusqu’à la séparation efïective du sang et du corps, et, de ce chef, cette explication reste en deçà de la thèse de l’immolation virtuelle.

Les défenseurs de ce système insistent moins d’ailleurs, en exposant la notion du sacrifice, sur la nécessité de l’immolation d’une victime, que sur la signification symbolique du sacrifice extérieur par rapport au sacrifice intérieur ; par là, ils atténuent, dans la théologie du sacrifice de la messe, l’apparente contradiction qu’on ne manque pas de relever chez ceux qui, adoptant la définition de Bellarmin ou quelque autre définition similaire, proclament à la messe l’existence d’une immolation purement représentative ou mystique. En regard de cette thèse, nos manuels citent habituellement trois ou quatre noms d’auteurs contemporains, Billot, Tanquerey, Labauche, Gihr, Van Noort. En réalité, nous sommes ici en face d’une doctrine très traditionnelle, dont, immédiatement après le concile de Trente, Salmeron avait recueilli presque tous les éléments. Autant et plus peut-être que la thèse de l’immolation virtuelle, cette explication pourrait revendiquer le patronage de saint Thomas.

Au xviie siècle, deux théologiens ont contribué à maintenir en honneur cette explication que les opinions différentes risquaient d’éclipser et de faire oublier. En Italie, Pasqualigo ; en France, Bossuet.

1. Zacharie Pasqualigo, théatin de Vérone († 1664), établit tout d’abord que le sacrifice « est un signe sensible destiné à manifester le sacrifice intérieur par lequel nous nous offrons à Dieu en victimes ». Et le sacrifice intérieur consiste en ce que l’homme se donne tout entier à Dieu, de qui il tient tout et au service duquel il doit se dévouer. Ce sacrifice intérieur a donc pour objet l’excellence de la fin dernière, vers laquelle tout doit être dirigé en signe de l’hommage dû à Dieu ; et le sacrifice extérieur signifie cette excellence et manifeste, de la part de l’homme, le pieux sentiment de se donner tout à Dieu. De sacrificio nouæ legis, Lyon, 1662, tract, i, q. vi, n. 7, 8. Pris en soi, indépendamment de l’institution positive qui en détermine les éléments, le sacrifice ne requiert donc pas la destruction de la victime. On pourrait le définir : Quitus sensibilis expressions totalis dependenliæ et subjectionis practico modo respectu Dci. Ibid., q. xiv, n. 3. Mais, en vertu de l’institution qui en détermine les cléments, le sacrifice implique une certaine immutation destructive de la chose offerte. Ibid., n. 7. L’institution du sacrifice de la messe requiert cette immutation destructive. En quoi consistera donc ici l’élément sacrificiel ? Notre auteur ne s’écarte ici de Vasquez et de Lessius que dans la mesure où cela est nécessaire pour établir sa thèse : » Disons que l’immutation ou destruction de la victime au sacrifice de la messe existe en ce que, par la force des paroles, il se fait une certaine séparation du sang d’avec le corps.

En effet, par la force des paroles, sous l’espèce du pain se trouve uniquement le corps du Christ, et les autres parties de l’humanité du Sauveur n’y sont que par concomitance… Ainsi donc, par la force des paroles et, conséquemment, en vertu de leur action consécratoire et sanctifiante, le Christ est présenté comme mort, dans la séparation de son sang et de son corps. » Ibid., q. i.xiu, n. 1. Pasqualigo rattache cette doctrine à Vasquez et à Lessius ; et de ce dernier il rappelle la thèse de l’immolation virtuelle. Mais il propose ensuite son explication personnelle : Licet sufficeret… reprœsentatio deslructionis factse in cruce (thèse de Vasquez), intervenu etiam realis deslructio, in qua fundatur représentât i va ; nempe deslructio secundum modum essendi sub speciebus. Ne croyons pas cependant à un nouveau mode d’être affectant intrinsèquement le Christ. Nam cum sub una existai ratione corporis, et sub alia ratione sanguinis, fit quædam destructio ratione modi essendi, nam per ipsum sanguis habet modum essendi seorsim a corpore et corpus seorsim a sanguine, qui quidem realis est, et convenit corpori et sanguini secundum esse replicatum ex » i actionis realis physicæ. Ce mode d’être nouveau est donc la séparation sacramentelle, physiquement réalisée par la consécration : Hinc per hune modum essendi, exhibetur Christus per modum mortui sub speciebus… Hœc autem exhibitio sufficit ad prolestandum totum id quod protestari posset realis destructio, nempe tolalem submissionem respectu Dei et recogniiionem supremse majestatis et alia hujusmodi. Cette protestation de soumission et de dépendance absolue à l’égard de la divine majesté, ce n’est pas seulement l’Église qui la fait par son sacrifice, c’est encore, c’est surtout Jésus-Christ, prêtre principal, qui s’olîre et s’immole en sacrifice sur l’autel.

Le grand mérite de Pasqualigo a donc été de réduire la nécessité et le mode de l’immolation, à ce qui est rigoureusement exigé par la signification symbolique du sacrifice extérieur. Ce point de vue sera à retenir pour préciser la portée exacte des affirmations analogues que nous recueillerons plus loin chez les théologiens de l’école dite française, sous le patronage desquels on place la thèse du sacrificc-oblation".

2. Bossuet tient la même doctrine que Pasqualigo. Sans doute, quelques-unes de ses expressions feraient songer à l’immolation virtuelle ; mais, en réalité, il admet dans la consécration une immolation mystique consistant dans la séparation sacramentelle qui revêt Jésus-hostie d’une apparence, d’un état extérieur de mort.

a) Tout le texte de la célèbre Exposition de la doctrine de l’Église catholique sur le sacrifice de la messe, est à citer :

Étant une fois convaincus que les paroles toutes puissantes du Fils de Dieu opèrent tout ce qu’elles énoncent, nous croyons avec raison qu’elles eurent leur effet dans la cène aussitôt qu’elles furent prononcées ; et, par une suite nécessaire, nous reconnaissons la présence réelle avant la manducation. Ces choses étant supposées, le sacrifice que nous reconnaissons dans l’eucharistie n’a plus aucune difficulté particulière.

Nous avons remarqué deux actions dans ce mystère, qui ne laissent pas d’être distinctes, quoique l’une se rapporte a l’autre, l.a première est la consécration, par laquelle le pain et le vin sont changés au corps et au sang, et la seconde est la manducation, par laquelle on y participe.

Dans la consécration, le corps et le sang sont mystiquement sépares, parce que Jésus-Christ a dit expressément : Ceci est mon corps ; ceci est mon sany : ce qui enferme une vive et ellicace représentation de la mort violente qu’il a soufferte. Ainsi le Fils de Dieu est mis sur la sainte table, en vertu de ces paroles, revêtu îles sii/nes qui représentai ! sa mort ; c’est ce qu’opère la consécration ; et cette action religieuse porte avec soi la reconnaissance de la souveraineté de Dieu, en tant que Jésus-Christ présent y renou-