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MESSE ET RÉFORMATEURS, SYMBOLES LUTHÉRIENS


propre à nous rappeler les bienfaits du Christ et à rassurer par là nos consciences. C’est pourquoi la Réforme reste fidèle à l’usage d’une seule messe publique, una commuais missa, célébrée en vue de la communion, et l’on ne se prive pas de rappeler que telle fut le pratique de la primitive Église. En somme, il n’y aurait de différence entre les catholiques et les protestants que pour le nombre des messes : Taalum numerus missarum est dissimilis. Divergence d’autant moins condamnable que cette réduction se justifie propter maximus et manijestos abusus, et que les messes conservées le sont avec un cérémonial presque identique, maxime quum publicæ ceremoniæ magna ex parle similes usilalis serventur.

On voit que tous les moyens sont pris pour donner le change. De la foi catholique la Confession d’Augsbourg feint de ne viser que les abus, tandis qu’elle insiste avec une visible coquetterie sur les éléments qu’elle retient du dogme et du culte traditionnels. Qui pourrait néanmoins se dissimuler que cette affectation d’archaïsme liturgique prenait les allures d’une véritable révolution et masquait une attaque de fond contre la réalité du sacrifice eucharistique ? Sous prétexte de réviser des opinions d'école, c’est la foi même de l'Église qui était mise en questiqn. Tous les artifices de langage ne sauraient pallier le fait évident que la Réforme donnait ici son adhésion formelle aux négations les plus brutales de son fondateur.

2. Apologie de Mélanchthon.

Rédacteur de la Confession d’Augsbourg, Mélanchthon assuma la charge de l’expliquer et de la justifier à l’usage du public. Dans ses Loci theologici, édit. de 1521, Corp. Réf., t. xxi, col. 221, il avait lui-même déjà pris à son compte, en une sorte de résumé sommaire, la dogmatique luthérienne de la messe. Le commentaire de VAuguslana allait lui fournir l’occasion d’un exposé plus personnel et plus approfondi. Apol. Conf., art. xxiv, dans J.-T. Miiller, op. cit., p. 248-270.

Naturellement, l’auteur commence par protester, au nom de son Église, de son respect pour la messe : Przefandum est nos non abolere missam, sed religiose retinere ac defendere. P. 248. Quelques lignes lui suffisent pour expliquer l’introduction de chants en langue vulgaire, et tout autant le retour à l’ancien usage de la messe publique. 2-8, p. 248-249. Le principal de son exposition porte ensuite sur la question de savoir si la messe est ou non un sacrifice. Ce qui revient, d’après lui, à se demander si elle est capable de remettre leurs fautes ou leurs peines aux vivants ou aux défunts pour lesquels elle est appliquée. Manière tendancieuse de poser le problème et qui permet aussitôt d’opposer au pharisaïsme des œuvres la doctrine chrétienne de la justification : Impossibile est consequi remissionem peccalorum propter opus nosirum ex opère operato, sed fide… 12, p. 250. Rien que cette remarque lui paraisse suffisante a priori pour trancher le débat, il n’en prend pas moins la peine de lui consacrer une longue et minutieuse discussion.

Il paraît que jusque-là tous les contradicteurs de la Réforme ont négligé l’essentiel, savoir de définir le sacrifice : Tantum arripiunt nomen sacrificii vel ex Scripluris vel ex Palribus. Poslea affingunt sua somnia, quasi vero sacri ficiiim significcl quidquid ipsis libel. 15, p. 251. En vue de mettre fin à cet ingens tumultus verborum, 9, p. 250, il donne tout d’abord du sacrifice la définition suivante : Ceremonia vel opus quod nos Deo reddimus ut eum honore afjiciamus. Dans ce genre il y a lieu de distinguer deux espèces : sacrifice propitiatoire, qui apaise la colère divine et obtient la rémission des péchés ; sacrifice eucharistique, qui est offert par l'âme déjà réconciliée pour rendre grâces à Dieu de ses divers bienfaits. Ibid., 18-19, p. 252.

De ce concept l’application paraît à l’auteur des

plus obvies. Il n’y a de sacrifice propitiatoire que la mort du Christ ; les prières et bonnes œuvres des fidèles ne sont et ne peuvent être que des sacrificia luudis. L’une et l’autre de ces assertions sont longuement justifiées par l'Écriture. Mélanchthon leur demande tout spécialement la réprobation des pratiques extérieures au profit du culte spirituel. 22-34, p. 252-256. En restant fidèle à ce dernier par la prédication de l'Évangile et la pratique des sacrements, la Réforme réalise le précepte du juge sacrificium, tandis que les catholiques s’absorbent dans le formalisme de vaines cérémonies. 35-51, p. 25(3-260. Quant aux textes qui annoncent un sacerdoce et un sacrifice nouveaux, ils s’entendent uniquement du Christ. 52-59, p. 260-262.

Autant Mélanchthon s'étend sur l'Écriture, autant il est laconique sur la tradition. Non ignoramus, avouet-il, missam a Palribus vocari sacrificium. Mais ce langage s’explique sans peine par la double notion du sacrifice ci-dessus distinguée : //(' non hoc volant missam ex opère operato conjerre gratiam et applicatam pro aliis mereri eis remissionem peccalorum… Ubi leguntur hœc portenta verborum apud Patres ? Sed aperte testantur se de graliarum aclione loqui. 66, p. 263. Cette solution est appuyée sur la théorie protestante du sacrement et du sacrifice, celui-là ne pouvant signifier que le soulagement des consciences où il excite la foi, celui-ci l’action de grâces pour les bienfaits de Dieu. Tel est le cadre auquel il faut ramener tout ce que les Pères disent de l’eucharistie. 68-77, p. 264-265. Le terme d’oblation et autres semblables que la liturgie applique parfois à la messe s’entendent pareillement, non… proprie de corpore et sanguine Domini, sed de loto cultu, de precibus et graliarum actionibus. 88, p. 267.

Cette discussion générale est suivie d’une sorte d'épilogue complémentaire sur le point spécial de la messe pour les défunts. A cette croyance si chère aux catholiques l’auteur oppose d’abord le silence des Écritures : Nulla habent [adversarii noslri ] lestimonia, nullum mandatum ex Scripluris. 89, p. 267. Puis il lui est facile de l'écarter au nom des postulats dogmatiques déjà posés : Quum missa non sit satisfaclio, nec pro pœna nec pro culpa, ex opère operato sine fuie, sequitur applicationem pro mortuis inutilem esse. 92, p. 268. Les textes liturgiques qui semblent lui être favorables visent uniquement la prière pour les morts : Scimus veteres loqui de oratione pro mortuis quam nos non prohibemus. 94, p. 269. Mais la prétention d’attribuer à la messe une valeur satisfactoire lui paraît une telle injure à la passion du Christ et à la jusliiia fidei qu’il ne sait la comparer qu’au culte des Raal en Israël. Au demeurant, il reste persuadé que ce baaliticus cullus durera jusqu’au dernier jour. Du moins les vrais disciples de l'Évangile auront-ils élevé leur protestation contre cette impiété. 96-98, p. 269-270.

Ainsi la négation du sacrifice de la messe, que la Confession d’Augsbourg insinuait plutôt qu’elle ne l'énonçait ex professo, est érigée par YApologia en thèse formelle. Voir çà et là d’autres pointes polémiques, par exemple, iii, 167, p. 138 ; xii, 15, p. 169 ; xv, 40, p. 212.

En s’attaquant sans cesse à la conception qui lui accorde une efficacité ex opère operato, Mélanchthon est, d’ailleurs, loin de représenter exactement les positions catholiques. Mais, avec cette théorie d'école, ce n’en est pas moins le dogme lui-même qu’il prétend éliminer. En dehors du sacrifice ainsi conçu, il n’admet qu’un sacrificium laudis. A dessein VAuguslana, témoigne-t-il, 14, p. 251, a évité ce 'terme propter ambiguitatem. S’il le reprend lui-même, comme Luther en avait donné l’exemple, c’est en l’accompagnant de commentaires qui lui enlèvent toute équi-