Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/549

Cette page n’a pas encore été corrigée
1083
1084
MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, A LA VEILLE DE LA RÉFORME


Uonnelle professée à la veille de la Réforme par 'la théologie de l'École sur la nature du sacrifice eucharistique.

Valeur de la messe.

C’est bien l’un des points

les plus vivants de la théologie de la messe au xv siècle que celui qui concerne l’appréciation de la valeur du sacrifice eucharistique : Altenstaig consacre a cette question tout un paragraphe important de son article ; il y résume la doctrine courante, telle qu’elle résulte des analyses de Scot, Quodl. xx, de Iirulefer, //]/ V ii, n sent., dist. XIII, q. iv, de Biel, Expos., lect. xxvi et de Pierre d’Ailly, In IVum seul., q. v, a. 1.

Cette doctrine fait une place à la fois au rite luimême posé, et aussi aux dispositions morales du célébrant dans 1 '.appréciation de cette valeur. Biel, auquel renvoie Altenstaig en disant : Gabriel doclissime in canone scripsit, analyse très clairement, lect. xxv, les sources de la valeur e.r opère operalo de la célébration de la messe : c’est l’institution du Christ lui-même, c’est particulièrement la sainteté de l'Église qui offre. Toute la théologie de l'époque est dominée par ce principe déjà posé par saint Thomas. « Dans les relations entre l’homme et Dieu, comme dans celles d’un homme à un autre, pour apprécier la valeur d’un geste libéral, il y a encore plus à tenir compte du sentiment de celui qui offre que du prix de ce qu’il offre. Et ainsi la valeur de notre geste, à nous, tout en empruntant de l’hostie à laquelle il se réfère un surcroît incomparable de valeur, ou pour mieux dire un coefficient incalculable, restera néanmoins fonction d’une quantité finie, qui est celle de la sainteté oblatrice. » Ces expressions d’un maître contemporain traduisent bien la doctrine reçue dans l'Église à la veille de la Réforme touchant la valeur de la messe. De la Taille, ibid., p. 23.

Dans cette doctrine qui fait sa place aux dispositions morales de ceux qui participent au sacrifice, l'Église tient les principes qui permettent à ses réformateurs, théologiens et mystiques, de critiquer les abus ou superstitions qui se glissent à cette époque dans l’appréciation populaire de la messe. Altenstaig rappelle dans son article, à la suite de Gerson, le caractère superstitieux d’une conception trop matérielle et intéressée de la messe : Superslitiosum est, frivolum, temerarium et vanuin, imo nocivum asserere, per auditionem missæ talia vel lalia bona lemporalia quemquam assecuturum.

Pour ruiner une telle doctrine si bien équilibrée, si vivante dans la théologie de l'École, aussi bien que dans les meilleures âmes, il faudra que la Réforme s’attaque aux principes traditionnels mêmes qui fondent l’appréciation catholique de la valeur de la messe. Il faudra nier d’une part l’institution de la messe comme sacrifice par le Christ, il faudra d’autre part nier la valeur du sentiment de l'Église universelle qui offre la messe. Luther en viendra bientôt à ces négations, mais ce n’est point dans la théologie de l'École qu’il en puisera les germes.

Si l’on veut trouver une préparation au mouvement de la Réforme contre la messe, il faut la chercher dans les tendances de ces sectes vaudoises qui, au cours du Moyen Age, attaquaient l’institution de la messe comme sacrifice par le Christ, rejetaientle sacerdoce chrétien, proclamaient la corruption de l'Église, lui niaient la sainteté indéfectible et ne reconnaissaient d’autre sacerdoce que celui des parfaits. Il faut la chercher aussi dans ces tendances immanentes dans certains milieux à la piété populaire, qui consistaient à matérialiser en quelque sorte la valeur de la messe. Ces tendances sans doute n’atteignent nullement l'Église ; elles n'émanaient pas de sa doctrine et de ses directives pratiques, sa théologie les réprouvait, les meilleurs de ses membres les attaquaient. Il n’en

reste pas moins vrai qu’elles pouvaient devenir et elles vont rapidement devenir pour les réformateurs l’occasion d’une réaction excessive.

Sous prétexte de condamner des superstitions comme celles qui ont été plus haut signalées, de rejeter des dévotions qui pouvaient facilement prêter à des abus, comme la missa sicca décrite et approuvée par Durand de Mende et présentée comme légitime par Altenstaig, les réformateurs vont s’insurger contre l’appréciation catholique de la messe. Ils ne pourront la rejeter qu’en brisant avec une pratique, une liturgie traditionnelle, avec une interprétation quinze fois séculaire de la parole du Christ : Hoc facile in meam commemorationem. C'était dans la logique de leur système qui allait à rejeter la valeur de l'Église comme interprète de l'Écriture. Luther le proclame lui-même. Pour prouver que le prêtre à l’autel n’accomplit point une œuvre bonne, n’offre point un sacrifice, mais propose un testament et présente un signe, il en appelle à l’Ecriture contre la tradition. « Voilà le témoignage clair de l'Écriture. Contre lui, rien ne peut prévaloir, ni le canon, ni les autorités des Pères. La parole même d’un ange y contredirait en vain. » De captivitate babylonica, édit. de Weimar, t. vi, p. 524. Recueillons enfin sur les lèvres du réformateur le témoignage de sa rupture consciente avec la tradition. Il nous dira, ce témoignage, ce que Luther lisait lui-même dans la conscience vivante de l'Église, à savoir : la croyance commune à la réalité et à la valeur du sacrifice de la messe : Tcrtia captivilas ejusdem sacramenti est longe impiissimus abusus quo factum est, ut fere nihil hodie in Ecclesia receplius et magis persuasum quam missam esse opus bonum et sacrificium. Ibid., p. 512.

I. Sources.

Les principaux textes concernant la théologie de ! a messe dans l'Église latine ont été indiqués au cours de cet article. D’ailleurs la bibliographie des sources de cette théologie est, pour une bonne part, identique à celle qui concerne le sacrement de l’eucharistie ; voir l’art. Eucharistie, col. 1182 etll83 ; col. 1232 et 1233 ; col 12341302 passim : col. 1302-1326 passim.

II : Travaux. — On consultera les travaux cités a l’art. Eucharistie. Il nous suffit de signaler ici les travaux relativement récents qui apportent une contribution à l'étude de la théologie de la messe du iv* au xvr siècle.

Ouvrages catholiques.

J. Bach, Die Dogmengeschichie des Miltelallcrs vam christologischen Slandpuncle,

Vienne, t. i, 1874, t. v, 1875 ; J. Scliwane, Dogmengeschichte der miittercn Zeit, 1882 ; A. Vacant, La conception du sacrifice de la messe dans la tradition de l'Église latine, dans L’Université catholique, juin, juillet et août 1894, t. xvi, cité ici d’après le tiré à nart ; P. Schanz, Die Lehrevon den heiligen Sacramentel ! der katholischen Kircbe, Fribourgen-B., 1893 ; Fr. Ser. Renz, Die Geschichte des Mcssopferbegri/Js oder der aile Glaube und die neuen Theorien iiber das Wesen des unbluiigen Opters, 2 vol., Dillingen et Freising, 1902 ;. Franz, Oie Messe imdeulsclwn Mittetalter, 1902 ; J.Turmel, Histoire de la théologie positive, Paris, 1904 ; P. Batiftol, L’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, Ie édit., 1905, 7e édit, 1920 ; c’est à cette dernière, sauf contre indication, que se rapportant les références ; du même, Leçons sur la Messe, Ie édit., 1918, 8e édit., 1922 ; K. Adam, Die Eucharislielehre des heiligen Augustin, dans les Forschungen 211r christtichen Litcratur und Dogmengeschichle, t. xiv ; J. 'fixeront, Histoire des dogmes, Paris, 1909-1912, 3 vol. ; J. Lebreton, art. Eucharistie diiDiction. apologét. ; Adrien Fortescue, La messe : Étude sur la liturgie romaine, traduit par A. Boudinhon, Paris, 1920 ; M. de la Taille, Myslerium fidei : De augustissimo corporis et sanguinis Christi sacrificio alque sacramento elucidationcs 50 in 3 libros dislmcta ; Paris, 1921 ; du même, Esquisse du mystère de la foi, suivie de quelques éclaircissements, Paris, 1924 ; M. Andrieu, Immixtio et consecratio, Paris, 1924 ; J. Geiselmann, Die Eucharistielehre der Vorscholaslik, dans les Forschungen 7ur chrisilichen Literatur und Dogmengeschichle, t. xv, Paderborn, 1926 ; M. Lepin, L’idée du sacrifice de la messe d’après les théologiens depuis l’origine