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MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, DUNS SCOT


contient invisiblement la victime jadis offerte d’une façon sanglante par le Christ lui-même sur la croix ; l'Église s’y approprie, pour l’offrir sur l’ordre et en la personne du Sauveur, cette victime ; elle y figure d’une façon sensible la passion. D’une certaine façon, c’est le même prêtre et la même victime.

Cette oblation prend figure de sacrifice grâce à certaines actions exercées autour de l’hostie, particulièrement la double consécration distincte. Celle-ci en effet inaugure l’oblation sacrificielle, non seulement parce que c’est par elle que le prêtre mandataire et instrument du Christ produit et offre la victime à Dieu, mais parce qu’en mettant le corps et le sang du Sauveur sous les espèces séparées du pain et du viii, il représente par une image très vive l’immolation rédemptrice du Calvaire. Cette oblation se continue de la consécration à la communion. Ce n’est^pas sans raison que saint Thomas note comme actions exercées autour de la chose offerte la fraction et la manducation. De la consécration à la communion le Christ ne cesse d'être offert, « non seulement sous ce signe permanent de sa mort sanglante qui est l'état de séparation où continuent d'être au point de vue sensible son corps et son sang, mais encore sous ces signes actifs de sa passion que sont la fraction et la manducation. » Lepin, op. cit., p. 209. Notons que saint Thomas laisse dans l’ombre la question de l’oblation du corps mystique, et aussi la question des rapports du sacrifice terrestre à l’activité céleste du Christ devant son Père.

A cette offrande qui se renouvelle sans cesse sur l’autel est attachée non point une expiation nouvelle, mais l’application des mérites rédempteurs, obtenus une fois pour toutes sur la croix, afin de nous rendre Dieu propice, de faire participer tous les fidèles au sacrifice du Calvaire, et de les incorporer ainsi au Christ victime, glorifié éternellement.

2. Durand de Mende.

Durand, évêque de Mende, est le maître de la théologie liturgique à la fin du xiiie siècle.

Dans son ouvrage intitulé Ralionale divinorum officiorum, il recueille au 1. IV tout ce qui a été dit d’important sur la messe par les principaux liturgistes et théologiens depuis Amalaire, en prenant pour guide Innocent III. Il s’inspire aussi particulièrement de Sicard de Crémone, de Hugues de SaintVictor, de Guibert de Tournai, de Guillaume d’Auxerre, de Pierre Comestor, de Robert Paululus et de Beleth. « Édité à Mayence dès les origines de l’imprimerie en 1459 et réédité au moins quarantetrois fois jusqu'à 1500, le Rationale a exercé une influence considérable. » Lepin, op. cit., p. 218. On le citera ici d’après l'édit. de Lyon, l540.

a) On y trouve particulièrement mis en relief, selon la méthode allégorique d’Amalaire, le caractère figuratif et commémorait ! de la messe : elle est le mémorial par excellence de la passion. « Nous avons un triple mémorial de la passion. Le premier se présente à notre vue dans les images et. peintures. C’est pour cela que l’image du crucifié est figurée sur les missels et dans les églises. Le secoi.d frappe l’ouïe comme la prédication de la passion du Christ. Le troisième se manifeste au goût comme le sacrement de l’autel, où la passion du Christ est évidemment exprimée, patenter exprimitur. » L. IV, c. xlii, p. 178. Le sacrifice quotidien, ajoute-t-il, est un mémorial non un renouvellement de la passion, commemoratio, non ileralio passionis. Il cherche le pourquoi de cette commémoraison et en voit trois causes principales : « Parce que ceux qui travaillent à la vigne ont besoin de se restaurer tous les jours ; secondement pour que par ce sacrement les néophytes soient incorporés au Christ ; troisièmement pour que le souvenir

de la passion du Christ se grave tous les jours dans l’esprit des fidèles, afin qu’ils puissent l’imiter. » Ibid.

Il veut aussi en expliquer le comment. Il voit la figuration de l’immolation du Calvaire représentée tant par les formules que par les cérémonies, et particulièrement par les croix du canon. Comme Amalaire, il ne fait point entrer en ligne de compte la double consécration comme représentation sensible de la passion ; il trouve plutôt cette figuration, avec Grégoire, dans la communion. L. IV, c. li, p. 196.

b) L'évêque de Mende, à la suite de saint Augustin et d’Isidore de Séville, met aussi le caractère sacrificiel de la messe en relation intime avec les idées d’oblalion et de consécration : Sacrificia dicuntur quia sacrificantur et offeruntur pro peccalis nostris, ut nos sacros efficiant. L. IV, c. xxxvi, p. 156.

Il défend ce caractère contre certains hérétiques de son temps qui le contestent. Quidam perversi heeretici nobis ad prensumptionem magnam reputant quia sacrificamus et consecrationem hostiæ sacrificium appellamus. L. IV, c. xxx, p. 141. Sur ces hérétiques négateurs du sacrifice de la messe et précurseurs du protestantisme, notre auteur avait dit plus haut : Dicunt eticun quod Eccles-ia nec missam, nec malulinas cantavit, nec Christus, nec apostoli eam instituerunt. Sed id quod missa reprœsentat ab evangelislis cœna vocatur. L. IV, c. i, p. 88, 89.

Il analyse la messe et distingue, comme le fera plus tard Duns Scot, entre consécration et oblation : Cum autem oraverit pro hostia iranssubslantianda, eamquc jam transsubstantiatam Patri obtulerit, nunc orat pro ipsius acceptatione. L. IV, c. xun, p. 180. Les prières et cérémonies liturgiques lui montrent que, dans cette oblation, l'Église s’unit au Christ comme victime. L. IV, c. xxx, xlii, xux, p. 142, 176, 182.

Toutes ces idées sont le patrimoine commun de la théologie de l'époque : aussi le Rationale s’impose-t-il à l’attention du théologien, moins par l’originalité des points de vue de l’auteur que par la richesse des questions abordées et des solutions traditionnelles exposées. Il est un curieux répertoire des problèmes théologiques et liturgiques que l’on se posait dans les écoles à la fin du xme siècle. On y remarquera le jugement indulgent de l’auteur pour la coutume des messes sèches, et sa juste réprobation pour celle des messes bi/aciales. L. IV, c. xxxiii, xxxiv, p. 90, 91.

3. Duns Scot († 1308). — Le Docteur subtil, comme saint Thomas, ne s’est occupé du sacrifice eucharistique qu’incidemment :

Dans son commentaire des Sentences, loin de préciser et de développer la doctrine du Lombard sur ce point, il la signale seulement d’un mot : Sequitur Ma pars. Post hoc quæritur, quæ potest poni incidentalis in ista distinclione… In ista enim déterminai de eucharistia sub ratione sacrificii. In IVum sent., dist. XII, n. 1, édit. de Lyon, 1639, t. viii, p. 701. Ses préoccupations sont ailleurs ; elles vont surtout ici à déterminer la situation des accidents eucharistiques sans substance.

La question quodlibélale XX veut donner une solution pratique à la question de la valeur de la messe ; ce faisant elle nous renseigne aussi sur la pensée de Scot touchant la nature du sacrifice eucharistique.

a) Nature du sacrifice eucharistique. — a. La messe consiste avant tout et essentiellement dans l’oblation faite par l'Église et acceptée par Dieu de la victime présente actuellement sur l’autel et jadis offerte au Calvaire. Il ne suffit point, en effet, de la seule présence du Christ à l’autel ; il faut qu’il y ait oblation de la victime pour que la messe ait valeur de sacrifice : Illud bonum sacrificii non corresponde preecise bono contento in eucharistia ; illud enim bonum sequalc