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MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, DÉBUT DE LA SCOLASTIQUE

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l’oblation en vue de laquelle est produite cette présence. Cette oblation est essentiellement relative à l’oblation centrale du Calvaire. 1. 'immolation réelle ou niist à mort du Christ, n’est aucunement requise pour l’ensemble de ces théologiens afin que la messe soit un vrai sacrifice. Nous en conclurons qu’elle n’est point pour eux essentielle à un vrai sacrifice. En revanche, ta commémoraison sensible de l’immolation réelle du Calvaire est bien un trait essentiel qu’ils reconnaissent unanimement dans la messe telle que le Christ l’a instituée. S’ensuil-il que tout sacrifice pour être un vrai sacrifice doive impliquer soit une immolation réelle, soit au moins une immolation figurative ? Ils ne le disent point. Ils constatent seulement le fait : au centre de l'économie sacrificielle, il y a l’oblation sanglante du Calvaire : à la cène, il y a oblation de la victime à immoler sur la croix ; dans l'Église, il y a oblation de la victime jadis immolée.

Est-il essentiel à la messe que la commémoraison sensible de l’immolation passée soit liée à un acte symbolique précis, censé représentatif de cette immolation ? Les théologiens de cette époque ne se posent pas la question ex professo. A leurs yeux, si la commémoraison de l’immolation passée est essentielle au sacrifice de la messe, « elle peut être quelque chose de plus large, de plus général qu’une rite particulier, figurant l’acte proprement dit d’immolation ». Lepin, p. 132. Les uns à la suite d’Amalaire la rattachent à l’ensemble du canon, les autres la voient soit dans la fraction, soit dans la communion. Aucun ne semble incliné à chercher cette commémoraison dans la double consécration séparée du Corps et du sang du Christ.

En somme les précurseurs de la théologie scolastique ne se sont pas préoccupés de. définir les traits essentiels de la messe ; ils les ont plutôt décrits, et dans cette description se trouvent enveloppés les éléments d’une définition postérieure.

Dans cette perspective, la messe apparaît essentiellement comme l'œuvre divine du prêtre invisible opérée dans la puissance de l’Esprit par la prêtre visible, organe du Christ et de l'Église. En vertu de l’action efficace des paroles divines, par une merveilleuse conversion du pain et du viii, le corps et le sang jadis offerts en sacrement à la cène, offerts en oblation sanglante et rédemptrice au Calvaire, sont produits sur l’autel pour y être offerts jusqu'à la fin des temps en union avec l'Église, cela en commémoraison figurative de l’immolation réelle du Calvaire. Tel est le vrai sacrifice des chrétiens qui est à la fois, par rapport à Dieu, louange, action de grâces, impétration et propitiation pour les vivants et les morts, par rapport à la cène, reproduction du geste du Christ, par rapport au Calvaire, commémoraison vivante qui représente, continue et applique chaque jour l’oblation rédemptrice en vue de l’incorporation de tous les fidèles au Christ mystique.

VII f. Les débuts de la scolasttque : le xii° siècle. — Au point de vue de la théologie de la messe aussi bien qu'à d’autres points de vue, cette période que nous pouvons arrêter au IVe concile du Latran (1215) constitue une époque de transition ; les influences antérieures, liturgiques et patristiques, continuent tout naturellement à se faire sentir ; mais à ces influences du passé s’ajoute un effort nouveau dans le sens d’une élaboration rationnelle de la matière traditionnelle.

Liturgistes, canonistes, théologiens polémistes ou didactiques donnent suivant des méthodes diverses leur concours à cet effort dogmatique.

Sans reprendre ici une étude ex professo des principales sources d’information qui a été faite à l’art. Eucharistie, col. 1233-1267, on s’efforcera de déga ger la doctrine qu’elles contiennent en la considérant avant Pierre Lombard, dans l'œuvre du Maître des Sentences, après l’apparition de cette œuvre jusqu’au concile du Latran.

1° Avant Pierre Lombard. -- 1. La messe dans 1rs commentaires liturgiques. - Au début du xiie siècle se fait sentir un renouveau liturgique « Deux ouvrages marquent la reprise de ce mouvement : le Mierologus, écrit demeuré longtemps anonyme, attribué généralement aujourd’hui à Bernolddc Constance († 1100), et le De divinis officiis de Rupert († 1135) abbé de Dcutz, près de Cologne, l’un et l’autre traitant d’abord de l’ordinaire de la messe, puis des offices de l’année, tous deux dans la ligne tracée par Amalaire. Du traité de Rupert dérive, semble-t-il, l’ouvrage analogue qu’Honoré d’Autun publia quelques années après sous le titre Gemma animæ. » Lepin, op. cit., p. 23.

Comme études spécialement consacrées à une explication liturgique et dogmatique de la messe, il faut citer encore la paraphrase remarquable d’Odon de Cambrai († 1113), Expositio in canonem missæ, P. L., t. clx, col. 1053-1070 ; le De sacrificio missæ attribué à Alger de Liège († 1130), P. L., t. clxxx, col. 853856 ; la paraphrase en vers de Hildebert du Mans († 1133), Versus de mysterio missæ, P. L., t. clxxi, col. 1177-1196 ; lç Liber de expositione missæ, mis sous le même nom, col. 1153-1176 ; le bel ouvrage d’Etienne de Beaugé († 1136), Traclalus de sacramento altaris, P. L., t. clxxii, col. 1273-1308 ; enfin le De officia missæ, P. L., t. cxciv, col. 1889-1896. Dans l’ensemble de ces commentaires la messe apparaît surtout comme l’oblation du Christ avec ses membres dans l’unité d’un même corps, en vue de commémorer en le représentant par tout ce qui se passe sur l’autel le. sacrifice de la passion. Les commentateurs aiment à envisager cette oblation sous ses différents aspects : ils disent ce qu’est la chose offerte, qui sont les offrants, par quel acte se fait l’oblation sacrificielle, quel en est le but commémoratif et figuratif, et aussi l’utilité.

a) L’objet de l’oblation. — a. Le Christ, tête du corps mystique. — Tous les liturgistes, en expliquant le canon, affirment que, par une conversion merveilleuse, la chose offerte sur l’autel est non pas le pain et le vin, mais le Christ lui-même. Ils le font cependant avec des expressions différentes qui cachent des conceptions parfois assez diverses.

Odon de Cambrai trouve, pour exprimer la foi traditionnelle, des mots d’une clarté parfaite : Solum Christi corpus et sanguis est hostia in omnibus benedicla… hostia quæ Deus est… P. L., t. clx, col. 1061 et 1062. De même Etienne de Beaugé : (Christus)quolidie sine vulnere sacrificatur. lpse sacrifex est et sacrificium hostia et sacerdos, quia Deus est et homo. P. L., t. clxxii, col/ 1280 D.

Rupert de Deutz, au premier abord, semble affirmer la même chose lorsqu’il dit : Non ergo solum panem et vinum quæ corporaliler videntur, sed et… Verbum Dei Filium Dei offert sancta Ecclesia. De div. off., t. II, c. ii, P. L., t. clxx, col. 34. Sa conception du sacrifice eucharistique et de son unité à travers le temps et l’espace, est loin d'être cependant la conception traditionnelle ; elle se rattache à celle de l’anonyme auteur de la lettre à Égil, à celle aussi de Rémi d’Auxerre. La matière ou substance du sacrifice est pour lui double : faite d’une, matière terrestre et d’une matière céleste, d’un côté le pain, de l’autre le Verbe, c’est le pain déifère, panis deifer. Col. 35 C, 40 C.

Ce qui fait l’unité du corps eucharistique et du corps né de la vierge Marie, ce qui constitue ensuite l’unité du sacrifice chrétien, c’est le même Verbe qui autrefois a pris un corps dans le sein de la Vierge, et qui en prend un aujourd’hui sur l’autel en assumant le pain.