Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/521

Cette page n’a pas encore été corrigée

1027 MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, .LA CONTROVERSE BÉRENGARIENNE 1028

xie siècle, contre des erreurs radicales qui vont jusqu'à rejeter le sacerdoce, la présence réelle et le sacrifice de la messe, jusqu'à demander la destruction des églises et des autels. Raoul Glaner († 1050) nous fait connaître quelques-uns de ces hérétiques exécutés à Orléans en 1022. Hislor., t. III, c. vii, P. L., t. cxlii, col. 659.

En 1025, Gérard, évêque de Cambrai, tient contre eux un synode à Arras. Les Actes de ce synode exposent la doctrine de l'Église en face de l’erreur opposée. Les hérétiques prétendent ne reconnaître dans le sacrement de l’autel que ce que les sens nous y révèlent : nisi quod corporis oculis intuetur, et hoc tanquam vile negotium respicit. Acta synodi Atreb., P. L., t. cxlii, col. 13Il D. En face de cette erreur, évêques et fidèles professent que le sacrement du corps et du sang du Christ est le gage de notre rédemption, qu’il contient la même chair que celle qui est née et qui a souffert, que le mystère eucharistique ne peut être consacré que sur un autel saint. Ibid., col. 1312 B.

Les Actes insistent sur le caractère sacrificiel de ce mystère en définissant la messe selon la formule isidorienne. La messe est à la fois le mémorial d’une chose passée et une réalité présente : Quod quidem sacrifteium de pane et vino cum aqua ; ineffabili sanctificatione, cruce et verbis illius in altari consecratur dumque passionis et resurrectionis atque in eselum ascensionis ibidem salutifera memoria agitur, verum ac proprium corpus ipsius Domini et sanguis verus ac proprius efficitur quamvis aliud esse videatur. Ibid., col. 1278 D. Voir aussi, col. 1281 B, le commentaire des mots : Hoc facile in meam commemorationem.

L’autel est sacré ; c’est l’image du sépulcre du Christ sur lequel le sang du véritable agneau est offert. Ibid., col. 1287 C. Sans doute il y a un mystère en ce que le même agneau, partout offert et consommé, reste intact et vivant ; il faut s’y soumettre en croyant fidèle. Les âmes plus sensibles aux choses isibles qu’aux réalités invisibles en trouveront d’ailleurs la révélation dans les miracles eucharistiques. Ibid., col. 1281 sq.

VI. La controverse bérengarienne du xi c siècle. — L’activité théologique est excitée au xie siècle et au commencement du xiie siècle par la controverse de Bérenger. La doctrine de l’archidiacre de Tours tend à ruiner la conception réaliste du mystère eucharistique ; aussi donne-t-elle lieu à de nombreuses réfutations qui vont mettre en un meilleur relief l’idée traditionnelle de la vérité du sacrifice chrétien. Voir art. Eucharistie, col. 1217-1216, et art. Bérenger, t. ii, col. 722.

Bérenger.

1. Origine de sa doctrine. — « La

controverse provoquée par Bérenger n’est que la reprise de la discussion ouverte jadis devant Charles le Chauve. » Batilïol, L’eucharistie, p. 380.

Bérenger systématise et accentue, en effet, les idées de Batramne qu’il connaît sous le nom de Jean Scot ; tandis que Lanfranc son adversaire est le défenseur des idées de Paschase. « Ingelram de Chartres m’a appris, écrit-il à Lanfranc, un bruit qui court. Il paraîtrait que tu vois avec déplaisir, bien plus, que tu as qualifié d’hérésie les idées de Jean Scot sur le sacrement de l’autel, idées par lesquelles il s'écarte

de la manière de voir de Paschase que tu as adoptée

Examine sans mépris ce que je dis. Si Jean Scot dont nous approuvons les idées eucharistiques te paraît hérétique tu dois également faire des hérétiques d’Ambroise, de Jérôme, d’Augustin, sans parler de tous les autres. » P. L., t. cl, col. 63. Traduction d’après Heurtevent, Durand de Troarn, p. 130. Ainsi, dès le début de la controverse, Bérenger établit ses positions sur la ligne de Ratramne et en appelle aux mêmes autorités que lui.

2..S’a conception symbolisle-dynamisle de l’eucharistie. — Quoi qu’il en soit des idées précises qu’il soutient alors, il fait l’impression à ses contemporains d’avoir une conception symboliste-dynamiste du mystère eucharistique.

Adelmann de Liège († 1062), dans une lettre De eucharistiæ sacrumento publiée en entier dans Heurtevent, op. cit., p. 287-303, lui reproche son symbolisme : !)< corpore et sanguine Domini sentire uidearis… non esse vzrum corpus Christi… sed figuram quamdum et similitudinem. P. 288.

Même reproche chez le moine Anastase († 1086) dans une lettre à l’abbé Gérald, De verilate corporis et sanguinis Domini : post consecrationem panem esse materialiter, et corpus Domini figuraliler tuntum et non vsraciter. P. L., t. cxlix, col. 433 C. De même Wolphelme abbé de Brunwiller († 1091), dans une lettre à Méginhard. De sacrum, eucharistiæ, P. L., t. cliv, col. 413.

Aux yeux de Hugues de Langres († 1051), l’un des premiers adversaires de Bérenger, celui-ci soutient qu’il n’y a sur l’autel qu’une vertu salutaire du corps du Christ, et non identiquement ce corps : le sacrement de l’autel n’est le corps du Christ que ob solam s(dutis potentiam, per potentiam simile. De corp. et sang. Christi, P. L., t. cxlii, col. 1327 et 1328. Voir aussi Durand de Troarn dans son De corp. et sang. Christi, vers 1058, t. I, P. L., t. cxlix, col. 1377.

D’ailleurs les définitions que donne alors Bérenger du sacrement et du sacrifice dans sa réponse à Adelmann sont toutes orientées vers le symbolisme, par exemple celle-ci : Sacrificia visibilia signa sunt invisibilium sicut verba sonantia signa sunt rerum.

3. Conséquences de cette conception touchant le sacrifice de la messe. — a) La messe n’implique point la présence sur l’autel de la victime jadis immolée.

Entre le symbole qui est le sacrifice visible et la réalité invisible qu’il signifie, Bérenger met toute la distance du ciel à la terre. En effet, le corps du Christ dans sa réalité n’est nulle part ici-bas, mais seulement au ciel jusqu’au jour du jugement ; dire le contraire c’est aller contre les prophéties de David, contre les saints apôtres Pierre et Paul, contre les Écritures authentiques. De sacra ccena, éd. Vischer, 1834, p. 157 et 149, etc.

On conçoit que, dans cette perspective, la conception traditionnelle qui voit dans la messe une œuvre miraculeuse de transsubstantiation soit ruinée. Bérenger s’insurge contre cette conception défendue par Lanfranc, au nom même de la justice divine. Il est incompatible avec la religion chrétienne d’admettre la disparition du pain et du vin sur l’autel et l’apparition du corps du Christ. P. 91.

Le sacrifice de l'Église, loin de comporter une disparition des éléments par la consécration, entraîne de ce fait une élévation de ces éléments à une dignité nouvelle, celle de sacrement ou symbole salutaire du vrai corps du Christ qui est au ciel ; Omne quod sacretur necessario in melius proi> ; hi, minime absumi per corruptioncm subjecti. P. 146 et 248. Le canon de la messe témoignerait dans ce sens, p. 277 ; si le sacrifice de l’autel comportait à un moment donné la disparition du pain et du viii, le Christ ne serait plus le prêtre selon l’ordre de Melchisédech ; il n’offrirait plus vraiment le pain et le vin. P. 125.

Ainsi, les éléments du sacrifice, par le fait de leur consécration, deviennent des objets sacrosaints, porteurs d’une vertu divine, p. 127, 230, significatifs par leur similitude d’un objet qu’ils ne contiennent pas, le corps historique du Christ. Le pain de l’autel est la chair du Christ, comme le Christ est la pierre angulaire : Panis altaris est corpus Christi, eo locutionis dicitur génère, quo dicitur : Christus est summus angularis lapis. P. 145, 194. Aussi Bérenger défend-il