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1009 MESSE DANS L'ÉGLISE LATINE, LA CONTROVERSE DU IX* SIÈCLE 1010

pour une intention spéciale, et de recevoir pour cette intention une offrande en nature ou en argent.

V. La controverse eucharistique du ixe siècle. — Le traité De corpore et sanguine Domini de Paschase Radbert, abbé de Corbie en Picardie († 851 ou 860) marque une date importante dans l’histoire du développement théologique de la doctrine eucharistique.

A l’art. Eucharistie on a souligné cette importance pour l’histoire du dogme dans son ensemble ; il reste à en montrer la portée pour la théologie du sacrifice de la messe. Sans doute, la question qui se pose au milieu du ixe siècle ne vise pas directement le saint sacrifice : il s’agit de marquer la part de vérité et de figure qui se trouve dans le mystère chrétien, de savoir si le corps eucharistique est identique au corps historique du Christ. Mais qui ne voit que, plus on insistera sur l’aspect vérité de ce mystère, plus aussi l’on mettra en valeur le réalisme sacrificiel du mystère, plus au contraire on insistera sur son aspect figuratif, sur la distinction entre le corps eucharistique et le corps historique, sur la présence in virtute ou in potentia verbi, plus aussi l’on glissera vers une conception symboliste dynamiste de la messe ?

Tandis que Paschase avec Hincmar, en utilisant largement l’héritage du passé, en complet accord avec la liturgie et la piété de tous, vont préciser et développer la conception réaliste du sacrifice de l’autel, d’autres auteurs, Ratramne, Raban Maur, l’auteur anonyme des Dicta cujusdam sapientis, P. L., t. cxii, col. 1510-1518, Jean Scot Érigène, Druthmar, vont s’opposer aux idées proposées par Paschase et défendre une conception du sacrifice de la messe plus ou moins apparentée à un symbolisme dynamiste. Cette controverse n’aura de conclusion dogmatique qu’au xie siècle avec la condamnation de Rérenger. Nous en suivrons la répercussion jusque-là. Nous marquerons aussi les réactions réciproques de la doctrine et de la piété à cette époque.

Début de la controverse.

1. Paschase Radbert ;

sa doctrine surtout d’après le De corpore. — L’abbé de Corbie est à la fois un continuateur et un initiateur.

Comme ses prédécesseurs, Alcuin, Amalaire et Florus, il ne veut point faire œuvre personnelle ; comme eux il utilise l'œuvre du passé. A son disciple Placide, en exposant sa méthode, il énumère les docteurs catholiques dont il a reproduit la lettre ou l’esprit, utilisé l’enseignement : Cyprien, Ambroise, Hilaire, Augustin, Jean Chrysostome, Jérôme, Grégoire (le Grand), Hésichius. Bède, De corp., prol., P. L., t. cxx, col. 1268.

Il ne se contente point cependant de récapituler le passé, il inaugure un nouveau genre littéraire qui donne plus à la réflexion théologique et à la synthèse que les anciennes expositions de la messe. Le De corpore est le premier d’une longue série d’ouvrages qui cherchent à donner l’intelligence du mystère non plus en glosant plus ou moins littéralement les prières de la messe, mais en synthétisant la pensée des Pères autour des problèmes qui sont alors agités.

Deux questions visent directement le sacrifice : Quid sil inler immolationes velerum figurasque legalium et inter sacramentum corporis et sanguinis ? v, col. 1280, 1281. Quid necesse fuerit quod semel geslum est in re, Christum quolidie immolari, vel quid boni tribuant hsec mysteria digne accipienlibus ? îx, col. 1293-1294. — Si l’on ne trouve point chez Paschase la question du sacrifice traitée dans son ensemble, il est facile cependant de dégager sa conception sacrificielle tant du De corpore que de ses œuvres postérieures : Expos, in Matth., t. XII, c. xxvi, ibid., col. 875 sq. ; Epist. ad Erudegardum, ibid, col. 13511366. Pour y réussir il faut d’abord rappeler les principes directeurs de sa théologie de la messe,

envisager ensuite à leur lumière le mystère de l’autel comme une œuvre divine, et comme une réalité complexe à double aspect.

a) Principes directeurs de sa théologie de la messe. — La théologie de Paschase sur ce point est dominée par sa conception d’ensemble sur la théodicée et les réalités sacramentelles.

Le principe générateur de sa doctrine, mis en relief dès la première page de son traité, c’est le dogme de la toute-puissance divine. De corp., i, 1, col. 1268. La messe est une œuvre de cette toute-puissance.

Tout sacrement par ailleurs est une réalité à double aspect : l’un extérieur qui tombe sous les sens, c’est la figure, l’autre invisible qui se cache sous cet extérieur symbolique c’est la vérité. Illud fidei sacramentum… jure simul veritas et figura dicitur, ut sil figura vel character verilalis quod exterius sentitur ; veritas vero quidquid de hoc mysterio interius recte intelligitur aut creditur. iv, 2, col. 1278. Dans cette perspective, la messe est l'œuvre divine dans laquelle sous la figure de ce qui se passe à l’autel se cache et se révèle à la fois la vérité de l’oblation actuelle de la victime du Calvaire.

b) La messe œuvre divine. — En tant qu'œuvre de la toute-puissance divine, elle réclame notre foi comme les miracles de l’Ancien Testament. Dieu l’a voulu et il l’a dit : il n’y a sur l’autel après la consécration, sous la figure du pain et du vin que la chair et le sang du Christ, identique à la chair qui est née de la vierge Marie, i, 2, col. 1269.

C’est l'œuvre de la Trinité tout entière, xiii, 1, col. 1315. Pour la comprendre, il faut l’envisager dans la lumière des œuvres divines : passage de la mer Rouge, conception virginale, multiplication des pains, création. Pour la saisir, il faut la voir à travers la figure qui la signifie, i, 3 ; iv, 3.

c) La messe réalité complexe sous son double aspect : figura et veritas. — a. Son aspect figuratif. — Tout ce que l’on voit à l’autel, matière du sacrifice, action du prêtre, tout a une fonction figurative.

Le double symbolisme des éléments constitutifs du sacrifice, soit par rapport au corps et au sang du Christ, soit par rapport au peuple fidèle est exposé d’après les Pères au c. x : Cur in pane et in vino hoc myslerium celebratur ? Quant au mélange de vin et d’eau, c’est pour nous figurer la passion, l’eau et le sang sortis du corps du Christ que les Apôtres ont institué ce rite, xi, 1, col. 1307.

L’action du prêtre à l’autel est, elle aussi, figure de ce qui s’est passé sur la croix et de ce que fait encore aujourd’hui le souverain prêtre à l’autel. Sans doute c’est le prêtre visible qui bénit, fait action de grâces, immole, rompt le pain consacré, le distribue aux fidèles, mais son action n’est que figurative et secondaire ; derrière lui, il faut voir l’action divine du souverain prêtre dont il est l’instrument. Ainsi, dans la consécration, n’est-il qu’un interprète : Sacerdos non ex se dixit quod ipse creator corporis et sanguinis esse possit, quia si hoc possel, quod absurdum est, creator creatoris fierel.xii, 2, col. 1312. Ainsi dans la distribution de la communion n’est-il qu’un figurant derrière lequel le vrai prêtre agit et discerne les bons et les mauvais communiants, viii, 3, col. 1288.

C’est encore l’aspect figuratif qui est mis en relief lorsque Paschase parle d’immolation mystique : Christus myslice immolatur. ix, 1, col. 1294. Cette immolation mystique s’oppose à l’immolation en soi qu’elle commémore. « Lorsque nous confessons, dit-il, que le Christ est immolé chaque jour en mystère, cette affirmation se rapporte à ce qui est célébré sous forme de sacrement, et qui n’a été réalisé qu’une seule fois, savoir lorsqu’il a été immolé en personne pour le salut du monde. La mort du Christ n’est pas réitérée