tion, à ce qu’il regardai la double consécration séparée du pain et du viii, comme une image expressive de la séparation réelle du corps et du sang sur la croix. Il n’en est rien. Amalaire explique cette partie de la messe comme l’imitation, la répétition littérale des paroles et des gestes du Christ à la cène, en vue de la conversion du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ.
La partie suivante est interprétée au point de vue du symbolisme de la passion : à l' Unde et memores, le Christ rendu présent avec son corps et son sang paraît monter en croix, au Supplices te rogamus, l’inclination profonde du prêtre représente le Christ penchant la tête pour rendre le dernier soupir, col. 1142. Le Nobis quoque peccatoribus prononcé à haute voix au milieu du silence du canon, exprime le cri et le dernier soupir du Sauveur mourant ; les demandes du Pater marquent le repos de sa sépulture. La fraction de l’hostie rappelle l’incident du Christ ressuscité rompant le pain avec les disciples d’Emmaùs, en même temps qu’elle désigne les trois états de son corps sacré, col. 1153 et 1154, et Eclogæ col. 1328. Voir Vacant, op. cit., p. 30, 31 ; Lepin, op. cit., p. 118 et 119.
On sait que le symbolisme attribué à la fraction de l’hostie fut particulièrement contesté. Amalaire expliquait la signification des trois fragments dans lesquels le prêtre partage l’hostie, en disant que le corps du Christ a une triple forme : triforme est corpus, col. 1154 D : le corps né de la vierge Marie et ressuscité représenté par le fragment mêlé au calice, le corps qui est sur la terre, représenté par le fragment qui sert à la communion, enfin le corps qui gît dans les sépultures représenté par le troisième fragment qu’on laissait sur l’autel. « A bien l’entendre, sa pensée n’est point théologiquement erronée. Le corps du Christ en tant que semblable à nos corps mortels, envisagé à trois instants différents de son existence, avait eu réellement un triple aspect, une triple apparence. Mais il n’eût pas fallu en faire un corps triforme. L’expression était équivoque ; elle devait froisser des susceptibilités et provoquer des polémiques. » Heurtevent, Durand de Troarn, Paris, 1912, p. 174. Pour la fortune de la phrase d’Amalaire sur le corpus triforme, voir art. Eucharistie, col. 1211 à 1213.
Amalaire fut attaqué par Florus dans trois lettres, P. L., t. exix, col. 71-96, et par Agobard, évêque de Lyon, Liber contra libros quatuor Amalarii abbalis, P. L., t. civ, col. 339-350. Ses adversaires lui reprochaient d’avoir attribué trois corps différents à JésusChrist, d’avoir admis le stercorianisme, et d’avoir expliqué la messe d’une façon ridicule : il fut condamné pour ses expressions malheureuses sur le corpus triforme et son stercorianisme au synode de Quierzysur-Oise en 838.
Florus cependant n’avait pu faire censurer la méthode allégorique comme telle avec l’ensemble des explications qu’elle inspirait à Amalaire. Aussi le mouvement qui avait poussé le liturgiste de Metz à chercher le signe sensible de la vie et surtout de la passion dans le canon de la messe, allait se développer à travers le Moyen Age. Bernold de Constance dans le Micrologue, Honoré d’Autun, Rupert de Deutz, Guillaume de Saint-Thierry, Pierre le Vénérable développeront un symbolisme analogue. On retrouvera de même une partie des explications d’Amalaire dans René d’Auxerre, Othlon de Saint-Emmeran, Odon de Cambrai, Hildebert du Mans, dans les ouvrages sur le sacrifice de la messe d’Innocent III, d’Albert le Grand, de saint Bonaventure, dans le commentaire du Livre des sentences et la Somme théologique de saint Thomas, IIP, q. lxxxiii, a. 4, et dans beaucoup d’explications de la messe jusqu'à nos jours. Cf. Lepin,
op. cit., p. 118-121 ; Vacant, op. cit., p. 34, 35. Sans doute, le courant secondaire que représentent les liturgistes symbolistes à la suite d’Amalaire n’a point enrichi le dogme, ni fait progresser la connaissance objective du sens littéral des prières de la messe ; il faut du moins lui reconnaître le mérite d’avoir maintenu bien vivante devant l'âme imaginative des fidèles du Moyen Age cette idée vraiment traditionnelle qu’il a diffusée : la messe commémore en le représentant le sacrifice de la croix.
Amalaire a lui-même reconnu les déficits et le côté subjectif de la méthode quand, interrogé au synode de Quierzy sur l’origine de certaines de ses vues nouvelles, il répondit qu’il les avait tirées de son propre fonds et non des saints Pères, in suo spirilu se legisse respondil. Florus, Opusculum de causa fidei, P. L., t. exix, col. 82 A.
c) Explication théologique de la liturgie des présanctifiés. — Sur cette question, voir l’excellent ouvrage de M. Andrieu : Immixtio et Consecratio, que nous résumons.
La liturgie des présanctifiés est un service de communion avec l’eucharistie réservée d’une précédente célébration. C’est en somme la fin de la messe ; à partir du Pater inclusivement, voir Fortescue, op. cit., p. 249. Importée d’Orient, cette liturgie fut d’abord adoptée à Rome, puis incorporée au sacramentaire gélasien ; elle pénétra avec lui dans le royaume des Francs. « L’office des présanctifiés répondait à un désir de piété : il permettait de communier au jour anniversaire de la passion, tout en respectant l’antique tradition qui interdisait d’offrir le sacrifice pendant les deux derniers jours de la grande semaine. » Andrieu, op. cit., p. 21 ; Innocent I er, Epist., xxv, 7, P. L., t. xx, col. 555. En vue de la communion sous les deux espèces, on réservait tout d’abord le pain et le vin consacrés. Dès le début du ixe siècle, la liturgie des présanctifiés ne comporte plus que la préconsécration du pain. Le vendredi saint le calice apporté sur l’autel ne contient que du vin ordinaire. Avant la communion un fragment de pain consacré est plongé dans le calice. C’est cette forme de la liturgie qu’Amalaire avait sous les yeux et qu’il entreprit de commenter dans le De ecclesiasticis officiis en expliquant VOrdo-romanus de la semaine sainte. Il donne de cette liturgie des interprétations diverses dans les éditions successives de son livre :
Première explication : Théorie de la consécration par contact. — Dans la 1e édition on lit, t. I, c. xv, après une courte description de la cérémonie : Sanctificatur enim vinum non consecratum per sanctificatum panem, et postea communicant omnes, d’après Hittorp, De divinis catholicis officiis, Paris, 1610, col. 1445, cité dans Andrieu, p. 34.
Amalaire témoigne ici qu’il croit à la consécration du vin par le contact du pain « sanctifié ». Il n’y a pas de doute : suivant la tradition ancienne le verbe sanctificare désigne ici la consécration eucharistique. Voir les textes du iiie au xii c siècle rassemblés par Andrieu, p. 38-41.
Deuxième explication : Théorie de la consécration par le Pater. — Amalaire ayant découvert la lettre de saint Grégoire le Grand à Jean de Syracuse, voir ci-dessus col. 983, y trouva l’idée de la consécration par la seule récitation du Pater qui aurait été pratiquée par les apôtres.
Dès lors « Amalaire n’hésite pas à admettre le pouvoir consécrateur de l’oraison dominicale. Et comme VOrdo romanus prescrit de la réciter le -vendredi saint à l’office des présanctifiés, notre liturgiste en conclut qu’il ne serait pas nécessaire de réserver le corps du Sauveur à la messe du jeudi saint. La récitation du Pater suffirait à consacrer le pain, comme elle suffit