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991 MESSE DANS L ÉGLISE LATINE, LA FIN DE L’AGE PATRISTIQUE 992

tricc, suffisante pour nous mériter le salut, c’est celle qui fut consommée au Calvaire. Le Christ désormais ne meurt plus : il est incorruptible. « Ce n’est pas seulement l’idée d’immolation sanglante, ou de mise à mort effective qui doit être écartée nettement de l’eucharistie ; c’est toute idée d’une modification quelconque qui affecterait réellement le corps du Christ, à raison de son immolation sur l’autel. Qu’on prenne l’un après l’autre les témoignages que nous avons cités, aucun Père ne paraît soupçonner qu’il faille chercher dans l'état du Christ eucharistique un amoindrissement ou un changement quelconque qui pourrait équivaloir, d’aussi loin qu’on voudra, à une réalité d’immolation. » Lepin, op. cit., p. 85.

Il ne peut être question dans l’action accomplie à l’autel que d’une commémoraison de l’immolation sanglante réalisée sur la croix. Cette action comporte une simple image ou "figure d’immolation. Saint Augustin parle de l’immolation « en sacrement », c’est-à-dire en similitude ; saint Grégoire dira que l’immolation de l’autel se fait per myslerium, c’est-à-dire par manière de mystère, de symbole expressif, qu’elle comporte une imitation de la passion du Sauveur. Saint Ambroise avait parlé, lui aussi, de l’immolation du Christ prêtre à la cène. Or le Christ, à la cène, ne s’immolait point réellement, mais offrait la victime qui devait être immolée.

Seul le pseudo-Germain se représente imaginativement, dans le rite de la contraction, l’action de l’ange comme un acte d’immolation réelle.

En quoi le sacrifice eucharistique est-il une commémoraison figurative du sacrifice de la croix ? Certainement d’abord par le symbolisme du pain et du vin qui représentent le corps du Christ rompu et son sang répandu. La plupart des Pères ont insisté sur ce symbolisme.

Saint Ambroise, saint Grégoire et ceux qui l’ont suivi semblent placer aussi le rapport de l’eucharistie à l’immolation sanglante du Calvaire dans la communion. Encore fautil reconnaître que saint Grégoire parle de la consécration comme de « l’heure de l’immolation ».

Saint Isidore rattache l’idée de commémoraison de la Passion à la consécration : « Il est consacré en mémoire de la passion pour nous », dit-il dans sa définition du sacrifice. De même Bède dans son homélie xiv, P. L., t. xciv, col. 75 A : « A l’autel est reproduit un mémorial de la passion. » Mais comment ? Par la consécration sans doute dont il est parlé dans le contexte, mais aussi par la communion dont notre auteur parle dans les mêmes termes que saint Grégoire.

Si ces Pères ont une tendance à faire état de la consécration pour y trouver une représentation sensible de la Passion, il faut reconnaître, avec M. Lepin, qu’ils n’indiquent aucunement la manière dont la consécration réaliserait cette figure. Du symbolisme de la double consécration qui semble poser d’abord le corps, puis le sang à part comme tiré du corps, les Pères latins ne se sont pas préoccupés.

b) La messe oblation de la victime jadis immolée au Calvaire et présente sur l’autel. — Plus importante dans la perspective des Pères est l’idée d’offrande pour expliquer le caractère sacrificiel du mémorial de l’autel.

La parole de saint Augustin contre Fauste, Unde jam christiani peracli ejusdem sacrificii memoriam célébrant sacrosancta oblatione corporis et sanguinis Christi, cf. col. 971, ne résume pas seulement sa pensée et celle de ses disciples, elle exprime une vérité traditionnelle. Saint Ambroise, comme son disciple, met l’essentiel du sacrifice dans l’offrande. Pour les deux grands docteurs, à l’autel c’est l’oblation de la même victime qui a été offerte à la cène et sur la croix.

Nous offrons à la messe le corps immolé et le sang versé dans la forme où le Christ l’offrit à fa cène, et nous a donné le pouvoir de l’offrir. Nous l’avons vu et entendu à la cène offrant son sang, dit saint Ambroise, et nous l’imitons comme nous pouvons dans l’offrande de son corps.

Nous faisons ce que le Christ a fait à la cène, dit saint Isidore, hoc fit a nobis quod Dominus jecit. Et Bède déclare que Jésus-Christ a le premier offert le sacrifice de son corps à la cène, et nous laisse l’ordre de l’offrir. A la cène, l’oblation était faite de la victime qui allait être immolée ; à l’autel, l’oblation est faite de la victime qui a été immolée.

Il y a une différence cependant : le Christ a offert lui-même à la cène : à l’autel il offre, par l'Église. Encore faut-il affirmer de sa part un certain rôle sacerdotal à l’autel comme à la cène et au Calvaire.

Le Christ est à la fois prêtre et victime de notre sacrifice quotidien, « celui qui offre et ce qui est offert », dit saint Augustin. Comment est-il prêtre à l’autel ? Sans aucun doute parce qu’il a donné aux prêtres le pouvoir de l’offrir, mais aussi, selon certains Pères, parce qu’il « s’offre lui-même ». Saint Ambroise, le pseudo-Eusèbe d'Émèse ont insisté spécialement sur son activité sacerdotale à l’autel -et l’ont considérée comme actuelle. Cette activité paraît liée à la consécration, car, d’après saint Ambroise, le Christ se révèle offrant quand la parole sanctifie le sacrifice offert : Ipse ofjerre manifestatur in nobis, cujus sermo sanctificat sacrificium quod ofjertur. Elle s’exerce particulièrement dans l’intercession du ciel. « A prendre à la lettre les expressions de l'évêque de Milan, ce qui se passe sur notre autel terrestre serait l’image de ce qui se réalise sans voile dans la vérité du ciel. » Lepin, op. cit., p. 94.

Fauste de Riez et Bède le Vénérable attribuent au Christ « prêtre invisible » l'œuvre de la consécration, et paraissent de ce fait présenter cette consécration comme l’acte sacrificiel par excellence. Saint Augustin, tout en attribuant comme saint Ambroise la consécration à la reproduction sur le pain et le vin des paro’es et des gestes de la cène, Cont. litter. Petit., ii, 69, envisage surtout la part très active de l'Église dans l’oblation du sacrifice de l’autel. Le rôle sacerdotal du Christ s’exerce surtout dans la volonté du Sauveur manifestée par l’institution de l’eucharistie jamais rétractée et toujours persévérante, de faire offrir par l'Église son corps et son sang, et dans la collation du pouvoir de l’offrir. Sous cette impulsion divine l'Église est prêtre et victime à l’autel, Lepin, op. cit., p. 95.

Dans cette perspective patristique du sacrifice oblation, quel est le rôle de la consécration ? Elle est tout au moins l’acte surnaturel voulu par le Christ qui rend présente la victime offerte sur l’autel : elle conditionne logiquement l’oblation de cette victime. Pour les Pères qui voient dans la consécration un acte sacerdotal du Christ elle est plus. L’idée de sacerdoce étant corrélative à celle de sacrifice, on en conclura que le sacrifice eucharistique est réalisé par le fait même de la consécration. Isidore de Séville en expliquant la notion de sacrifice par l’idée de consécration conduit aussi à voir dans l’acte proprement consécrateur la raison fondamentale du sacrifice. De même les Pères qui insistent sur les rapports d’identité de l’oblation de la messe et de l’oblation de la cène, sur la nécessité d’offrir avec les paroles de l’institution comme le Christ a offert, nous induisent à la même conclusion.

Comment ont-ils conçu « le rapport entre la consécration qui rend le Christ présent, l’immolation mystique qui affecte sa présence, et l’oblation qui se fait de lui : sont-ce trois actes réellement distincts,