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MESSE DANS LES SECTES HÉRÉTIQUES


présence du sel sur le pain est encore signalée à plusieurs endroits (Attestation de Jacques qui précède les homélies, § 4, p. 8). Le communiant prend sa part du sel, Hom., iv, (5, p. 58, il y a la communion au set, àXcôv xoivcovîa, Hom., xiv, 8, p. 111. Batifîol, op. cit., p. 192, n. 2, croit que le sel est ici un symbole d’incorruptibilité.

Un autre écrit bien postérieur, le Martyrium Mattluci, a été présenté par Lipsius comme le reste d’un travail auquel au troisième siècle on aurait soumis une légende d’origine g.iostique. Après la mort de l’apôtre, le ciel invite l'évoque Platon et le peuple à chanter V Alléluia, à lire les évangiles, à offrir en sacrifice, Trpoaçopxv, le pain sacré et trois raisins qu’on pressurera sur la coupe « Unissez-vous à moi, comme le Seigneur Jésus a enseigné l’offrande, 7upoacpopâv, venue d’en haut. » L'évêque et le peuple défèrent à cette invivation du ciel. Platon « offre les oblations, TCpootpopâç, pour Matthieu, on y prend part et on loue Dieu. » Lipsius-Bonnet, Acta, t. n a, p. 252, 254. Ailleurs il est dit qu’après le baptême du roi, l'évêque « fait la bénédiction et l’eucharistie sur le pain sacré et la coupe avec son mélange de liquide. » Puis après avoir goûté lui-même les espèces consacrées, il les présente au roi en disant : « Que ce corps du Christ et cette coupe, son sang versé pour nous, devienne pour toi rémission des péchés en vue de la vie. ><

Ici se retrouvent toutes les notions signalées par les écrivains de la grande Église : il y a un rite chrétien traditionnel enseigné par Jésus-Christ et qui est une offrande rituelle, un sacrifice. Après certains actes, par exemple Valleluia et l'évangile, l'évêque accomplit l’eulogie et l’eucharistie sur le pain et sur le calice rempli de vin et d’eau : cette prière fait du pain le corps du Christ et de la coupe son sang. Ce sacrifice s’offre pour les morts. Les fidèles vivants y participent et y louent Dieu : l'évêque les communie en leur souhaitant que ce corps et ce sang leur apportent la rémission des péchés et la vie. Tout cela est très orthodoxe, mais ces divers traits ont toutes chances d’avoir été ajoutés dans les remaniements postérieurs. C’est encore à l'époque antérieure à saint Cyprien qu’on peut rapporter la passion de saint Pionius, prêtre martyr de Smyrne. On y lit que ce confesseur et ses compagnons, après avoir fait une prière solennelle, prirent le samedi du pain sacré et de l’eau, facla ergo oratione solemni, cum die sabbalo sanctum pancm et aquam deguslavissent. 3, dans Ruinart, Acta murtyrum sincera, Ratisbonne, 1859, p. 188. Ces mets semblent bien être l’eucharistie (Tillemont, Jùlicher, Batiffol, Lietzmann).

Enfin, nous savons par saint Cyprien que de son temps encore il y avait des aquariens en Afrique. Xous connaissons par l'évêque de Carthage les raisons qu’ils mettaient en avant pour justifier leur conduite. En temps de persécution, l’odeur du vin peut trahir les communiants ; il n’est pas conforme à l’usage de boire du vin le matin : on le prend le soir, au souper : le Christ usa de vin parce qu’il fit la cène le soir ; leurs prédécesseurs ont agi ainsi ; certains textes de l'Écriture recommandent l’usage de l’eau et lui attribuent des effets salutaires, EpisL, lxiii, 8, 9, 15, 16, 17, Hartel, t. m b, p. 708 sq. Ainsi l’usage aquarien n’est pas motivé par des considérations d’ascétisme prohibitif. L’encratisme a pu être en Afrique aussi la cause qui lui a donné naissance, mais si L’usage s’est maintenu, on a, au temps de saint Cyprien, oublié le motif qui l’a fait introduire à l’origine.

Harnack a souligné tous les textes où il est dit que l’eucharistie est célébrée avec du pain et de l’eau. Il a même cru (voir col. 898), mais à tort, pouvoir porter sur sa liste le témoignage de saint Justin. Il conclut ainsi : les deux usages celui des aquariens et l’autre

coexistent dès l’origine et au cours des premiers siècles. Donc pour les premiers chrétiens les éléments importaient peu : a leurs yeux l’eucharistie était un repas avec mets solide et liquide. On est donc amené à croire que le Christ à la cène primitive n’avait pas donné en nourriture et en breuvage son corps et son sang, mais sanctifié l’action de manger et de boire. Harnack, Brot und Wasser, die eucharistischen Elemente bei Justin, Leipzig, 1891, dans Texte und Untersuch., t. vii, fasc. 2 ; voir en sens contraire Zahn, Theolog. Litteraturzeitung, 1892, t. xvii, p. 373-378. Il a été démontré que Justin ne devait pas être mis au nombre des aquariens (voir plus haut). Si on accorde à leur usage l’ampleur qu’il a eue, sans le restreindre ni l’augmenter, on est obligé de leconstater.ee sont des sectes, des groupes hérétiques ou suspects qui l’ont adopté. La grande Église l’a toujours rejeté, c’est pour elle une hérésie. L’emploi du vin mélangé d’eau est attesté pour Rome par Justin, pour la Gaule et l’Asie par Irénée, pour l’Egypte, l’Italie, la Grèce, la Syrie, la Palestine par Clément d’Alexandrie, pour l’Afrique enfin par Tertullien et Cyprien. Cf. Dôlger, op. cit., p. 51 sq. Une deuxième constatation s’impose : plusieurs de ces groupes étaient à tendance encratique ; c’est donc leur rigorisme et non le souvenir de l’institution primitive qui les portait à prohiber le vin : leur rigorisme moral ne leur permettait pas de l’employer. Voir Batiffol. art. Aquariens, dans Diction, d’archéol., t. i, col. 2648-2650.

Dépassant encore d’une certaine manière Harnack, Lietzmann vient de soutenir, op. cit., p. 238-249, que l’eucharistie primitive ne se composait que de pain. Pour le démontrer, il invoque tous les textes anciens où il est dit qu’elle était consacrée avec de l’eau. Il en rapproche même ceux où il est parlé du miel et du lait donnés aux néophytes, loc. cit., p. 248, note 7, et le passage des Actes des saintes Perpétue et Félicité, où en vision le Pasteur remet à Perpétue du fromage. Il conclut que, primitivement, on professait à l'égard de l'élément eucharistique ajouté au pain une grande indifférence. « C’est donc, écrit-il, parce qu'à l’origine cette seconde espèce n’existait pas. » La réfutation qui a été faite de l’opinion de Harnack peut être reproduite ici. L’usage aquarien, pour avoir été plus répandu que l’on ne pensait jadis, est loin d’avoir l’importance que lui donne l’auteur ; il est impossible de préférer une coutume qui n’apparaît guère que dans des groupes suspects ou hérétiques, à l’usage attesté par tous les écrivains de la grande Église. Cette coutume d’employer de l’eau ne trouve d’ailleurs pas son origine dans l’indifférence du public et de ses chefs à l'égard du second élément. S’il est une vérité qui est hors de doute, c’est que ni les catholiques, ni les aquariens ne tenaient le choix du liquide pour peu important : les premiers condamnaient sévèrement l’emploi de l’eau, et les seconds se refusaient énergiquement à user du vin. Quant à la vision de Perpétue, il est impossible d’y trouver une preuve que l’antiquité chrétienne était indifférente au choix du second élément : il n’est pas parlé en cet endroit de pain et de fromage, mais seulement de ce dernier mets : et de caseo quod mulgebat dédit mihi quasi buccellam. Passio Pcrpeluæ, 4. A plus forte raison ne peut-on pas invoquer ici l’usage de présenter aux nouveaux baptisés du lait et du miel. C’est seulement aux néophytes qu'étaient donnés ces deux breuvages le jour de leur baptême : il y a donc là un rite d’initiation, et non une forme d’eucharistie. Cl. Duchesne, Origines du culte chrétien, Paris, 1908, p. 186, 322, 338. 341, 344.

Pour prouver que l’eucharistie primitive ne se composait que du pain, Lietzmann invoque surtout les textes où seul est mentionné cet élément. Aux